Christine Black au Gala des Bravos, célébrant les 40 ans du Centre l’Escale, en mai 2019 (photo page Facebook de l’Escale).

UN CAFÉ AVEC … CHRISTINE BLACK

Outre les résidents de l’arrondissement, certains auront sans doute découvert récemment la mairesse de Montréal-Nord, Christine Black, par l’entremise de ses multiples entrevues télévisées accordées au sujet de la pandémie de la Covid-19, qui a durement touché ce secteur du nord-est de l’Île. Les ravages du virus à Montréal-Nord ont été l’objet de nombreux reportages, non seulement au Canada, mais à travers le monde.

En avril 2016, alors néophyte en politique, Christine Black a été élue mairesse lors d’un scrutin complémentaire, avec 69% d’appui. Elle représentait l’Équipe Denis Coderre pour Montréal, qui était au pouvoir dans l’ensemble de la Ville. Cette formation, actuelle opposition officielle faisant face à Projet Montréal de la mairesse Valérie Plante, a été rebaptisée Ensemble Montréal en janvier 2018. Rappelons que Montréal-Nord fut annexée à Montréal en 2002, lors des fusions des grandes villes décidées par le gouvernement du Québec.

Avec un nom de famille prédestiné, Christine Black déclare être une Haïtienne de cœur, ayant milité pendant 12 ans pour un organisme au service de nombreux jeunes de cette origine. Près de la moitié des Nord-Montréalais (48,7% en 2016) font partie d’une minorité visible, incluant 21 120 personnes noires.

EST MÉDIA Montréal a pris un café avec la mairesse Black, mais bien sûr à distance et en télétravail, le 27 mai dernier.

EST MÉDIA Montréal : Vous étiez plutôt jeune, 34 ans, lors de votre arrivée comme mairesse, et pendant les 12 années auparavant, vous étiez directrice du Centre des Jeunes l’Escale de Montréal-Nord. Comment avez-vous trouvé votre nouveau défi, à la tête d’un arrondissement de 85 000 personnes et un budget de 42 millions $ ?

Christine Black : En fait, ce furent des défis intéressants et très stimulants, parce que j’étais déjà à Montréal-Nord depuis 2002. Quand j’ai été élue mairesse en 2016, cela faisait déjà 14 ans que j’étais sur le terrain, comme intervenante, coordonnatrice, puis directrice à l’Escale. C’était donc un quartier que je connaissais bien. J’étais très impliquée dans le milieu communautaire, entre autres auprès des tables de quartier, et différentes autres institutions ou organisations, comme les écoles, avec qui on avait développé plusieurs projets. Aussi, je connaissais bien le système de la santé ; j’avais été sur le CA du CSSS de Montréal-Nord à l’époque. Au niveau municipal, je connaissais beaucoup de personnes qui travaillaient à l’arrondissement. Je voyais déjà comment cela se déroulait à l’interne.

Donc quand j’ai eu l’occasion de me présenter et d’être élue, c’était une manière d’aller plus loin. À mon poste antérieur, j’étais arrivée à une certaine limite, je ne pouvais pas aller plus loin dans mes implications, et dans l’impact que je pouvais avoir.

À peine quelques semaines après mon élection, je me suis rendue compte, en effet, que je pouvais aider beaucoup plus de citoyens de Montréal-Nord, de manières plus concrètes et plus rapides, dont les jeunes pour qui j’ai eu la chance d’œuvrer auparavant. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée avec plus d’outils, plus de moyens, à une autre échelle. Notez que l’arrondissement compte près de 400 employés.

Comme acquis pour mes nouveaux défis, j’avais un bagage académique propice, ne serait-ce que par mon bac en sciences et ma maîtrise en administration publique. Je me sentais déjà bien outillée pour occuper la mairie, tout en pouvant compter sur plusieurs collègues (conseillers élus) qui étaient là depuis plusieurs années, en plus d’une administration publique vraiment compétente. Cela se passe bien, visiblement, depuis les quatre ans que je suis en poste.

EMM : Quelles ont été vos principales difficultés, durant ces quatre années à la tête de Montréal-Nord ?

CB : La première chose, cela a été surtout les blessures qui ont suivi le décès du jeune Fredy Villanueva, mort en 2008, dont c’était le 10e anniversaire en 2018. Ce gros dossier a marqué mon arrivée. On a pris un moment d’arrêt, dans un esprit d’écoute. Cela a pris un grand courage de mon équipe et moi pour apaiser la tension et d’en arriver à une réconciliation avec la communauté touchée. Nous avons tenu compte des recommandations du coroner André Perreault, qui suggérait des interventions et des modifications pour Montréal-Nord. Ce fut donc un dossier important. Ainsi, nous avons établi une stratégie jeunesse qui correspondait à des vœux du coroner.

