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SANTÉ MENTALE, ITINÉRANCE ET CRISE DU LOGEMENT : DES RÉALITÉS INTERRELIÉES

Sur le territoire montréalais et à travers la province, les personnes en situation d’itinérance sont de plus en plus nombreuses. Les cas élevés d’expulsion, alors que sévit une importante crise du logement, seraient la raison première de cette situation, selon les données récoltées par le récent Rapport du dénombrement. Les problèmes de santé mentale, présents chez plusieurs individus sans domicile fixe, s’ajoutent aux difficultés vécues par ces personnes et guettent aussi celles qui peinent aujourd’hui à se loger. Une « roue qui tourne » qui doit être rapidement prise au sérieux.

Laurie Mercure, infirmière clinicienne, MAP et chef de service troubles concomitants, dépendance et itinérance au CIUSSS-EMTL (Courtoisie)

« Clairement, on peut voir qu’il y a une importante hausse de l’itinérance à Montréal, confirme d’emblée Laurie Mercure, infirmière clinicienne, MAP et chef de service troubles concomitants, dépendance et itinérance au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-EMTL). Cette dernière travaille de près avec les équipes qui œuvrent auprès des personnes en situation d’itinérance ou qui expérimentent des problèmes de santé mentale ou de consommation. 

Ce constat s’appuie notamment sur le Rapport du dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible, réalisé il y a un peu moins de deux ans et publié l’automne dernier, qui cumule des données auto-rapportées par les personnes qui vivent cette réalité. « Il s’agit d’une intervention organisée dans la rue, où des équipes vont poser des questions aux personnes. Ce ne sont pas des données parfaites, parce qu’il y aussi l’itinérance cachée, qu’on ne voit pas, mais on parle tout de même d’une augmentation de 33 % sur le territoire montréalais, entre 2018 et 2022. Ce qui est énorme », souligne Mme Mercure. 

Et avec la crise du logement qui prend de l’ampleur dans la métropole comme dans la province entière, on peut s’attendre à un pourcentage encore plus élevé. Laurie Mercure explique que la première cause d’itinérance est l’expulsion d’un logement, un pourcentage qui monte à 22 % selon les données auto-rapportées. « La perte d’un logement peut découler de plusieurs raisons. Ça peut être un trouble d’accumulation compulsive, qui fait partie des troubles de santé mentale, mais ça peut aussi être le non-paiement du loyer, une mésentente avec le propriétaire ou bien les rénovictions », explique-t-elle.

Alison Meighen-McLean, spécialiste en activités cliniques de l’équipe proximité/itinérance et travailleuse sociale de formation, ajoute que dans le Rapport du dénombrement, plusieurs personnes en situation d’itinérance ont rapporté des problématiques de santé mentale ou ont reconnu avoir des problèmes de dépendance. « On note un pourcentage assez élevé, un peu plus de 57 % d’usagers en situation d’itinérance rapportaient vivre des enjeux de santé mentale et de dépendance. Mais est-ce qu’on peut dire que c’est une cause à effet? Je ne pense pas qu’on peut s’avancer là-dessus, mais c’est certainement un élément du portrait de la clientèle », nuance-t-elle.

Quelle est la cause, quel est l’effet?

Problèmes de santé mentale, difficultés d’accès aux traitements psychologiques, perte de logement, stress, puis difficulté à se reloger, chacun des enjeux qui pèsent actuellement sur les épaules d’une partie importante de la population semble s’alimenter les uns les autres. « On voit que tout est un peu imbriqué, c’est une roue qui tourne, confirme Laurie Mercure. La crise de logement actuelle peut amener des enjeux de santé mentale chez des gens qui doivent augmenter de manière importante leurs dépenses pour le loyer et diminuer leur qualité de vie, en se rabattant sur un logement plus petit, moins à leur goût. Ce qui peut causer beaucoup de stress et affecter la santé mentale. »

Selon Mme Meighen-McLean, qui travaille pour l’équipe proximité/itinérance depuis 10 ans et détient un mandat d’agente pivot en itinérance pour le CIUSSS-EMTL, se retrouver en situation d’itinérance peut également exacerber des symptômes déjà présents chez les individus. « Les gens se retrouvent en situation de survie, à la recherche constante de nourriture, d’un endroit où dormir, et vivent l’anxiété qui vient avec ça. Les impacts sur la santé mentale sont importants et certains vont adopter des stratégies d’adaptation, comme augmenter leur consommation de substances, par exemple. C’est difficile de départager par où ça commence », constate-t-elle. 

Jean-François Plouffe, chargé de dossiers et de communications pour Action Autonomie (Courtoisie)

Action Autonomie, un collectif de défense de droits situé dans l’arrondissement Rosemont–La PetitePatrie, appuie les citoyens de tout statut aux prises avec des troubles de santé mentale. L’organisme s’intéresse plus particulièrement aux mesures d’accompagnement et aux traitements coercitifs qui privent les gens de leur liberté. « On est d’abord là pour les croire, faire valoir leurs droits et les soutenir dans leur volonté », précise Jean-François Plouffe, chargé de dossiers et de communications pour Action Autonomie.

