
(Image tirée de la page Facebook du Boulot vers…)
22 avril 2025SERVICES QUÉBEC COUPE LES VIVRES À DEUX ORGANISMES EN EMPLOYABILITÉ DE L’EST
Le 3 mars dernier, la Direction générale de Services Québec de Montréal a annoncé qu’elle ne renouvelait par le financement pour 2025-2026 de certains organismes en employabilité de la métropole. Pour le Le Boulot vers… et le Carrefour Relance, concernés par la nouvelle, cette dernière est tombée comme un couperet, signifiant pour eux fermeture et mises à pied à compter du 30 juin prochain.
Questionné à ce sujet par l’équipe d’EST MÉDIA Montréal et souhaitant lui répondre par courriel, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, duquel relève Services Québec, a d’abord tenu à remettre la situation en contexte. « La diminution des revenus du Fonds de développement du marché du travail, notamment due à la fin des bonifications aux ententes de transfert relatives au marché du travail par le gouvernement fédéral, entraîne une réduction des marges de manœuvre budgétaires pour les services publics d’emploi », peut-on lire dans le message. « Ce désengagement du gouvernement fédéral équivaut à une coupure de 145 M$ par année pour le Québec. »
La région de Montréal comptant plus d’une centaine d’organismes spécialisés en employabilité, le gouvernement a réalisé un exercice de réorganisation territoriale afin de revoir son offre de services en tenant compte, dit-il, des besoins actuels de la clientèle, des ressources budgétaires disponibles et du nombre d’organismes spécialisés en employabilité présents sur un même territoire ou sur des territoires limitrophes et qui offrent des services similaires.

François Dallaire, directeur général de Carrefour Relance (Courtoisie)
Carrefour Relance
Carrefour Relance a pignon sur rue dans Hochelaga-Maisonneuve. L’organisme d’aide à l’emploi œuvre depuis plus de 50 ans, majoritairement auprès de personnes âgées de 30 ans et plus, éloignées du marché du travail, souvent faiblement scolarisées et bénéficiaires de l’aide sociale. Il leur propose des ateliers ciblés tels que sur la gestion du stress, l’affirmation de soi, le développement de la confiance, l’exploration des professions, la rédaction de CV et de lettres de motivation et la simulation d’entrevues. « Cette clientèle est fréquemment exclue des autres programmes d’employabilité », souligne François Dallaire, directeur général. « Le nôtre prend la forme d’ateliers de groupe qui visent à briser l’isolement social dans un cadre bienveillant et sans jugement, permettant une remise en marche tant personnelle que professionnelle. »
Services Québec, qui lui remettait environ 560 000 $ par année, était le principal bailleur de fonds de l’organisme, qui se verra contraint de mettre la clé sous la porte à la fin du mois de juin si le gouvernement ne revient pas sur sa décision. « Non seulement, ça voudrait dire la fermeture du seul point d’accès de ce type dans l’est et le nord de Montréal, mais ça amènerait une rupture des accompagnements en cours et peut-être un retour à l’isolement, à la détresse psychologique, voire à l’exclusion sociale pour nos bénéficiaires. »
La Direction générale de Services Québec de Montréal, quant à elle, considère plutôt que « les places disponibles dans les organismes spécialisés en employabilité sur le territoire de Montréal sont suffisantes et diversifiées pour répondre aux besoins des différentes catégories de clientèles ». De plus, une démarche serait « en cours avec les autres organismes du territoire qui offrent ces services afin d’augmenter leur capacité d’accueil à même les ententes en cours de négociation ». Et dans le processus, un suivi serait prévu afin de « garantir que les places pour les personnes vulnérables et plus éloignées du marché du travail leur soient réservées, assurant ainsi la continuité et l’accessibilité des services ».

Jean-François Lapointe, directeur général du Boulot vers… (Courtoisie)
Le Boulot vers…
Aussi basée à Hochelaga-Maisonneuve, Le Boulot vers…, une entreprise d’insertion socioprofessionnelle destinée aux jeunes en difficulté de 16 à 29 ans qui opère une usine d’ébénisterie, est aussi touchée par la fin de ce financement de Services Québec. Depuis 42 ans, on y travaille à intégrer des jeunes sur le milieu du travail en vue d’une insertion durable. On évalue leur motivation, leur comportement, leur rapport à l’autorité, leur ponctualité et leurs aptitudes sociales. L’accompagnement proposé va au-delà du travail : il s’agit aussi de stabiliser les conditions de vie des jeunes (logement, alimentation, relations familiales). Un kinésiologue intervient deux fois par semaine pour favoriser des habitudes de vie saines et promouvoir la santé physique et la sécurité au travail. Une collaboration avec un centre de services scolaires permet aussi d’évaluer et de reconnaître les compétences dans cinq métiers semi-spécialisés, donnant aux jeunes une première certification. « Le but n’est pas de former des ébénistes, mais des jeunes travailleurs stables et confiants », mentionne Jean-François Lapointe, directeur général.
Le modèle financier du Boulot vers… reposait à 50 % sur le financement de Services Québec, ce qui représentait de 1 à 1,2 million par an. « Le reste du financement provient de nos activités économiques (soit la vente de meubles), de partenariats philanthropiques et d’ententes ponctuelles, notamment avec le CIUSSS et le CSS », indique M. Lapointe. La fin du financement met directement en péril le fonctionnement de l’entreprise. Son directeur général dénonce, entre autres choses, la manière abrupte et inattendue avec laquelle l’information lui a été communiquée, et ce, « après plus de 25 ans de partenariat ».
La Direction générale de Services Québec de Montréal a confirmé à EST MÉDIA Montréal avoir rencontré « tous les organismes visés par l’exercice d’optimisation le 3 mars 2025. Des rencontres additionnelles sont tenues avec tous les organismes et les regroupements nationaux qui demandent davantage d’explications. À ce jour, plusieurs d’entre elles ont eu lieu », ajoute-t-elle. Elle mentionne aussi analyser « toutes les pistes de solutions qui peuvent lui être soumises lors de ces rencontres. »
Les conséquences
Le 30 juin prochain, 17 employés (6 au Carrefour Relance et 11 au Boulot vers…) perdront leur emploi, tout comme les deux directeurs généraux. Et ce sont une soixantaine de bénéficiaires par année chez le premier et une centaine chez le deuxième qui ne pourront plus avoir recours aux services de ces deux organismes en employabilité de l’est de la métropole.
Carrefour Relance continue à dénoncer la décision de Services Québec par tous les moyens possibles, y compris via la médiatisation. Un argumentaire a été rédigé et sera partagé prochainement. « Carrefour Relance joue un rôle essentiel dans un contexte d’instabilité économique, de crise du logement, d’enjeux de santé mentale et de services publics saturés. On représente un filet de sécurité pour des personnes marginalisées, en leur offrant une reconstruction identitaire et une chance de réintégrer la société », affirme François Dallaire.
Du côté de Boulot vers…, le réseau scolaire, le CIUSSS et des fondations philanthropiques ont confirmé leur engagement envers l’entreprise malgré le climat d’incertitude. « Tout cela démontre que la confiance du milieu en nous est intacte. Et ce soutien renforce la légitimité de la demande adressée au gouvernement : être consultés et trouver ensemble une solution de compromis », souhaite ardemment Jean-François Lapointe, qui se mobilise à l’heure actuelle avec d’autres organisations impactées.
Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale indique soutenir « financièrement les démarches des organismes spécialisés en employabilité qui seront confrontés à la nécessité de gérer la décroissance, qu’il s’agisse de la fermeture ou de la réduction des activités ayant un impact significatif sur le financement », termine-t-on.