À l’extrémité sud-est du parc Henri-Bourassa, l’arrondissement a aménagé la Place de l’Espoir, en mémoire du jeune Fredy Villanueva, mort en 2008 lors d’une intervention policière très controversée (photo DFC).

EMM : Et selon-vous, quels sont les succès de votre administration depuis quatre ans ?

CB : Justement, nous avons lancé un grand plan d’action, Priorité Jeunesse, qui a été un succès collectif. Je suis également fière d’un autre plan d’action collectif, sur le développement économique. Ceci nous a amené à une nouvelle façon de faire, collectivement, avec tous les acteurs intéressés. Ensemble, nous développons la vision et les éléments requis pour atteindre tel ou tel objectif, et provoquer des changements positifs dans l’arrondissement. Nous avons maintenant le réflexe de travailler ensemble. Ces nouvelles habitudes ont fait en sorte, par exemple, que lorsque la pandémie est arrivée en 2020, les acteurs de Montréal-Nord étaient en mesure de rapidement se réunir et prendre des mesures adéquates.

Pour confronter la grande crise que nous traversons actuellement (de la Covid-19 qui touche particulièrement Montréal-Nord), c’était un grand atout d’avoir déjà l’habitude de travailler ensemble, de se faire confiance et de se concerter.

EMM : Être mairesse, cela veut dire combien d’heures par semaine ?

CB : Les gens me posent souvent cette question. C’est très variable. C’est sûr que ce n’est pas un travail de 9 à 5. Il y a des périodes où c’est très occupé, comme une grande vague, du jour au soir, plus les fins de semaine. Alors que pour d’autres périodes, c’est beaucoup plus calme, comme l’été et la période des fêtes. Personnellement, je n’ai jamais vraiment compté mes heures, car parfois c’est juste un appel, quand je suis à l’épicerie, ou à des activités familiales, et en 10 ou 15 minutes, on peut régler des choses, en décidant, en dénouant certains dossiers. Je ne suis pas la seule à vivre ainsi ; je dois régulièrement appeler les autres élus, le soir, les fins de semaine, lorsqu’il y a des urgences. Comme actuellement, avec la pandémie, on doit résoudre rapidement des problèmes.

Nos vies, même pour des élus, se poursuivent quand même, au niveau personnel, avec la famille, les conjoints, les amis. Tous les élus pourraient témoigner que l’équilibre est difficile. Cela demande beaucoup de compréhension de la part des personnes qui sont autour de moi, car je dois répondre régulièrement à des enjeux.

EMM : En tant que mairesse d’un arrondissement qui propose beaucoup d’activités de sports et loisirs, est-ce que vous en pratiquez vous-même ?

CB : J’aime beaucoup la marche et la course. J’aime aussi le kayac, avec la Route de Champlain (activité de Montréal-Nord pour découvrir la Rivière-des-Prairies). C’est difficile de trouver le temps, mais je cherche un équilibre entre ma vie privée et ma vie publique.

EMM : Êtes-vous régulièrement abordée dans la rue par les résidents de votre arrondissement?

CB : Oui, de plus en plus. Je suis là depuis quatre ans déjà, je suis très active sur le terrain, je participe à beaucoup d’événements. J’aime être avec les citoyens, j’aime faire le relais entre eux et l’administration, leur répondre, chercher des solutions à leurs problèmes. Alors, de plus en plus, les gens me connaissent et me reconnaissent. Je prends ça comme un signe d’appréciation pour notre travail.

Christine Black à l’Halloween 2019 (photo page Facebook de la mairesse).

EMM : Quelles sont vos principales ambitions, à moyen ou long terme, pour Montréal-Nord, après la crise sanitaire en cours ?

CB : Il y en a plusieurs. Justement, la pandémie met en lumière le fait qu’on doit travailler en amont, pour éviter ou atténuer différents problèmes qui adviendraient. C’est un peu pour cela qu’on souhaite avoir plus de parcs et d’espaces verts, car cela a un effet positif sur la vie des gens. Comme actuellement, la population a besoin d’aller à l’extérieur. Mais à Montréal-Nord, nous avons le plus bas ratio de parcs de toute l’agglomération de Montréal. Je compte continuer à travailler à accroître nos espaces verts.

Également, les Nord-Montréalais et moi rêvons d’un centre sportif, en bonne et due forme. Ici, nous avons des gymnases dans les écoles et un centre de loisir qui a besoin de beaucoup d’amour. Aussi, j’aimerais améliorer le financement des organismes communautaires qui sont appelés à aider nos populations les plus vulnérables. Leur financement n’est pas adapté aux réalités qu’on connaît, selon différentes études réalisées au cours des dernières années.

Je voudrais qu’un jeune qui est né à Montréal-Nord ait les mêmes chances que ceux nés dans les autres arrondissements. Les services offerts ici doivent être équitables par rapport à ailleurs à Montréal.

