SHAWN RODRIGUE-LEMIEUX, L’ADO PRODIGE DU JEU D’ÉCHECS
Jadis connu comme le roi des jeux, et le jeu des rois, les échecs sont encore populaires dans l’Est de Montréal, comme un peu partout au monde. En comparaison avec les dernières décennies, cette discipline a maintenant envahi l’Asie, la Chine en particulier, de même que l’internet et l’industrie du jeu vidéo.
Vous avez peut-être déjà entendu parler du jeune Montréalais Shawn Rodrique-Lemieux qui, en 2015, à l’âge de 11 ans, avait remporté au Mexique le tournoi de l’Amérique du Nord des moins de 12 ans, ce qui lui avait conféré le titre de Maître FIDE (Fédération Internationale des Échecs). Nous avons rejoint ce jeune résident du quartier Mercier-Est pour faire le point sur sa carrière pour le moins étonnante. Shawn, 15 ans, est toujours passionné de ce jeu et il performe superbement sur les scènes québécoise, canadienne et internationale. D’enfant prodige des échecs, il en est tout simplement devenu un ado prodige.
L’ascension de Shawn épate les observateurs du domaine, non seulement par sa précocité, mais aussi parce qu’il provient d’une famille où l’on ne joue pas aux échecs. Les parents de Shawn (Isabelle Rodrigue et Alexandre Lemieux), furent d’ailleurs les premiers surpris de l’intérêt que portait leur enfant unique au programme d’échecs de son école primaire Fernand-Séguin.
Shawn Rodrigue-Lemieux est d’ailleurs très reconnaissant envers l’animateur d’échecs de sa première école, Thiery Libersan, qui, en plus de lui avoir transmis sa passion, l’a pris très tôt sous son aile. M. Libersan, qui a déjà obtenu une cote FIDE de plus de 2000, enseigne toujours pour l’organisme Échecs et Maths, fondé par Larry Bevand de Montréal, lequel a conquis le Canada par ses programmes et tournois scolaires.
Ayant grandi dans le quartier Maisonneuve, le sage ado s’est distingué par ses exploits dans ses catégories d’âge, mais aussi par ses cheveux longs (coupés drastiquement à l’été 2018) et parce qu’il est l’un des rares Québécois à figurer parmi l’élite juvénile canadienne des échecs.
Habitué des tournois internationaux, où tous les continents sont bien représentés, Shawn semble être un garçon bien organisé, diplomate et bilingue. En plus de ses succès parmi ses pairs, il est maintenant craint des meilleurs joueurs canadiens de tous âges. Il a d’ailleurs fait match nul plusieurs fois contre des grands maîtres (GM) FIDE, les joueurs les mieux classés au niveau international.
Le Québec ne compte que cinq GMs, âgés de 31 à 65 ans, tous étant cotés autour de 2500. Selon Shawn, le joueur québécois le plus menaçant, ces temps-ci, serait le GM Alexandre Lesiège, 44 ans, de Longueuil.
Selon le directeur de la Fédération québécoise des échecs, Richard Bérubé, Shawn Rodrigue-Lemieux se signale par son style éclaté, artistique, digne d’un joueur créatif qui serait inspiré par le peintre Picasso. Il sort rapidement des sentiers battus.
Du côté féminin, la plus forte joueuse canadienne est Maili-Jade Ouellet, de la Montérégie, 17 ans, avec une cote FIDE de 2297. Elle est la première fille à avoir remporté un championnat junior québécois, lequel se joue avec les garçons. Même si Shawn a une cote FIDE de 2253, légèrement inférieure à celle de Maili-Jade, il s’estime du même niveau que sa rivale occasionnelle. Cependant, il admet la supériorité de son complice et plus prometteur jeune québécois, Olivier-Kenta Chiku-Ratté (surnommé Kenta), 20 ans, coté à 2391 FIDE.
Un joueur de tournoi de niveau moyen est coté à environ 1400, alors que les meilleurs mondiaux tournent autour de 2800. Le mieux coté au monde est le Norvégien Magnus Carlsen à 2872. Les cotes montent et baissent selon les performances, tandis que les titres de MI (maître international) ou de GM sont permanents. Il existe différentes cotes pour les joueurs, selon la cadence (la vitesse) du jeu. En parties rapides, qui durent moins de 10 minutes, Shawn Rodrigue-Lemieux est classé 3e au Québec, juste derrière les GMs Lesiège et Bator Sambuev.
