Soraya Martinez Ferrada, députée libérale d’Hochelaga (photo courtoisie).

UN CAFÉ AVEC… SORAYA MARTINEZ FERRADA

Cela aura pris pas moins de 35 ans aux libéraux fédéraux pour reconquérir la circonscription d’Hochelaga, depuis la fin du règne de Serge Joyal en 1984. C’est d’ailleurs avec surprise, du moins pour la plupart des analystes politiques, que la candidate Soraya Martinez Ferrada a coiffé au fil d’arrivée le bloquiste Simon Marchand lors du scrutin d’octobre dernier alors que les souverainistes avaient pourtant le vent dans les voiles. Avec une mince majorité de 328 voix et 33 % des votes, la lutte a encore une fois été très serrée dans Hochelaga, comté que le NPD avait d’ailleurs soutiré au Bloc Québécois en 2011 lors de la fameuse vague orange, mais gardé de peu en 2015 avec seulement 500 voix d’écart avec la libérale de l’époque, Marwa Rizqy. Une belle victoire donc pour Mme Martinez Ferrada, que nous avons rencontrée le 27 novembre dernier, le temps d’un café au bistro Le Valois.

Solide parcours

Ce qui émane instantanément de Soraya Martinez Ferrada, c’est une force tranquille, une certaine assurance qui lui provient probablement d’une grande maîtrise de ses dossiers et des nombreuses heures qu’elle y consacre, visiblement. Tout au long de notre rencontre qui aura duré plus d’une heure, elle abordera une foule de dossiers concernant l’Est de Montréal avec une compréhension des enjeux très pointue. Et on réalise rapidement que son réseau de contacts est plutôt impressionnant, à l’image d’un parcours professionnel qui fait déjà d’elle une députée importante et probablement influente au sein des troupes québécoises de Justin Trudeau. Se dégage aussi d’elle un esprit communautaire bien présent, qui refait souvent surface lorsqu’elle s’ouvre sur les projets qui lui tiennent à cœur.

La feuille de route de Mme Martinez Ferrada est certainement loin d’être banale. Chilienne d’origine, elle est arrivée au Québec à la fin des années 1970, à l’âge de 8 ans. Ses parents et grands-parents, militants socialistes de gauche, avaient dû fuir leur pays après que le gouvernement du président élu démocratiquement, Salvador Allende (socialiste), fut renversé par un coup d’État militaire en 1973. Ils ont tout laissé derrière eux pour recommencer leur vie à Montréal. « La plupart des membres de ma famille étaient des professionnels au Chili, mais ici au Québec, c’était pour eux la vie d’immigrants de l’époque avec les emplois dans les manufactures pour ma mère, et en boucherie pour mon père. Ils ne l’ont pas eu facile, c’était le début de la loi 101, les COFI, mais somme toute, nous nous sommes bien intégrés et le Québec nous a plu », explique la nouvelle députée, qui a toujours habité depuis dans l’Est de Montréal.

Interrompant par intermittence son parcours d’études post-secondaires pour voyager et travailler ici et là au début de la vingtaine, notamment dans le milieu bancaire à titre de gestionnaire de fonds mutuels, un emploi payant mais qu’elle a détesté dit-elle, Soraya Martinez Ferrada débutera en fait « par hasard » sa véritable vie professionnelle qu’elle voue, toujours selon elle, au bien-être de la collectivité.  Aux prises avec une première grossesse difficile qui la gardera au foyer à la fin des années 1990, sa mère lui suggère alors de faire quelques heures de bénévolat par semaine, question de lui changer les idées, au sein de l’éco-quartier Saint-Michel dont les locaux sont juste en face de chez elle. Le monde communautaire, le militantisme écologique et la possibilité de faire une différence pour la population locale la convaincront alors de poursuivre sa carrière au sein de cet organisme pendant quatre ans. « Je siégeais sur des tables de concertation locales et régionales, je pilotais des dossiers environnementaux comme la fermeture de la carrière Saint-Michel par exemple et cela m’emmenait à rencontrer plein de gens impliqués dans une foule de dossiers montréalais. Ça m’allumait énormément », affirme Mme Martinez Ferrada.

