Photo: Jonathan Malboeuf/Flickr.

LE VÉLO D’HIVER ENCORE PEU ACCESSIBLE DANS L’EST

Pas facile de faire du vélo d’hiver dans l’est de la métropole. Que ce soit à cause du déneigement mal effectué ou encore en raison du manque d’infrastructures cyclables, il semble très ardu de se déplacer à vélo durant la période hivernale dans plusieurs arrondissements. EST MÉDIA Montréal est allé à la rencontre de trois cyclistes qui doivent parfois faire preuve de témérité pour pratiquer la mobilité active 12 mois par année.

Tôt jeudi matin, Jessy Mota emprunte la 16e avenue dans l’arrondissement de Rosemont pour retourner chez lui. Il est 8 heures et ce dernier vient d’amener sa fille à l’école à bord d’une remorque attachée à son vélo. « Je trouve ça plus sécuritaire pour transporter ma petite, comparativement au siège fixé à l’arrière de mon banc. Si je tombe, la remorque reste debout. Je suis déjà tombé deux fois à vélo en hiver, alors je crois que c’est le bon choix », affirme-t-il.

N’empêche, le compartiment muni de deux roues qui traîne à l’arrière de sa bicyclette ajoute un poids supplémentaire difficile à tirer lorsque les rues ne sont pas déneigées. La 16e avenue, qui possède une voie cyclable avec un marquage au sol, n’a pas encore reçu la visite des souffleuses ce matin. Plusieurs automobiles sont encore ensevelies sous la neige qui déborde sur l’asphalte. Impossible de distinguer le marquage au sol qui indique que les cyclistes peuvent transiter en sens inverse de la circulation automobile.

Les infrastructures cyclables mériteraient d’être mieux entretenues pendant la saison hivernale, selon M. Mota. « Les rues de Montréal n’ont pas été conçues pour les cyclistes, mais plutôt pour les automobilistes. Tant que ça n’a pas été déneigé pour les voitures, c’est difficile de prendre cette rue à vélo. Quand je roule seul, ce n’est pas trop grave, je peux me faufiler, mais avec ma fille à l’arrière, ça m’arrive souvent de m’arrêter pour laisser passer les automobiles. Je ne me sens pas en sécurité sinon », souligne-t-il.

Jessy Mota, au coin de la rue Dandurand et de la 16e avenue. (Photo: Emmanuel Delacour/EMM).

Celui-ci voudrait pouvoir rouler à vélo toute l’année, mais lors de gros événements météorologiques tels que la tempête de neige qui s’est abattue sur Montréal la semaine dernière, le jeune papa n’a pas de choix. « Ce jour-là, j’ai décidé de prendre ma voiture, ce n’était pas possible autrement. »

S’il constate que les quartiers centraux comme Rosemont bénéficient d’infrastructures de meilleure qualité pour transiter à vélo, cela n’est toujours pas suffisant, croit-il. « Oui, on a des pistes protégées et elles sont bien déneigées, mais elles ne sont pas en assez grand nombre. Tu ne peux pas faire un trajet de A à B juste sur les pistes protégées à Montréal », se désole-t-il.

 

Et c’est encore pire lorsque vient le temps d’aller plus loin dans l’est. « Si je dois aller dans Saint-Léonard ou Anjou avec ma fille en hiver, je ne prends pas mon vélo. En fait, je vais rarement à l’est du quartier Rosemont », indique M. Mota.

Partager la route avec les voitures

Circuler sur une piste cyclable enneigée peut s’avérer périlleux, mais faire du vélo sur une grande artère comme les boulevards Henri-Bourrassa ou Lacordaire est un défi que peu de Montréalais osent relever. C’est pourtant un trajet qu’emprunte quotidiennement Frédéric Savoie pour quitter sa demeure dans Saint-Léonard et se rendre au travail, à 5 kilomètres de chez lui.