EST MÉDIA Montréal a rencontré Shawn, fin novembre, dans un restaurant près du Stade Olympique, sous lequel on trouve la plupart des fédérations sportives ou récréatives québécoises, dont la Fédération québécoise des échecs. Cette FQÉ organise ou sanctionne de nombreux tournois, en plus de publier le mensuel Échec+. Voici des extraits de notre entretien de plus d’une heure.
EMM : Bonjour Shawn, qu’est-ce qui t’a amené à te consacrer autant et si jeune aux échecs ?
SRL : J’aime la discipline, la réflexion et la créativité qu’imposent les échecs. C’est un beau jeu, c’est le fun. Ce n’est pas si compliqué à apprendre et c’est très répandu à travers le monde. Mes écoles m’ont bien aidé. Après avoir fréquenté l’école primaire Fernand-Séguin, d’où proviennent plusieurs bons joueurs, je vais aujourd’hui à l’école secondaire Sophie-Barat, également dans Ahuntsic, dans le programme Défi qui encourage la participation à des événements internationaux. Pour aller à un tournoi canadien ou international, par exemple, je n’ai qu’à fournir une lettre de la Fédération canadienne des échecs. Puis l’école, avec ses professeurs, s’arrange pour que je devance ou reprenne mes cours autrement.
EMM : Fernand-Séguin et Sophie-Barat sont-elles des écoles privées pour « surdoués » ?
SRL : Non, ce sont des écoles publiques, mais avec des normes d’admission sévères. Sophie-Barat est la continuité logique de Fernand-Séguin. Je suis en Secondaire 4, avec un parcours particulier, car il n’y a pas de Sport-Études dédié aux échecs. Malheureusement, il n’y a pas de Sport-Études pour les échecs nulle part au Canada, à ma connaissance.
EMM : À quel cégep envisages-tu d’aller, et en quelle option ?
SRL : Possiblement à Dawson, pour parfaire mon anglais. Et aussi parce que je connais plusieurs élèves qui vont y aller. Mais ce n’est pas certain. Je ne sais pas encore ce que vais faire dans la vie, comme métier.
EMM : Pourrais-tu nous décrire ton entraînement aux échecs ?
SRL : Je n’ai plus beaucoup d’entraînement. Je joue environ cinq ou six heures par semaine sur internet, surtout des parties super rapides, entre 30 secondes et trois minutes pour mater, pour m’amuser. Quand il y a des tournois en personnes, c’est sûr que cela me prend plus de temps. Je n’ai jamais vraiment étudié les échecs, sauf peut-être juste quelques livres quand j’étais jeune.
EMM : Que pensent tes parents de ton engouement pour les échecs ? Et est-ce dispendieux pour eux ?
SRL : Ils m’ont toujours encouragé. Autant ma mère que mon père. Avant, ils avaient quelques dépenses à payer, comme les cours privés de M. Libersan. Mais depuis deux ans environ, ils n’ont plus rien à payer. Je défraie moi-même toutes mes dépenses de tournoi, avec les bourses que je remporte, les cours que je dispense, ou encore des simultanées. C’est la Fédération canadienne qui paie les voyages. Quand je vais en tournoi à l’étranger, mes parents me donnent environ le même montant que si je restais à Montréal, et je me débrouille. Les jeunes sont accompagnés d’un entraîneur ou d’un parent. Mes revenus d’échecs sont beaucoup plus élevés que ceux d’un ado ordinaire de 15 ans.
(NDLR – Une simultanée est une activité de démonstration, alors qu’un joueur fort affronte simultanément plusieurs amateurs. Par exemple, contre 100 $, Shawn peut vaincre en trois heures une trentaine d’employés d’une compagnie.)
EMM : Combien de fois as-tu pris l’avion et vers combien de pays, pour tes tournois d’échecs ?
SRL : Je n’ai pas compté le nombre de trajets d’avion, peut-être une quarantaine, mais j’ai la liste des pays sur mon cellulaire. La voici : Mexique, Costa-Rica, Émirats arables unis, Royaume-Uni, Grèce, Inde, Turquie, Ukraine, Allemagne, Pays-Bas, Chine, Suède, Islande, puis bien sûr souvent à travers le Canada et aux États-Unis.
EMM : Dans tous ces voyages, est-ce qu’il t’est arrivé des aventures bizarres ?
