(Deposit photos)

SERVICES D’AIDE À DOMICILE DANS L’EST DE MONTRÉAL : ACCESSIBLES… OU PAS?

De prétendues coupures dans la mesure gouvernementale chèque emploi-service ont alimenté les discussions dans certains médias ces derniers jours, mais surtout dans le milieu des organismes et des entreprises qui offrent des services d’aide à domicile. EST MÉDIA Montréal s’est entretenu avec deux travailleuses sociales du réseau de la santé, qui ont confirmé avoir reçu pour directive de limiter les heures allouées dans le cadre de cette mesure. Cependant, elles ne sont pas autorisées à s’exprimer publiquement auprès des médias.

Notre équipe a également mis la main sur une lettre du sous-ministre Daniel Paré, datée du 6 décembre dernier, demandant à la présidente et cheffe de la direction de Santé Québec, Geneviève Biron, de ne pas sabrer dans le programme jugé prioritaire par le gouvernement, alors que le ministère de la Santé et des Services sociaux « (…) a été mis au fait, au cours des derniers jours, de plusieurs situations pour lesquelles des usagers ont vu le nombre d’heures de services qui leur sont accordées par la mesure chèque emploi-service (CES) être réduit de façon importante. »

Mais selon le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (CEMTL), il n’y aurait pas eu de diminution de service à ce jour demandée par l’institution aux membres de son réseau. Selon le bureau des relations médias du CEMTL, « (…) les usagers du CEMTL ne vivront pas d’élimination de leurs heures de service, et la modalité du chèque emploi-service (CES) demeure disponible pour les usagers, en fonction de l’évaluation des besoins effectuée par leur intervenant pivot. De façon globale, on note plutôt une augmentation de 12 % par rapport à l’an dernier, tant au niveau du nombre d’usagers desservis que du nombre d’heures allouées pour ce service. »

Selon Anick Sabourin, présidente de l’entreprise Bien Chez Soi, qui offre des services d’aide à domicile sur le territoire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, certains usagers lui auraient signifié que cette mesure d’aide leur avait été récemment refusée. « Des gens qui auraient habituellement eu droit à ce programme, selon les critères gouvernementaux », précise-t-elle. Toutefois, pour le moment, l’entrepreneure affirme ne pas avoir eu de baisse de clientèle reliée directement avec des coupures d’heures octroyées via le chèque emploi-service.

Ce dernier consiste en une modalité de prestation de services de soutien à domicile pouvant, dans certains contextes, être choisie par l’usager et l’intervenant du réseau de la santé. Cette modalité permet à l’usager de sélectionner et d’employer le travailleur qui dispensera certains de ses services de soutien à domicile, dans le respect de certaines balises. En résumé, il s’agit d’heures de services octroyées par le gouvernement à un bénéficiaire qui a des besoins en termes de services à domicile. C’est toutefois l’usager qui décide quelles ressources il désire engager. La ressource qui livre le service est ensuite payée par le gouvernement.

Des services plus accessibles qu’on le croit

Les services de soutien à domicile relèvent des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, principalement du centre local de services communautaires (CLSC). On peut lire sur le site internet du gouvernement que « ces derniers ont la responsabilité de recevoir et d’évaluer les besoins de toute personne qui requiert leurs services. Ils ont la responsabilité de dispenser eux-mêmes les services de santé ou les services sociaux requis par la personne ou, pour certains services de soutien à domicile et selon certaines conditions, de les faire dispenser par un prestataire externe tel qu’une entreprise d’économie sociale en aide à domicile, une entreprise privée ou un organisme communautaire. Les services de soutien à domicile peuvent aussi être dispensés par un travailleur engagé de gré à gré par l’usager au moyen de l’allocation directe/chèque emploi-service ». Évidemment, rien n’empêche quelqu’un qui a les moyens de se payer tous les services à domicile sur le marché privé.

Judy Bambach, directrice générale de Répit-Ressource (Photo tirée de LinkedIn)

Mais ce que plusieurs personnes ignorent encore, c’est que l’aide gouvernementale est souvent plus accessible et généreuse qu’on le croit. Par exemple, tous les adultes, qu’importe leur condition, ont droit, grâce à leur carte d’assurance maladie, à une allocation de 4 $/heure pour des services dispensés par une entreprise d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD). Dans l’est de Montréal c’est Répit-Ressource qui couvre le territoire. Qu’il s’agisse d’aide aux repas, d’aide pour faire les courses ou encore de d’aide ménagère, l’OBNL peut vous offrir entre autres ces services à 4 $ de rabais par heure. « Ensuite, plus on a des besoins de santé grandissants, plus on est âgé, plus ces subventions sont importantes et ça peut aller jusqu’à plus de 26 $ l’heure dans le réseau des EÉSAD », explique Judy Bambach, directrice générale de Répit-Ressource.