Si celui-ci remarque aussi que les aménagements cyclables manquent d’amour quand le thermomètre passe sous zéro, il s’attriste encore plus du fait qu’il doive affronter « un désert cycliste » dans les quartiers de l’est.       « Lacordaire, c’est pas mal le seul axe nord-sud accessible dans le secteur, sinon je dois faire de grands détours. J’ai l’impression d’être le seul cycliste à rouler à cet endroit, et encore plus en hiver! », se désole-t-il.

L’adepte du vélo est sans équivoque : il ne se sent pas en sécurité lorsqu’il voyage sur ces grandes artères, entre les automobiles, les autobus et les semi-remorques. « Parfois je roule dans la voie réservée pour les autobus. Je sais que ce n’est pas permis, mais je ne peux pas faire autrement. Il arrive même que je sois obligé de rouler sur la voie du centre, avec les automobilistes, parce que le déneigement en bordure de rue n’a pas été fait, ou parce qu’il y a trop de gadoue », peste M. Savoie.

Frédéric Savoie, à l’angle des boulevards Lacordaire et Henri-Bourrassa. (Photo: Emmanuel Delacour/EMM).

Selon ce dernier, l’offre en infrastructures cyclables dans l’est est quasi nulle. Il la qualifie de « très pauvre » et croit que les quartiers de ces secteurs ont longtemps été délaissés par les administrations publiques montréalaises. Toutefois, il se réjouit des récentes annonces faites par la Ville de Montréal (voir plus bas) en matière d’infrastructures protégées dans l’est, incluant un tracé de Réseau express vélo (REV) sur le boulevard Henri-Bourrassa, à partir du boulevard Lacordaire. « Il n’est jamais trop tard pour sécuriser les déplacements à vélo. Je me suis réjoui de cette annonce, je crois que c’est un pas en avant. »

Ces quartiers enclavés

Difficile de passer d’un arrondissement à l’autre quand on n’est pas dans le confort de son automobile, constate Jean-François Gagné. EST MÉDIA Montréal l’a rencontré au coin des boulevards Lacordaire et des Grandes-Prairies, dans Saint-Léonard. « C’est le chemin que j’emprunte pour aller voir mes parents. Moi je demeure dans Montréal-Nord, et à part la piste sur Gouin qui a été inaugurée il y a 41 ans, je trouve que mon quartier est très enclavé au niveau des voies cyclables », relate-t-il.

En effet, ce dernier doit opter pour la solution la moins pénible lorsqu’il veut se rendre de l’autre côté de la voie ferrée au sud de Montréal-Nord. « Je peux soit prendre Lacordaire, avec tout le bruit et la pollution que ça comporte, ou Pie-IX. Mais depuis l’arrivée du SRB (Service rapide par bus) les automobilistes n’ont que deux voies de circulation, et ils y sont nombreux parce que plusieurs d’entre eux vont vers le pont Pie-IX. C’est difficile d’y partager la route », explique M. Gagné.

Jean-François Gagné, à l’intersection Lacordaire et Des Grandes-Prairies. (Photo: Emmanuel Delacour/EMM).

Celui-ci trouve déplorable qu’il n’y ait pas plus d’infrastructures cyclables dans Montréal-Nord, un quartier à forte densité, où se retrouve une importante population immigrante et de nombreuses familles avec de jeunes enfants. Comparativement aux secteurs qui ont bénéficié de l’arrivée du REV sur la rue Saint-Denis, M. Gagné constate que peu de personnes vulnérables osent s’aventurer à vélo dans les rues de son quartier. « Quand je suis sur le REV, je vois beaucoup d’enfants et de femmes circuler en toute sécurité. C’est loin d’être le cas sur Lacordaire! », s’exclame-t-il.

