La cuisine du Chic Resto Pop en action (photo courtoisie du Chic Resto Pop).

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : L’INFLATION AFFECTE DUREMENT LES ORGANISMES DE L’EST

L’inflation fait augmenter le coût de la vie, particulièrement à l’épicerie, où le pouvoir d’achat des foyers montréalais a dégringolé durant la dernière année. En plus de rendre l’accès à des repas abordables plus difficile, cette nouvelle tendance porte un coup dur aux organismes en sécurité alimentaire de l’est de Montréal, qui tirent la sonnette d’alarme.

Lorsqu’on demande à Geneviève Bouchard, coordonnatrice générale de l’Oasis des enfants de Rosemont, si l’inflation a eu un impact sur les opérations de son organisme, elle est sans équivoque. « Absolument et même pas un peu; les conséquences sont très fortes. (…) C’est la tempête parfaite : les loyers et l’épicerie, tout coûte plus cher. L’effet est vraiment intense », souligne-t-elle.

Le groupe communautaire qui offre du dépannage alimentaire à une vingtaine de familles dépensait à peu près 50 $ par semaine pour ses paniers il y a un an, mais doit désormais débourser le triple, près de 150 $ par semaine. « Ça nous rentre dedans, c’est très difficile », se désole Mme Bouchard.

L’Oasis est aussi responsable d’un camp de jour durant la saison estivale et propose des collations aux jeunes. Or, l’inflation a fait grimper les dépenses pour les barres tendres et autres goûters. « On doit limiter le nombre de barres qu’on donne aux jeunes, on ne peut pas leur en donner une deuxième s’ils la réclament. On a calculé ce que ça nous coûterait si on en distribuait sans compter et la facture monterait à 2500 $ par année. On ne peut pas défrayer ça! », constate cette dernière. Récemment, l’organisme a même considéré augmenter le prix d’admission de son camp de jour, qui est un des moins onéreux à Montréal pour les familles à faibles revenus, afin de pouvoir compenser l’augmentation du coût du panier d’épicerie.

Des aînés affamés

La situation est similaire chez Projaide, un organisme de Saint-Michel qui offre un service de banque alimentaire et des popotes roulantes aux aînés. L’inflation a là aussi doublement frappé les gens, d’une part en les faisant retomber sous le seuil de la pauvreté, mais aussi en liant les mains des acteurs du communautaire.

« Chaque jour on a des travailleurs sociaux qui nous appellent et qui nous disent qu’ils sont avec une personne âgée qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Et nous on n’a plus rien à leur offrir. Nos services de livraison alimentaire sont complets, complets, complets! Les gens nous appellent en pleurs et on ne peut rien faire. C’est extrêmement cruel! », s’exclame Gilles Payette, directeur général adjoint de l’organisme.

Le service de banque alimentaire mis en place depuis 2020 peine aujourd’hui à répondre à la demande, souligne-t-il. Les administrateurs s’attendaient il y a deux ans, juste avant la pandémie, à desservir une cinquantaine familles par semaine. Aujourd’hui, c’est plutôt 250 familles qui cognent aux portes de Projaide chaque semaine. « On est rendus avec 4189 personnes membres, soit 1596 familles, et ça augmente chaque semaine. On a atteint notre point de saturation. »

La demande monte sans cesse

La pression est tellement forte, que certains organismes, comme le Groupe d’Entraide de Mercier-Ouest (GEMO), ont même envisagé mettre la clef sous la porte.

« L’inflation a clairement affecté nos opérations. On a fait des analyses et pris en compte la possibilité d’une récession et le risque d’une fermeture est très réel », affirme Yann Desrosiers, directeur général du GEMO. Celui-ci assure que l’organisme entreprend tout ce qui est nécessaire pour éviter une telle éventualité – une campagne de financement est d’ailleurs prévue pour pallier la forte demande – mais les fonds se font rares. En effet, la pandémie aura permis à certains organismes de renflouer un peu leurs coffres grâce à de nombreuses subventions d’urgence accordées par les gouvernements. « Malheureusement, après la première année de COVID, les subventions ont cessé, mais la demande n’a fait qu’augmenter. » Présentement, le GEMO offre du dépannage alimentaire d’urgence pour quelque 150 à 200 familles par semaine.

Organismes alimentaires est de Montréal

La soupe populaire souffre de l’inflation dans l’est de Montréal. Photo : Pixabay.

