UN CAFÉ AVEC L’AUTEURE ROSEPATRIENNE MARIE HÉLÈNE POITRAS
Écrivaine, journaliste et chroniqueuse, Marie Hélène Poitras façonne des univers littéraires riches et complexes. Son œuvre, empreinte d’une profonde humanité, a connu un succès critique avec notamment le roman Soudain le Minotaure, réédité en 2022. Depuis quatorze ans, l’auteure a fait de Rosemont son port d’attache littéraire.
EST MÉDIA Montréal (EMM) : Quels sont les écrivains et les oeuvres qui vous ont donné le goût de la littérature et de l’écriture ?
Marie Hélène Poitras (MHP) : Anne Hébert, sans aucune hésitation. C’est une grande poète et romancière. Elle représente la figure de l’écrivaine entièrement dédiée à son travail d’écriture. C’est elle qui m’a donné envie de devenir écrivaine. Dans son travail, il y a des éléments qui ont marqué mon écriture tels que le rapport à la langue ou l’utilisation de certains mots et thématiques. L’écrivain américain Raymond Carver, avec Les Vitamines du bonheur en particulier, m’a aussi donné le goût de la nouvelle, un genre que j’affectionne beaucoup. Les années 90 m’ont fait découvrir des auteurs comme Marie-Sissi Labrèche, Guillaume Vigneault et Maxime Olivier Moutier, qui sont devenus de véritables modèles pour moi. Leur écriture, pulsionnelle et fiévreuse, m’a profondément marquée.
EMM : Quelle est votre technique pour accrocher votre lecteur dès les premières lignes ?
MHP : J’opte pour une vision du monde très honnête. Écrire renvoie à transmettre notre compréhension du monde. Mes propositions sont sans filtres et relèvent d’une certaine vulnérabilité. C’est ma façon de me connecter à mon lecteur.
EMM : Votre premier roman, Soudain le Minotaure, qui raconte l’histoire d’une agression sauvage du point de vue de la victime et de celui de l’agresseur, est inspiré de votre propre expérience traumatique. Dans ce sens, l’écriture a t-elle un rôle salvateur selon vous ?
MHP : C’est certain que c’est l’un des effets de l’écriture. Certains écrivent non pas pour publier, mais pour se libérer de quelque chose. Bien que ça ne soit pas mon intention première, il est certain que l’on peut se délester de certaines blessures grâce à l’écriture.
EMM : Quels sont les personnages que vous préférez créer ?
MHP : Les marginaux m’intéressent beaucoup. Par exemple, les cochers dans Griffintown sont justement des personnes très marginalisées. Je crée souvent des êtres qui peinent à trouver leur place dans la société.
EMM : Votre dernière oeuvre, Galumpf, est un recueil de nouvelles. Qu’aimez-vous dans ce genre littéraire ?
MHP : La nouvelle est un genre un peu boudé par les éditeurs et les lecteurs alors que c’est l’un des genres que je préfère ! C’est un genre plus bref qui correspond peut-être mieux à notre temps d’attention actuel, plus court et divisé à cause de l’ère numérique. Il offre aussi une plus grande liberté expérimentale, permettant de prendre des risques sans les mêmes conséquences qu’avec un roman.
EMM : En plus de votre carrière d’écrivaine, vous avez collaboré avec plusieurs revues littéraires telles que Lettres Québécoises, Moebius ou encore Voir. Actuellement, vous êtes chroniqueuse au journal Le Devoir. De quelle façon ces deux professions sont complémentaires ?
MHP : Le journalisme doit raconter le réel. La littérature permet au contraire de la contourner. C’est pour cela que j’aime beaucoup écrire des chroniques car c’est un genre au carrefour de la littérature et du journalisme où on peut y proposer une voix, un point de vue, une singularité.
EMM : En plus de vos autres activités, vous êtes éditrice depuis deux ans. Quelles nouvelles facettes de l’écriture avez-vous découvertes grâce à ce métier ?
MHP : J’aime beaucoup l’univers de l’édition, qui est un petit marché au Québec. Il faut avoir une bonne vision du texte et savoir où on veut emmener l’auteur. Je collabore parfois pendant une année entière avec un écrivain pour optimiser son texte. C’est également fascinant de participer aux étapes de vérification d’épreuves ou encore la fabrication du livre avant de l’envoyer chez l’imprimeur.
EMM : Quel impact espérez-vous avoir sur vos lecteurs à travers votre écriture ?
MHP : Les lecteurs ne vont pas tous chercher le même objectif à travers leur lecture. Quelque part, c’est une chose qui ne m’appartient pas. J’ai su récemment qu’une femme a décidé de monter de nouveau à cheval suite à la lecture de ma nouvelle Écrire, monter dans Galumpf. Ça m’a fait énormément plaisir.
EMM : En tant qu’auteure, y a t-il des lieux ou des personnages de Rosemont, où vous résidez depuis 14 ans, qui vous ont inspiré pour vos oeuvres ?
MHP : Complètement. Dans Galumpf, la nouvelle intitulée La petite fille qui avait un trop gros chien a été inspirée par une petite-fille que j’observe dans ma ruelle parfois. Dans cette nouvelle, je rend également hommage à tous mes voisins. Je fais référence aussi à certains lieux connus de Montréal, tel que le parc Maisonneuve.
EMM : Quels sont les endroits à Rosemont qui ont accueilli certaines de vos séances d’écritures ?
MHP : Je vais souvent au Café Lézard, où je peux m‘installer plusieurs heures pour travailler. Mais de façon générale, je préfère être chez moi, dans ma bulle, pour écrire.
EMM : Quels sont vos prochains projets ?
MHP : Je suis actuellement l’éditrice d’un livre de 500 pages. Un de mes livres va également être publié en France le 21 août prochain. Cette oeuvre s’intitule La désidérata au Québec, mais la maison d’édition qui le distribue en France, Cambourakis, l’a renommé Le Ventre de la forêt. Bien que ce changement puisse parfois étonner, il s’agit d’une pratique assez courante dans le milieu de l’édition, qui permet de mieux refléter l’univers d’un ouvrage et de créer une cohérence visuelle avec la couverture.
EMM : Y a-t-il un sujet sur lequel vous aimeriez particulièrement écrire ?
MHP : J’aimerai beaucoup écrire sur les moutons. Ils ont un beau sens de la collectivité dans leur façon de veiller les uns sur les autres. Sinon, dans le cadre d’un livre destiné à un public jeunesse, j’aimerais écrire sur le sujet de la douance. Certaines personnes possèdent des capacités intellectuelles ou créatives exceptionnelles dans un ou plusieurs domaines, et cette condition particulière peut à la fois être un avantage et un inconvénient. Ayant moi-même découvert ma douance à 44 ans, je souhaite écrire un livre pour aider ces personnes qui ont ce haut potentiel, sans parfois savoir comment l’accepter ou l’exploiter.