Stéphane Tremblay, directeur général du SÉSAME. (Photo : EMM).

SÉSAME : CONTRER LES PROBLÉMATIQUES ALIMENTAIRES SUR TOUS LES FRONTS

Désert alimentaire, aide de première ligne pour les personnes à faible revenu, popote roulante, resto abordable, épicerie solidaire, service de nutritionniste… s’il existe une entreprise d’économie sociale dans l’Est de Montréal qui lutte sur tous les fronts pour diminuer la détresse alimentaire dans sa communauté, c’est bien le SÉSAME.

Ancré dans Mercier-Est depuis 2004, dans un ancien salon funéraire de la rue Hochelaga, le Service d’éducation et de sécurité alimentaire de Mercier-Est (SÉSAME) fait figure de véritable laboratoire et de plus en plus de modèle pour répondre aux nombreuses problématiques entourant la pauvreté alimentaire, que l’on parle en termes d’offres alimentaires de proximité ou encore de pauvreté tout court d’une partie de la population locale qui arrive difficilement à boucler les fins de mois, comme c’est le cas dans Mercier-Est.

Générer des revenus pour survivre… et poursuivre la mission

Si le SÉSAME offre aujourd’hui une panoplie de services, et non seulement des comptoirs alimentaires et une cuisine collective dans Tétreaultville, comme le prévoyait sa charte d’organisme enregistrée en 2001, c’est que son directeur général, Stéphane Tremblay, arrivé l’année suivante, a vite réalisé que pour être efficace et avoir un impact réel dans la communauté, il fallait se débrouiller pour aller chercher des revenus autres que les maigres subventions publiques. « Dès 2003, pour moi c’était clair que si on se basait que sur le financement public pour survivre, ça ne marcherait pas. L’organisme serait alors condamné à fonctionner avec à peine deux employés, dans un local prêté par une paroisse ou la ville, et les moyens seraient insuffisants pour que le SÉSAME fasse une vraie différence dans le quartier », affirme-t-il.

La solution? Mettre le chapeau d’entrepreneur social et trouver une façon de concilier services et produits alimentaires abordables avec la mission d’aider les plus démunis sur le territoire. Le directeur général, qui dirigeait auparavant l’organisme les Distributions l’Escalier dans Hochelaga-Maisonneuve, a alors été chercher un peu de financement pour installer l’organisme dans les locaux qu’il occupe encore aujourd’hui et lancer le fameux café-bistro SÉSAME ainsi que le volet de popote roulante. « On avait 80 000 $ de budget pour acheter de l’équipement de restauration et aménager les locaux de l’organisme. Pas besoin de vous dire que nous avons fait les rénovations avec les moyens du bord, mais bon, au moins on voyait que d’autres perspectives s’annonçaient enfin pour amener le SÉSAME à un autre niveau », explique M. Tremblay.

L’organisme d’aide alimentaire continuera alors de croître pendant quelques années, avec notamment l’embauche d’une cuisinière professionnelle, neuf points de chute pour la distribution alimentaire dans l’arrondissement et la mise sur pied en 2010 du service de vente et de distribution de boîtes de fruits et légumes frais offertes à prix exceptionnel : « une économie de 20 à 40 % garantie sur les meilleures offres de la semaine des grandes chaînes d’alimentation » indiquent leurs documents promotionnels. Le SÉSAME deviendra également un distributeur de fruits et légumes frais pour d’autres organismes et entreprises du secteur, mettra sur pied un service de traiteur, assurera les opérations des cafétérias du Collège de Maisonneuve, et continuera de développer son volet d’éducation populaire en saine alimentation.

Mais selon Stéphane Tremblay, si les services augmentent rapidement, les revenus ne suivent pas au même rythme, et il faut repenser le modèle d’affaires en 2011. « Le budget d’opération était plus gros, mais nos marges de manœuvres restaient trop minces. Malgré que l’on rejoignait plus de monde, que l’on offrait beaucoup plus de services, l’aide publique, elle, évoluait peu. On avait beau générer plus de la moitié de nos frais d’exploitation via nos activités d’économie sociale, ça devenait trop risqué et il fallait revoir notre plan d’affaires », soutient le gestionnaire. Celui-ci se demande d’ailleurs comment les restaurants de la rue Hochelaga dans Mercier-Est font pour boucler leurs budgets d’opération. « Ça me semble aujourd’hui impossible de faire vivre un restaurant dans le coin, il n’y a vraiment pas assez d’achalandage. Pour moi c’est un mystère de voir ces commerces encore en vie après quelques années. Mais bon, il faudrait leur demander comment ils y arrivent, s’ils y arrivent », dit-il.

Trouver la bonne recette

Le Café SÉSAME fermera donc ses portes temporairement en 2011 pour des raisons financières, mais les autres activités de l’organisme se poursuivront. La direction du SÉSAME mettra les trois années suivantes à peaufiner un modèle d’affaires « 2.0 », qui fera finalement école à plusieurs niveaux au sein du réseau d’entraide alimentaire québécois.