La jeune maman qui accouchera d’un deuxième enfant à cette époque fera par la suite partie de l’équipe fondatrice de La TOHU. C’est elle qui mettra sur pied les premières programmations communautaires, environnementales et culturelles du prestigieux OBNL consacré à la diffusion des arts du cirque contemporain, en plus de créer le programme d’intégration à l’emploi des jeunes de Saint-Michel, toujours en place à La TOHU.

L’appel de la politique

Maintenant bien connue du milieu communautaire et quelque peu du politique en 2005, la gestionnaire de projets se fera vite courtiser pour l’élection municipale qui s’annonce la même année. « Moi qui ne se voyais mais tellement pas en politique, je recevais pourtant beaucoup d’appuis et d’encouragements de mon entourage professionnel pour me présenter dans le district de Saint-Michel. J’ai finalement fait le saut sous les couleurs d’Union Montréal et de l’équipe de Gérald Tremblay, et à ma grande surprise j’ai été élue », soutient Soraya Martinez Ferrada, dont la victoire, à l’instar de celle survenue le mois dernier, sera très serrée avec une majorité de 118 voix. Elle devra d’ailleurs faire face à un recomptage, tout comme ces dernières semaines alors que le Bloc Québécois le demandait au directeur général des élections du Canada, avant de concéder finalement la victoire. « Je crois que c’est un karma pour moi », dira en riant la nouvelle députée.

Non seulement elle sera élue, mais elle sera immédiatement nommée sur le Comité exécutif de la ville à titre de conseillère associée à la Culture, Patrimoine et au Centre-ville. Elle déchantera toutefois assez rapidement de son expérience sur les bancs de l’hôtel de ville, démissionnant de l’équipe Tremblay deux ans plus tard pour siéger comme conseillère indépendante. « Je l’ai fait à temps car je voyais bien tout ce qui se tramait au sein du parti à cette époque, les gens ont compris par la suite avec l’histoire que l’on connaît aujourd’hui. Par contre, je m’en veux encore de ne pas avoir donné toutes les raisons pour lesquelles j’avais démissionné à ce moment-là, j’étais restée assez discrète parce que je ne voulais pas trop brasser la cage. Mais aujourd’hui j’en garde une leçon et je me dis que plus jamais je vais me taire dans de pareilles circonstances. J’ai mes convictions, j’ai confiance en mon jugement et en mes valeurs, et les gens ont droit à une entière transparence de leurs élus, c’est très important pour moi », avance la députée d’Hochelaga.

Pour l’élection de 2009, elle décide de poursuivre l’aventure politique mais se joint cette fois à l’équipe de Louise Harel, l’ex-députée péquiste qui a régné plus de deux décennies dans Hochelaga-Maisonneuve et qui tentera sa chance à la mairie de Montréal, mais qui devra se contenter finalement de l’opposition. La candidate du district de Saint-Michel connaîtra la défaite. « Je savais que je perdrais car Louise Harel n’avait pas la cote dans le quartier, mais moi je croyais en ses idées et en ses valeurs. J’ai même été étonnée de perdre par seulement 300 voix », affirme Mme Martinez Ferrada. Qu’à cela ne tienne, Louise Harel lui propose alors le poste de chef de cabinet en plus de prendre la direction du parti. Quatre ans plus tard, les soubresauts de la politique montréalaise l’amèneront à « monter de toutes pièces la Coalition Montréal » dont le candidat à la mairie était alors Marcel Côté, mais la formation aura beaucoup de difficultés à prendre sa place avec seulement six candidats élus.

C’était aussi l’élection qui a fait connaître Mélanie Joly, qui rappelons-le, en avait surpris plusieurs avec une solide deuxième place derrière un certain Denis Coderre, qui prendra alors les rennes de la métropole. « Ce qui est drôle, c’est que nous avions toutes deux essayé de se recruter mutuellement à l’époque. Et je demeure persuadée encore aujourd’hui que nous aurions gagné la mairie si Mélanie s’était jointe à nous », soutient Soraya Martinez Ferrada, qui reviendra alors travailler au sein de La TOHU, laissant de côté la politique.