L’entreprise d’économie sociale, qui couvre aussi le territoire de l’ouest de l’île, existe depuis maintenant près de 30 ans et compte actuellement quelques 200 employés. Elle offre du soutien régulier à environ 4 500 personnes cette année, mais selon sa directrice générale, l’OBNL pourrait répondre présentement à plus de demandes. « Le problème n’est pas que nous manquons de personnel ou que les programmes de subvention sont inexistants, c’est que beaucoup de gens ne connaissent tout simplement pas le service. Avec les subventions disponibles, nos services ne coûtent qu’une fraction du prix et deviennent accessibles, par exemple, pour beaucoup de personnes âgées qui pourraient prolonger ainsi leur vie à domicile au lieu d’aller en résidence ou en CHSLD. Il y a aussi des programmes pour aider les proches aidants à avoir du répit, mais ce n’est pas très connu », constate Mme Bambach.

Répit-Ressource et le réseau des EÉSAD travaillent en ce moment à convaincre le gouvernement d’élargir ses subventions aux services directs à la personne à domicile. On pense par exemple aux besoins d’hygiène (bains) ou encore à l’aide à la mobilité, des services offerts actuellement par Répit-Ressource, mais qui sont achetés directement par les CISSS et CIUSSS selon leurs besoins et qui ne peuvent être dispensés à même les employés du réseau. « C’est le gros combat actuellement pour développer ce volet de services d’aide à domicile et les rendre accessibles à beaucoup plus de personnes qui en ont vraiment besoin. Comme la population vieillit, ces besoins, qui sont là actuellement, vont aller en augmentant. Présentement, il y a un fossé qui se crée entre les besoins réels de la population, surtout vieillissante, et les sommes injectées dans le réseau. Il va falloir que les gouvernements ajustent le tir », soutient Judy Bombach. Si le gouvernement québécois ouvre la machine en ce sens, Répit-Ressource pourrait passer rapidement à plus de 600 employés, affirme sa directrice générale.

Et le privé dans tout ça?

Anick Sabourin, propriétaire de Bien Chez Soi MHM (Courtoisie)

Le secteur des services d’aide à domicile n’est pas que l’apanage du public ou des OBNL. À part, bien sûr, des travailleurs autonomes dans une foule de métiers, il existe aujourd’hui des entreprises dédiées entièrement aux services à domicile, comme par exemple Bien Chez Soi, un réseau de franchises qui a maintenant des succursales un peu partout dans le Grand Montréal. Leur offre est généralement plus vaste que les EÉSAD. « Nos services sont assez complets, tant directement à la personne, comme pour l’hygiène, l’aide à la prise de médicaments, l’aide aux déplacements, etc., que pour des services comme l’aide ménagère, aux repas ou aux courses. On peut aussi donner du répit aux proches aidants, aux gens qui sortent d’une opération. Mais on peut aussi offrir, et nous sommes les seuls à faire ça, un service de nounou, qui est très populaire. Ensuite, pour la franchise dans MHM, on peut offrir d’autres services connexes comme la coiffure, la manucure, ou de l’accompagnement pour tenir compagnie tout simplement », explique Anick Sabourin, propriétaire de la franchise.

Ici aussi, le coût peut être plus abordable qu’on le croit, si on tient compte de certaines aides gouvernementales. « Pour les aînés de 70 ans et plus, en 2025, le crédit d’impôt pour nos services sera de 39 %. Pour des familles qui ont des enfants de 16 ans et moins, des crédits d’impôt pour certains de nos services, comme de nounou par exemple, peuvent aller jusqu’à 78 %. Le problème, c’est que les gens ne le savent pas. »

Selon Anick Sabourin, il n’est pas surprenant de voir le privé s’installer avec un certain succès. « En ce moment, selon les données publiques, il y a sur le territoire 19 000 familles qui attendent un premier service d’aide à domicile et 712 aînés, seulement dans l’est. Alors que via un organisme, ça peut prendre huit semaines avant d’avoir un préposé chez vous, avec nous, en 72 h maximum, c’est réglé. Et en plus, on peut garantir à nos clients que c’est la même ressource qui va les aider sur une longue période. Nous sommes les seuls à faire ça et c’est beaucoup plus sécurisant pour les personnes, ça crée un sentiment de confiance qui est tellement précieux. Donc, c’est génial si les OBNL ont accès à des subventions pour leurs usagers et qu’ils peuvent ainsi offrir des services moins chers, mais je crois que le choix est aussi une bonne chose pour le public », conclut l’entrepreneure.