SRL : Il y en a plein. Il y a eu parfois des vols d’avion annulés. Comme chose étrange, par exemple, à notre dernier tournoi en Turquie, une joueuse de Malaisie a refusé de serrer la main de son adversaire canadien, ni avant, ni après la partie. On s’est informé pourquoi. C’est que cela lui est interdit, par sa religion, de serrer la main d’un garçon!
EMM : Quels sont tes meilleurs résultats en tournoi ?
SRL : Ce sont deux championnats juvéniles de l’Amérique du Nord que j’ai remportés, les deux fois au Mexique. Celui de 2015, parmi les moins de 12 ans, et celui de 2018, parmi les moins de 16 ans, ce qui m’a donné une norme de maître international.
(NDLR – Shawn ne mentionne même pas ses deux championnats juniors du Canada.)
EMM : Comment est-ce qu’un enfant de 11 ans est capable de se concentrer pendant quatre ou cinq heures pour une partie d’échecs ?
SRL : Jusqu’à 12 ou 13 ans, les enfants ne sont pas vraiment concentrés. Ils se promènent entre les coups, ils vont parler à leurs amis. C’est juste à partir de 14 ans environ qu’on est capable d’être vraiment concentré pendant toute une partie lente.
EMM : As-tu un joueur d’échecs préféré, actuel ou passé?
SRL : Oui, l’Indien Vishy Anand, qui a été plusieurs fois champion du monde de 2000 à 2012.
EMM : Tu es né seulement en 2004. L’ordinateur bat les meilleurs joueurs mondiaux depuis l’an 2000 environ. Est-ce qu’il y a une période de l’histoire des échecs que tu aurais aimé vivre, dont tu serais nostalgique?
SRL : Non, je trouve que maintenant, c’est la meilleure époque pour les échecs, avec l’internet. Les joueurs actuels sont bien meilleurs que ceux des années 1970. On peut dire la même chose des jeunes, ils sont bien plus précoces.
EMM : Quels tournois sont les mieux organisés, ceux qui t’ont le plus impressionné ?
SRL : La plupart des tournois à l’étranger, en Europe ou en Asie, sont vraiment de beaux événements et ils sont bien organisés.
EMM : As-tu un objectif échiquéen ?
SRL : Devenir grand maître international. Mais pour l’instant, je n’ai qu’une norme de maître international. Cela prend trois normes (un haut score dans un tournoi international relevé) pour obtenir le titre de MI. Kenta vient de réaliser sa troisième norme; il est donc maître international FIDE.
EMM : Es-tu capable de jouer à l’aveugle, c’est-à-dire que ton adversaire voit le jeu, tandis que tu dois te remémorer toute la partie et la position ?
SRL : J’ai déjà joué plusieurs fois. C’est difficile. Par exemple, vaincre un simple joueur de 1400 serait un défi pour moi.
EMM : Est-ce qu’on t’a déjà demandé ton autographe ?
SRL : Oui, parfois des jeunes en tournoi.
EMM : Aurais-tu aimé performer autant dans un sport plus populaire, où les gens auraient pu davantage apprécier ton talent, comme au hockey ou au basketball ?
SRL : Non, ça va comme ça. Si j’avais joué au hockey, je ne serais pas nécessairement devenu un champion, tellement il y a de gars qui s’essayent au Québec. Pour le plaisir, je joue au tennis de table.
Quelques sites web en lien avec les échecs :
Association Échecs et Maths (dans les écoles) : https://echecs.org/
Fédération québécoise des échecs : https://www.fqechecs.qc.ca/
Fédération canadienne des échecs : https://chess.ca/fr
Site réputé pour jouer en ligne, contre des adversaires humains de tous calibres, ou contre l’ordinateur, à la cadence de votre choix. Gratuit. https://www.chess.com/live
Pour apprendre à jouer : https://www.apprendre-les-echecs.com/comment-jouer-aux-echecs/
Parmi huit millions de parties, le site https://database.chessbase.com/ en présente une quarantaine de « Rodrigue-Lemieux ».
Pour voir gratuitement un tournoi d’échecs à Montréal durant le temps des fêtes : Tournoi du Père Noël, une partie par soir, dès 18h, du 26 au 30 décembre 2019. Centre Saint-Henri, 530 rue Du Couvent, près du métro Saint-Henri. Le MI Kenta a confirmé sa présence. Organisé par le Club d’échecs de Montréal.