M. Gagné souhaite de tout cœur que la Ville accélère l’implantation de nouvelles pistes protégées et de REV dans l’est, car même si cela retire des voies aux automobilistes, le bien-être de tous est en jeu. « On l’a bien vu avec la fermeture des voies dans le tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, l’apocalypse annoncée ne s’est pas produite. Les gens ne prennent pas leur voiture lorsqu’ils savent qu’il y a des alternatives plus avantageuses. C’est ce qui s’appelle la demande induite. »

Manifester sa joie du vélo d’hiver

Le 11 février prochain, les membres de l’Association mobilité active Mercier-Hochelaga-Maisonneuve prendront part à une sortie à vélo hivernale dans le quartier. Débutant à 10h00 à l’entrée principale du stade olympique pour se terminer à midi sur la Place Valois, cet événement a pour objectif de sensibiliser les élus au besoin d’infrastructures pour les cyclistes, en plus de permettre aux cyclistes expérimentés de partager leurs trucs et astuces avec les personnes qui souhaitent essayer le vélo d’hiver.

« La création de pistes sécurisées, c’est un cercle vertueux. Que ce soit au niveau de la santé, du social ou de l’économie, encourager les gens à faire du vélo, c’est une réponse à plusieurs enjeux, en plus de l’autosolo », insiste Christian Jacques, membre de l’Association et co-organisateur de l’événement.

Ce dernier dénonce le déséquilibre qui persiste entre les quartiers centraux et ceux de l’est au niveau de l’offre de pistes cyclables. « Je fais du vélo d’hiver tous les jours. Principalement, je circule dans Mercier pour mes activités quotidiennes, mais lorsque je sors de l’arrondissement, je vois une grande différence. La semaine dernière, je suis allé dans le Plateau, et j’ai constaté une démarcation claire. Quand on se dirige vers l’est, le réseau devient inefficace et aléatoire, tandis que dans Hochelaga-Maisonneuve, on se trouve sur un réseau intermédiaire, plutôt bien entretenu l’hiver. Dès qu’on passe Pie-IX vers l’ouest, par exemple sur la piste de la rue Rachel, on peut se retrouver sur l’asphalte, alors que sur la rue Marseille (NDLR : Qui reprend le tracé de la rue Rachel vers l’est, après la rue Viau) c’est difficile de circuler parce que ce n’est pas déneigé », explique M. Jacques.

« On se demande pourquoi il faut que chaque matin quand de la neige est tombée, les Montréalais dans Mercier et dans l’est doivent se poser la question pour savoir si ça vaut la peine de prendre leur vélo ou s’ils doivent se rabattre sur leur « plan B » : l’autosolo. Quand le réseau n’est pas fiable, ça laisse planer un doute chez les usagers de la route. » – Christian Jacques, Association mobilité active Mercier-Hochelaga-Maisonneuve.

La Ville promet de nouvelles infrastructures d’ici 2027

En novembre dernier, la Ville de Montréal a dévoilé un projet de création de 200 km de nouvelles voies cyclables sécurisées étendu sur la période de 2023-2027. Représentant un investissement de 30 M$, ce plan prévoit l’installation de voies REV et de pistes protégées dans l’est. Un premier tracé de REV est planifié sur le boulevard Henri-Bourrassa, à partir du boulevard Lacordaire, dans l’arrondissement de Montréal-Nord. Saint-Léonard et Saint-Michel seront connectés d’est en ouest par un REV sur la rue Jean-Talon, jusqu’au boulevard Lacordaire dans l’est. Enfin, le boulevard Lacordaire lui-même deviendra l’hôte d’un REV entre le boulevard Gouin et l’avenue Souligny.

En plus du réseau express, 9 pistes cyclables sécurisées verront le jour dans la plupart des arrondissements de l’est. Pour lire l’article détaillant la liste complète de ces nouveaux axes cyclables, cliquez ici.

Selon le plus récent Rapport d’activité du Service de police de la Ville de Montréal, en 2021, 5 cyclistes sont morts à la suite de collisions mortelles survenues dans les rues de la métropole, une hausse comparativement à l’année précédente où l’on a rapporté qu’un seul décès. Au total, 605 personnes ont été blessées lors d’une collision impliquant un cycliste en 2021, contre 464 l’année précédente.