Dans la partie est du quartier le besoin pour de l’aide alimentaire se fait aussi de plus en plus ressentir. La demande a doublé, passant d’une trentaine de familles desservies en dépannage alimentaire par mois, à désormais soixante, auprès de l’organisme Chez-Nous de Mercier-Est. Melda Saeedi, sa directrice, voit une croissance accrue du nombre de livraisons de paniers d’urgence. « Tous les coûts pour nos services grimpent aussi. Quand on fait des dîners communautaires, le prix de la nourriture fait monter notre facture, celui du personnel aussi. Mais nos subventions ne sont pas indexées et elles n’augmentent pas avec l’inflation », souligne celle-ci.

Revoir la façon de nourrir les gens

Même dans le domaine de l’économie sociale, l’inflation est un fléau qui force les administrateurs à repenser leurs activités. « On vient de perdre 10 % de notre marge d’affaires, souligne Benoist De Peyrelongue, directeur général de la Cuisine Collective Hochelaga-Maisonneuve (CCHM). On entrevoit déjà de faire des ajustements au prix de vente de nos produits. »

Ce dernier entrevoit que si l’inflation perdure, celle-ci forcera le milieu communautaire et social à se serrer les coudes et peut-être même à « mutualiser » ses ressources. « Il y a une limite à étirer l’élastique. On nous demande de faire des miracles. Si les subventions ne se bonifient pas, je risque bientôt de voir mes propres employés devenir bénéficiaires de nos services d’aide alimentaire. Il n’est pas question que cela se produise! », affirme M. De Peyrelongue.

Le directeur indique qu’il ressort tout de même un peu de bon des pressions qu’exerce l’inflation sur l’économie sociale. En effet, les efforts en matière d’autonomie alimentaire, tels que les fermes d’auto-approvisionnement qu’est en train d’implanter un peu partout dans l’est de Montréal la CCHM, sont revigorés par la situation actuelle. « On considère aussi réduire dans nos plats l’utilisation des protéines animales. Cela a accéléré notre réflexion à ce sujet. »

Pénurie de denrées chez Moisson Montréal

Une majorité des groupes interrogés par EST MÉDIA Montréal a affirmé que récemment les tablettes étaient vides chez un de leur fournisseur principal en denrées alimentaires : Moisson Montréal.

Interrogé à ce sujet, Maggie Borowiec, directrice de la philanthropie de l’organisme qui dessert à peu près 300 acteurs communautaires dans la métropole, indique que l’offre en denrées fournies a plutôt augmenté durant les derniers mois, mais qu’on peine toujours à répondre à la demande. Effectivement, en juin 2022, ce sont 1,2 million de kilos de produits alimentaires qui se sont retrouvés dans les stocks de Moisson Montréal, soit une hausse de 2 % par rapport au mois précédent. De plus, entre avril et mai 2022, une croissance de 22 % des denrées récoltées a été notée par l’organisme. « Entre-temps, on connaît aussi une forte augmentation des organismes bénéficiaires. Tout ce qu’on a, ils le prennent. C’est 100 % de l’offre qui part chaque semaine », dixit Mme Borowiec.

Si les données ne sont encore que préliminaires pour juillet, la directrice indique que la première semaine du mois a été la pire en termes de quantité de dons reçus par Moisson Montréal à pareille date, et ce, depuis plusieurs années. « On dépend beaucoup de certains grossistes qui nous donnent des palettes de denrées et là ces dons se font plus rares. L’inflation fait en sorte que les compagnies en alimentation ont moins de surplus et les crises de la main-d’œuvre et des chaînes d’approvisionnement ne jouent pas en notre faveur », affirme Mme Borowiec, qui ajoute que Moisson Montréal connaît aussi des difficultés à renflouer ses rangs. Présentement six postes sont à combler au sein de l’organisme.

Selon Statistique Canada, les prix des aliments achetés en magasin ont augmenté de 9,7 % en mai 2022 par rapport à l’année dernière. « Les prix de presque tous les produits alimentaires ont augmenté et les Canadiens ont déclaré que la hausse des prix des aliments est celle qui a eu la plus grande incidence sur eux », soutient l’agence fédérale. Plus spécifiquement, les prix des légumes frais ont augmenté de 10,3 % en mai, tandis que les prix du poisson frais ou surgelé ont augmenté de 11,7 %, et la viande de 9 % lors de la même période.