Jean-Paul Eid au parc Molson, l’un de ses endroits préférés à Rosemont (EMM/Sophie Gauthier)

UN CAFÉ AVEC… JEAN-PAUL EID, BÉDÉASTE DE ROSEMONT

Depuis 30 ans, l’illustrateur et scénariste de bandes dessinées Jean-Paul Eid réside à Rosemont où certains lieux emblématiques du quartier trouvent leur place dans les cases de ses romans graphiques. Après avoir fait ses armes dans le magazine satirique Croc, Jean-Paul Eid s’est fait connaître du grand public avec son album Le fond du trou paru en 2011 et réédité l’an passé. Ce dernier revisite les codes de la BD à travers des pages à lire en transparence, des scénarios interactifs ou encore des pages « miroir ». L’artiste s’est ensuite plongé dans la création de bandes dessinées de fiction avec La femme aux cartes postales (2016) ou encore Le petit astronaute (2021).

EST MÉDIA Montréal (EMM) : De quelle façon le quartier de Rosemont a-t-il été une source d’inspiration pour vos BD ?

Jean-Paul Eid : Dans Le petit astronaute, par exemple, j’ai choisi de situer l’histoire dans mon quartier afin de créer une proximité avec les lecteurs, pour qu’ils imaginent croiser la famille de cette BD sur le trottoir. J’y représente en dessin le parc Molson, certaines rues, le Marché Jean-Talon ou encore la Plaza St-Hubert. J’attache une grande importance à l’ancrage des actions et à l’appropriation de nos décors locaux, afin d’éviter de tomber dans le piège de la reproduction des décors européens des BD franco-belges qui ont marqué notre enfance.

La mère et son fils sont l’objet de regards curieux des passants durant leur escapade au Marché Jean-Talon dans Le petit astronaute (Courtoisie Jean-Paul Eid/Éditions de La Pastèque)

EMM : En plus des décors, retrouve-t-on des personnalités de votre quartier dans vos bandes dessinées ? 

J-PE : Plus que des personnages, ce sont des attitudes et des comportements. Dans Le petit astronaute, le personnage de la grande soeur se promène à vélo, qui est un comportement très montréalais pour moi. Le personnage de Tom, atteint de paralysie cérébrale et qui ne parle pas, est inspiré de mon fils qui est devenu aujourd’hui un véritable personnage de Rosemont. Il va souvent écouter le piano de rue, il se rend à la bibliothèque plusieurs fois par semaine… Il arrive qu’on se promène et que des passants, que je ne connais pas, le saluent. Il connait plus de monde que moi !

EMM : Quels sont vos endroits préférés dans le quartier de Rosemont ?

J-PE : J’aime beaucoup certains cafés comme Le Esdale ou La Brassée, où je vais écrire parfois. J’adore aussi le parc Molson. Et surtout, le Cinéma Beaubien qui incarne le pôle culturel du quartier. C’est mon deuxième salon quand je trouve que ma télévision est trop petite. Les maisons du quartier, témoins silencieux de nos vies, me tiennent également particulièrement à cœur. Elles ancrent nos souvenirs, comme je le souligne dans Le petit astronaute.

EMM : En tant qu’illustrateur de bandes dessinées, quel est votre lien avec le cinéma, alors que vous composez avec des images statiques qui doivent progressivement suggérer le mouvement ?

J-PE : Dans mes derniers albums, dont La femme aux cartes postales surtout, j’ai un langage très inspiré du cinéma où certaines cases reprennent certains mouvements de caméra. La forme des cases peuvent aussi rappeler la forme de l’écran. Même si je n’y ai jamais travaillé, j’ai justement fait des études en dessin animé. 

Extrait de La femme aux cartes postales (Courtoisie Jean-Paul Eid/Éditions de La Pastèque)

EMM : À l’instar du cinéma ou de la littérature, peut-on considérer la BD comme un média engagé, selon vous ? Votre album Le petit astronaute en est-il un exemple, avec ses planches dénonçant les réactions parfois moqueuses face au handicap ?

J-PE : Complètement. Cette BD qui parle d’inclusion a justement eu un impact international. Je rencontre aujourd’hui des étudiants en vidéoconférence qui viennent d’Allemagne, du Brésil, du Mexique… On m’a même invité à une table de concertation sur l’inclusion en garderie. 

Certains parents d’enfants handicapés, qui l’ont lu, m’ont dit qu’ils avaient acheté 10 albums. Au lieu d’expliquer leur vie, ils donnent cette BD à leur entourage. Bien que je ne fasse pas une thèse politique dans cette BD, elle véhicule tout de même des principes importants qui méritent d’être défendus. 

La place de la BD a évolué. À une époque, elle n’était pas prise au sérieux et était considérée comme illégitime par rapport à la littérature. Aujourd’hui, certaines BD peuvent avoir leur importance au même titre qu’un essai ou qu’une enquête journalistique.

EMM : Quels sont vos prochains projets créatifs ? 

J-PE : Je travaille actuellement au scénario d’une BD sur le milieu du cinéma québécois avec Claude Paiement, avec qui j’avais travaillé sur La femme aux cartes postales, qui devrait sortir en 2025. Je travaille également au scénario de l’adaptation cinématographique de ma BD Le petit astronaute. C’est un projet très long, la sortie du film est prévue pour dans quelques années. 

Autoportrait de Jean-Paul Eid (Courtoisie)