UN CAFÉ AVEC … MONIQUE LEFEBVRE
Native de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Monique Lefebvre est une figure de proue dans le milieu de l’intégration des personnes avec une limitation fonctionnelle. Pendant près de quatre décennies, elle a été à la tête de l’organisme AlterGo et, en 1984, elle fut la fondatrice du Défi sportif des athlètes handicapés. Maintenant connu sous le nom de Défi sportif AlterGo, il rassemble désormais chaque année des milliers d’athlètes, du niveau scolaire jusqu’à l’élite internationale. C’est d’ailleurs pour cet accomplissement que Mme Lefebvre a été intronisée au Temple de la renommée du Panthéon des sports du Québec en novembre dernier.
EST MÉDIA MONTRÉAL : Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris votre nomination en tant qu’intronisée au Panthéon des sports du Québec?
MONIQUE LEFEBVRE : Ce qui m’a vraiment enchantée dans cela, c’est que le Panthéon des sports, c’est la mémoire des sports du Québec. Dans le domaine des personnes vivant avec un handicap, il y avait seulement six individus qui avaient auparavant été nommés, tandis qu’il y a presque un millier de personnes qui ont été reconnues au Temple de la renommée. Je trouvais ça vraiment génial que des sportifs de notre cause puissent faire partie de l’histoire du Québec, parce que les personnes handicapées ont été, et sont encore, souvent exclues de ces lieux-là. C’était vraiment formidable et c’est une très belle reconnaissance.
EMM : Comment en êtes-vous venue à travailler au sein de l’organisme AlterGo et à créer le Défi?
ML : Le Défi sportif est né grâce à AlterGo, qui lors de sa fondation en 1975 s’appelait « Association régionale pour le loisir des personnes handicapées de l’île de Montréal ». Le nom était quand même assez long, alors quand tu veux faire de la promotion et de la sensibilisation, ce n’est pas vraiment génial. C’est pour cela qu’on l’a changé.
Moi, je suis arrivée à la direction de l’organisme en 1981. Il faut savoir qu’AlterGo est une organisation qui intervient sur l’île de Montréal et qui regroupe des associations des différents types de handicaps et de tous les secteurs du loisir.
Et dans les années 1980, un des secteurs qui étaient vraiment mis de l’avant par les associations, c’était le sport. Alors j’ai eu l’intuition, et ensuite la volonté et la détermination, de mettre en place un événement rassembleur pour les personnes handicapées des différents types de déficiences. Au lieu d’avoir des événements différents pour les personnes sourdes, aveugles ou vivant avec une déficience intellectuelle, mon idée était : si on se met tout le monde ensemble, on sera peut-être capable d’attirer un peu plus d’attention sur notre mission et de mettre le potentiel des personnes handicapées à l’avant. C’est comme ça qu’est née en 1984 l’idée du Défi.
Aussi, le sport, ça présente une image dynamique. Mes parents sont des personnes handicapées et j’ai été élevée dans un milieu où on faisait du sport. Quand j’allais au gymnase avec mon père, tout le monde trouvait ça formidable qu’une personne handicapée pratique un sport. Mon papa a d’ailleurs fait partie du premier club de basketball en fauteuil roulant, les Wheelchair Wonders de Montréal.
EMM : En 2023 s’est tenue la 40e édition du Défi sportif AlterGo. Après toutes ces années, qu’est-ce que cet anniversaire a représenté pour vous?
ML : Dans ma carrière, j’ai dirigé 38 Défis sportifs, alors participer au quarantième, c’était vraiment extraordinaire. Ma fierté, c’est d’avoir permis une situation, à la suite de mon départ, pour qu’il y ait de la relève. Ils ont fait une 40e édition où j’avais l’impression de me retrouver aux Jeux paralympiques, parce qu’ils ont vraiment accompli leur travail. Les personnes handicapées ont le droit aussi aux mêmes calibres d’événements que les autres.
EMM : Certaines personnes seront peut-être surprises de l’apprendre, mais le Défi sportif AlterGo attire des athlètes de très haut niveau. Il y a des jeunes issus du milieu scolaire au Québec, mais aussi des sportifs aux niveaux national et international. Pourquoi tous ces athlètes se retrouvent-ils rassemblés dans le même événement?
ML : Oui, le concept à la base du Défi, c’est « la relève côtoie l’élite ». Quand tu n’es pas handicapé, tu as quand même accès à l’élite des sports. Si tu veux faire du patinage de vitesse, tu vois des athlètes d’élite dans les médias et ce sont quand même des sportifs qui jouissent d’une certaine célébrité. Mais chez les personnes handicapées, c’est qui, ton élite? C’est dur à trouver et ça ne passe pas souvent à la télé.
Alors, notre idée, c’était de mettre dans le même événement la relève et l’élite. Ça permet ainsi aux jeunes handicapés de participer à un événement où il y a des athlètes de haut niveau, puis de leur démontrer que oui, c’est possible de se rendre aux Jeux paralympiques ou aux Jeux olympiques spéciaux au niveau international.
EMM : Au-delà du Défi sportif, quelle est la mission de l’organisme AlterGo?
ML : Le Défi sportif, c’était un peu « un prétexte » pour mettre de l’avant le potentiel des personnes handicapées et leur inclusion sociale. Quand on parle d’inclure les gens, de les voir autrement, cela signifie aussi qu’il faut changer les pratiques. Par exemple, il faut rendre les lieux plus accessibles. Donc, AlterGo, sa mission, c’est de promouvoir le potentiel des personnes handicapées et l’accessibilité universelle auprès des décideurs, des élus, de la population en général.
EMM : Si vous faites un retour en arrière, depuis l’époque où vous viviez avec vos parents jusqu’à aujourd’hui, trouvez-vous que la situation des personnes handicapées au Québec s’est beaucoup améliorée?
ML : Les choses ont changé de façon progressive. Avant, les personnes handicapées étaient un peu cachées, on ne les voyait pas. Puis, il y a eu des mouvements sociaux qui ont fait en sorte que le Québec a priorisé l’inclusion. Aussi, il y a eu une désinstitutionnalisation qui a fait que les personnes qui ont une limitation vivent désormais dans la communauté. Au fil des années, on a développé des outils dans un contexte universel. Ça s’applique au niveau architectural, au niveau des aptitudes, des valeurs et de la communication. Une personne qui a une limitation auditive n’a pas les mêmes besoins qu’une personne en fauteuil roulant. Quand on parle d’accessibilité universelle, il ne faut pas juste penser aux gens en fauteuil roulant, mais plutôt à toute la gamme des personnes qui ont une limitation.
Dans le cadre de mon travail avec AlterGo, j’ai côtoyé beaucoup les élus de Montréal, pour entre autres prendre part à l’adoption de la Politique municipale d’accessibilité universelle (NDLR : Adoptée par la Ville en 2011) et pour que les arrondissements développent de plus en plus leurs mesures en ce sens. Ainsi, si on crée un parc de la plage de l’Est par exemple, il faut qu’on ait le réflexe de faire en sorte que ces installations soient accessibles aux personnes handicapées de tous les types de limitations.
Quand on rend accessibles ces lieux-là aux personnes avec des limitations, on les rend aussi plus accessibles aux personnes âgées, aux enfants. L’accessibilité, ça crée du bonheur pour toute la société, et j’espère qu’on va s’en rendre compte collectivement.