EMM : Que pensez-vous de la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord, et des anciennes maisons patrimoniales qu’on retrouve le long de la Rivière-des-Prairies ?

CB : La Société d’histoire, avec son président Jean-Paul Guiard, est un partenaire de premier plan pour l’arrondissement, car c’est important qu’on puisse mettre en valeur l’histoire du quartier, qui est assez récente. Montréal-Nord a fêté son centenaire en 2015. En plus de souligner plusieurs maisons patrimoniales, par un circuit de plaques, nous comptons installer d’autres panneaux commémoratifs sur l’histoire du quartier, qui était habité bien avant la fondation de la ville. L’an passé, par exemple, on a mis en valeur la Traverse L’archevêque, le Secteur Marie-Clarac et le barrage d’Hydro-Québec.

Ce qu’on aimerait, au bout de quelques années, c’est d’avoir un véritable parcours historique que les touristes, et même les gens de Montréal-Nord ou d’ailleurs à Montréal, viendraient visiter. Ce travail se fait étroitement avec la Société d’histoire et de généalogie qui s’avère un excellant partenaire, possédant toute l’information appropriée. Merci de me donner l’occasion de souligner leur contribution.

EMM : Compte tenu des infrastructures de transport en construction ou envisagées, comment voyez-vous l’éventuelle arrivée de la Ligne Rose proposée par la mairesse Valérie Plante.

CB : Ce que j’ai toujours dit, c’est que je suis en faveur de tout projet de transport en commun qui aiderait les Nord-Montréalais à se déplacer plus vite, plus efficacement et de façon durable. Quant à la Ligne Rose, qui est encore très embryonnaire, on attend la démonstration que cela répond à ces critères. Concernant le SRB Pie-IX, il est plus avancé. Les projets de transport en commun sont tous les bienvenus, surtout pour nos concitoyens qui ne peuvent s’offrir une voiture.

EMM : Vous devez donc soutenir le projet de tramway, proposé par la Coalition avenir Québec, qui irait du Cégep Marie-Victorin aux lignes de métro bleue et verte ?

CB : Comme nous appuyons le SRB Pie-IX pour le secteur ouest, nous appuierions le tramway qui airait au Cégep Marie-Victorin, pour le secteur est, et même la Ligne Rose si cela respectait la capacité de payer des citoyens.

Les Nord-Montréalais ont soif d’avoir d’autres alternatives à la voiture, qui sont relativement minces présentement. Il y a beaucoup d’emplois à Anjou, à Rivière-des-Prairies, et à Pointe-aux-Trembles, mais le transport en commun vers ces lieux, ou entre eux, représente un défi. Les besoins sont grands.

EMM : De quoi êtes-vous la plus fière de Montréal-Nord?

CB : En fait, je suis très fière des Nord-Montréalais parce que ce sont des citoyens très attachants et solidaires. Ils constituent une population très résiliente aussi, car on le sait, il y a eu lors des dernières années, des changements, des crises, des situations difficiles. Et chaque fois, les citoyens se relèvent, se retroussent les manches, se serrent les coudes pour faire face à la situation. Et cela amène vraiment un tissu urbain très familial. Donc, à Montréal-Nord, on se connait, on se reconnait. C’est un quartier tricotté serré où l’entraide est omniprésente.

On dit parfois que nos gens sont défavorisés. C’est le cas en effet pour certains Nord-Montréalais, mais pas tous. Il y a différents Montréal-Nord à l’intérieur même de Montréal-Nord, mais au final, les gens sont très solidaires entre eux. Pour moi, c’est très unique. Nous sommes plus forts par le travail de synergie entre toutes les organisations.

Dans le cas de la crise que nous vivons actuellement, les quartiers qui n’ont pas ces réflexes-là, qui ne sont pas habitués de travailler en collectif, ont plus de difficultés à appliquer les différentes mesures requises. Alors que chez nous, cela s’est fait très rapidement. Nous avons été cités en exemple, notamment pour les masques à distribuer et les camions-crieurs qui relayaient les messages dans les rues. Quand on met les idées de tout le monde ensemble, cela nous permet d’avoir une image très claire et de mettre les actions en place beaucoup plus rapidement.

EMM : Le fait que tous vos conseillers, les élus municipaux, soient du même parti, est-ce que cela aide à ce que les choses fonctionnent plus rondement ?

CB : En fait, nous ne sommes plus toutes du même parti, car madame Belinga est devenue indépendante depuis bientôt deux ans. Chacune des formules amène une dynamique différente, avec quatre du même parti et une indépendante. Chacun amène ses avantages, ses réalités. Mais ce qu’on doit réaliser, c’est que tous les conseillers, peu importe le parti, travaillent pour nos concitoyens, car on veut le meilleur pour eux.