Mais la politique, elle, ne semble pas vouloir la quitter. Mélanie Joly lui demandera en 2015 de l’aider à organiser son investiture dans la circonscription d’Ahuntsic-Cartierville alors qu’elle tente sa chance avec le Parti Libéral du Canada. « Je lui ai dit oui, car j’avais beaucoup de respect pour elle et j’admirais sa détermination, mais pour moi c’était clairement que pour l’investiture. J’étais bien dans ma vie professionnelle et familiale, donc je ne me projetais pas à Ottawa, éventuellement », dit-elle. Mais les choses seront autrement. Finalement, Soraya Martinez Ferrada appuiera Mélanie Joly lors de la campagne électorale et suivra par la suite la ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles à Ottawa alors qu’elle occupera le poste de conseillère principale de Mme Joly.

Après trois années dans la capitale canadienne, la résidente de l’Est de Montréal sentira le besoin de « revenir au bercail, à la maison » dira-t-elle. Elle laisse alors son poste de conseillère et revient à Montréal un an presque jour pour jour avant l’élection fédérale et fait intensivement du travail de terrain dans Hochelaga, comté qu’elle a décidé de représenter pour le PLC. « J’ai vraiment pris un an pour rencontrer les gens, avoir des échanges de qualité avec les dirigeants d’organismes, d’entreprises et le milieu communautaire d’Hochelaga, pour connaître et bien maîtriser les enjeux du comté et de l’Est de Montréal dans son ensemble. Et je crois que c’est ce qui a fait la différence pour l’élection de cette année », affirme Mme Martinez Ferrada.

Questionnée en rapport avec la diminution flagrante du vote souverainiste dans le secteur d’Hochelaga-Maisonneuve depuis quelques années, la nouvelle députée libérale, qui avoue avoir voté « oui » en 1995, s’explique cette tendance par un « besoin de faire avancer les choses de façon tangible dans l’Est de Montréal. » Selon elle, les gens seraient bien conscients « que ce n’est pas avec le Bloc Québécois ou avec des députés d’opposition à répétition que le territoire va se donner les moyens de se développer selon ses aspirations, et je crois que les résidents de l’Est de Montréal sont en train de réagir à cela. »

L’équipe toute féminine de la nouvelle députée d’Hochelaga, Soraya Martinez Ferrada.

Est de Montréal : les libéraux veulent monter dans le train

Lors de la récente campagne électorale, les troupes de Justin Trudeau avaient visiblement et plus que jamais l’Est de Montréal dans leur mire, comme le démontraient d’ailleurs les nombreuses visites de ministres sur le territoire pendant cette période. Les candidats étaient avouons-le assez solides tout le long du fleuve Saint-Laurent, ce qui leur a valu deux gains (Hochelaga et Laurier-Sainte-Marie), et deux belles luttes dans Rosemont (Geneviève Hinse) et La Pointe-de-l’Île (Jonathan Plamondon). Au nord de la 40, les bastions libéraux ont été défendus avec facilité par Emmanuel Dubourg (Bourassa) et par le nouveau lieutenant politique québécois des libéraux, Pablo Rodriguez (Honoré-Mercier).

Est-ce que les libéraux, plutôt discrets ces dernières années dans l’Est de Montréal, voient actuellement le territoire d’un autre œil? « Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que les libéraux ont ignoré la région depuis quelques années. Je pense que nos députés ont bien travaillé dans leur comté respectif et ont été présents auprès de leur population. Est-ce que nous avons mis de l’avant des positions de parti pour l’Est de Montréal? Peut-être pas assez, mais je crois que les besoins et les projets de la région transcendent maintenant les comtés et que les astres sont alignés pour que le parti libéral s’implique davantage publiquement dans les grands dossiers de l’Est, et c’est définitivement ce que veulent faire les députés libéraux sur le territoire », soutient Mme Martinez Ferrada.

Il y a trois grands enjeux dans l’Est de Montréal qui interpelleraient particulièrement les libéraux selon la députée d’Hochelaga : le transport, la décontamination des sols et le logement social. « Ce sont de grands dossiers, mais qui demeurent urgents pour dynamiser le territoire. Le défi pour nous sera d’agir rapidement pour aider à les faire avancer, dans un contexte de gouvernement minoritaire. Je m’attends à ce que nous bougions vite », avance Soraya Martinez Ferrada. Cette dernière a également fixé comme prioritaires dans son comté les dossiers de la sécurité alimentaire (sous tous ses aspects) et le projet d’écran végétal longeant les zones résidentielles à proximité des installations portuaires, entre autres.