Ce dernier croit lui aussi que la crise du logement actuelle peut contribuer à détériorer l’état mental de toute personne soumise à un stress important. « Et encore plus quand on vit une situation d’itinérance non désirée. Mais ce sur quoi nous voulons attirer l’attention, c’est le fait que vivre ce genre de situation d’anxiété, ce n’est pas le signe d’un mauvais fonctionnement de la sérotonine dans le cerveau, par exemple, qui nécessite directement la prise de médicaments. La solution est d’adopter une approche globale aux problèmes sociaux, qui passe par offrir aux personnes qui en ont besoin une ressource de logement qui correspond à leurs aspirations. »

Pluralité d’approches et de ressources, mais encore du travail à faire

Actuellement, la majorité des refuges montréalais expérimentent une pression quotidienne. Ces ressources précieuses sont généralement remplies à pleine capacité, en peu de temps. L’équipe proximité/itinérance, qui a débuté ses interventions dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, a grandi pratiquement aussi rapidement que la problématique d’itinérance dans la métropole. Elle se présente régulièrement dans les différents refuges de ce secteur de l’est pour rencontrer les personnes qui s’y trouvent. « Notre mandat est d’aller vers les communautés et les milieux pour rencontrer les gens qui sont loin du système de santé, pour essayer de les ramener vers celui-ci afin de leur offrir des services sociaux ou des soins », explique Alison Meighen-McLean.

L’intervenante et son équipe parcourent également les stations de métro environnantes et font des tournées régulières dans le quartier pour rejoindre les personnes en situation d’itinérance et les référer aux différentes ressources qui répondent à leurs besoins. « On va d’abord leur proposer des services, parfois ponctuels, pour stabiliser leur situation au niveau biopsychosocial. Mais c’est certain qu’on va y aller modestement, on n’a pas plus accès que n’importe qui à des logements pour eux, on ne sort pas tous les gens qu’on rencontre de la rue, malheureusement. »

Pour Alison Meighen-McLean, il est important que l’équipe traitante reste impliquée auprès des usagers sur le long terme, quelle que soit leur situation. « Le statut domiciliaire d’une personne ne doit pas être garant de la prestation de services qu’elle va recevoir dans le réseau de la santé. Tous devraient avoir accès à un suivi égalitaire en santé mentale. »  Elle ajoute que la situation d’itinérance est vue comme un critère de priorisation, selon la « Stratégie d’accès aux services de santé et aux services sociaux pour les personnes en situation d’itinérance » du gouvernement québécois. « Est-ce que c’est parfait et bien huilé comme système, comme stratégie? C’est certain qu’il reste du travail à faire, mais je vous dirais qu’on constate quand même des améliorations », précise-t-elle.  

Lancé l’an dernier par le CIUSSS-EMTL, le Centre d’expertise en technologie de l’information en santé mentale, dépendance et itinérance (CETI-SMDI) mise quant à lui sur la technologie pour rejoindre les personnes en situation d’itinérance. Son mandat est d’offrir un service de soutien en santé par l’entremise d’outils numériques d’autosoin, d’autogestion et d’accompagnement. « L’utilisation des applications sur les appareils mobiles et des interventions en ligne en santé mentale offrent de nouvelles perspectives pour soutenir la population itinérante et améliorer son bien-être. Malgré ce que l’on pense, les personnes en situation d’itinérance, surtout les jeunes, ont accès à un téléphone. Près de la moitié des jeunes en situation d’itinérance ont un cellulaire », nous a indiqué par écrit Jennifer Dahak, co-directrice du CETI-SMDI. 

Jean-François Plouffe, d’Action Autonomie, constate quant à lui l’existence d’un « certain paradoxe » en ce qui concerne l’accès aux soins pour les individus atteints de troubles mentaux. « Quand on ressent le besoin d’avoir des soins en santé mentale, il est très difficile d’en obtenir. Les gens qui se présentent dans des établissements de santé vont se faire dire qu’il y a des listes d’attente, alors qu’ils sont parfois dans une situation d’urgence. Et quand des personnes ne souhaitent pas recevoir de soins ou de services, ils les obtiennent de force. Elles sont par exemple amenées à l’hôpital par des policiers, sans trop comprendre ce qu’il leur arrive. »

Un des problèmes du milieu institutionnel serait sa « vision très étroite » de ce que constitue le soin en santé mentale, croit M. Plouffe. « Ça passe à peu près obligatoirement par de la médication pharmaceutique. Or, ils existent plusieurs autres avenues qui sont pratiquées par des organismes alternatifs en santé mentale, comme des groupes de discussion ou de gestion autonome de médication », précise-t-il.  

En concluant sur le dossier de l’itinérance et de sa hausse remarquée dans la métropole, M. Plouffe rappelle que certaines personnes sans domicile fixe le sont « par choix » et ne vivent pas nécessairement de détresse psychologique. « C’est un mode de vie qui leur convient, et elles ne sont pas automatiquement vulnérables. Il ne faut pas coller d’étiquette, car il y a toute une série de réalités qui sont vécues. Dans certains cas, on va rendre ces gens-là vulnérables, par exemple, quand on démantèle leur campement organisé, qui leur apportait une stabilité, une sécurité et des liens avec des intervenants. Et c’est là qu’apparaissent finalement chez eux un déséquilibre émotionnel, des troubles et une certaine frustration, qu’on va ensuite mettre sur le compte de leur état mental… », déplore-t-il.


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