C’est donc en 2015 que le café-bistro nouvelle couture sera présenté aux gens du quartier, ainsi qu’une nouvelle fruiterie. L’organisme arborera également sa nouvelle image corporative, toujours actuelle. S’ajouteront une terrasse sur Hochelaga en 2016 et la croissance des services de popote roulante et de distribution de boîtes de fruits et légumes un peu partout à Montréal via différents points de chute, notamment dans certains cégeps et des universités.

Mais encore une fois, il faudra ajuster le tir. Rapidement, l’aventure de la fruiterie s’avère plus difficile que prévue. « L’achalandage n’était pas assez grand pour que l’on écoule une bonne quantité de fruits et légumes frais, et finalement tout le stock se retrouvait en cuisine si on ne voulait pas le perdre. Par contre, le côté positif, c’est que cela a permis d’augmenter le nombre de clients pour notre service de boîtes de fruits et légumes. En fait, je crois que le plus gros problème pour un organisme comme nous, c’est que nous n’avons pas les moyens de faire de la promotion, de la publicité pour faire connaître nos services. C’est impossible d’aller chercher des sous pour ça alors que c’est un ingrédient essentiel pour toute entreprise, qu’elle soit du secteur privé ou en économie sociale », avance Stéphane Tremblay.

Le tenace directeur général, qui n’est visiblement pas du genre à abandonner, a d’ailleurs annoncé à EST MÉDIA Montréal que le SÉSAME allait ouvrir dans les prochains mois, toujours à même ses locaux sur Hochelaga, une nouvelle épicerie solidaire afin de palier au problème de désert alimentaire qui sévit dans ce secteur de Mercier-Est. « Mais cette fois, nous allons mettre l’accent sur les produits non-périssables, même si on y retrouvera toujours un peu de fruits et de légumes frais. C’est important parce que cette vitrine permet aussi aux gens du quartier de découvrir les autres services du SÉSAME qui, encore aujourd’hui, sont trop peu connus », affirme M. Tremblay.

Perspectives d’avenir

Pour le directeur général de l’organisme, qui travaille actuellement aussi à l’intégration du Frigo de l’Est dans les locaux du SÉSAME, et à la location d’une partie de ses équipements de cuisine pour les entreprises en démarrage ou les petites entreprises de traiteur (un genre d’espace de co-working en services alimentaires), le développement de services arriverait semble-t-il à un point culminant pour le SÉSAME. « Je pense que l’on arrive au bout de quelque chose, pas en termes d’achalandage, de ventes ou d’atteinte des clientèles cibles, mais plutôt en termes de services. On ne peut plus vraiment en offrir plus. À partir de maintenant le défi est certainement de faire découvrir à un plus grand nombre de personnes que nos services existent », soutient Stéphane Tremblay.

À propos des déserts alimentaires

Selon quelques études institutionnelles, l’Est de Montréal serait aux prises avec plusieurs secteurs qualifiés de « déserts alimentaires », c’est-à-dire des secteurs qui procurent un faible accès à des commerces pouvant favoriser une saine alimentation et qui sont défavorisés sur le plan socio-économique. Le sujet était d’ailleurs d’actualité dans toutes les récentes campagnes électorales, tous paliers de gouvernement confondus, dans l’Est de Montréal. Certains élus, surtout du monde municipal, en ont même fait une priorité récemment.

Toutefois, peu d’actions concrètes ont été initiées depuis les deux dernières années. Est-ce que le modèle du SÉSAME ne serait pas une solution dans d’autres secteurs de l’Est montréalais? « Il y en a des solutions pour contrer les déserts alimentaires, c’est certain. Mais ça prend des investissements publics. Prenez l’exemple de l’épicerie solidaire que nous allons inaugurer bientôt, si nous n’avions pas la partie du budget du SÉSAME provenant de subventions, nous ne pourrions même pas y penser, et nous sommes quand même sur Hochelaga, imaginez en plein quartier résidentiel, sur une petite rue… », dit-il.

Le directeur général affirme aussi qu’il faut être réaliste quant aux attentes que peuvent susciter justement ces investissements publics. « Ici au SÉSAME on a tout essayé pour répondre à la problématique générale de désert alimentaire, mais en même temps, tu as beau offrir la vitrine, le commerce, les produits vraiment pas chers, tu ne peux quand même pas forcer les gens à venir dans ton commerce. Malheureusement, on se rend compte que les gens se déplacent en grand nombre pour l’aide alimentaire de dernier recours, gratuite ou presque, à la fin du mois. Donc oui il faut de l’aide publique pour soutenir une offre de proximité, mais cela ne réglera pas nécessairement la détresse alimentaire des plus démunis, il faut faire la nuance », explique Stéphane Tremblay.

Aujourd’hui, le SÉSAME c’est :

  • Des cuisines collectives;
  • Des dîners causeries, ateliers et conférences sur le thème de la saine alimentation;
  • Un comptoir alimentaire;
  • Un café de quartier;
  • Un service de traiteur pour les CPE;
  • Une popote roulante pour aînés;
  • Un réseau d’approvisionnement en boîtes de fruits et légumes frais à bas prix;
  • Le foyer de l’organisme Le Frigo de l’Est;
  • Un espace de travail partagé pour petites entreprise de traiteur;
  • Bientôt une épicerie solidaire.

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