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Crédit photo : archives de l’arrondissement de Saint-Léonard.

SAINT-LÉONARD : TERRE D’ACCUEIL DE LA PLUS GRANDE COOP D’HABITATION AU QUÉBEC

L’introduction de la Révolution Industrielle au Québec, au milieu du 19e siècle, s’accompagne d’un mouvement de la population que l’on qualifiera « d’exode » rural. Cette population résidant à l’extérieur des grands centres urbains (surtout Montréal) quitte alors en grand nombre pour les villes et les emplois en usines. Les quartiers ouvriers de Montréal, situés près du port et le long du fleuve Saint-Laurent, vont éventuellement déborder.

La grande crise économique des années 1930, qui freine la construction de logements, aggrave considérablement la situation du manque d’habitations pour les ouvriers en ville. Des familles partagent leur logement avec une autre famille; elles s’entassent dans des logements étroits, insalubres, délabrés… avec tous les problèmes qui en découlent.

Crédit photo : Société d’histoire du Plateau Mont-Royal.

Quelques années plus tard, la Deuxième Guerre mondiale attire une autre vague de migration vers la ville en raison des emplois en usine converties pour l’armement militaire. Au niveau de la crise du logement, l’état de guerre amplifie le problème puisqu’il impose notamment un rationnement sur plusieurs matériaux de construction. Et puisque l’après-guerre signifie aussi le retour des soldats au pays, il faudra bien trouver des solutions, une fois pour toutes, à cette crise du logement qui perdure.

Amen!

La solution à cette crise du logement se trouvera, en bonne partie à l’époque, au sein du monde coopératif et catholique.

Rappelons que l’on trouve au Québec des sociétés de secours mutuel et des coopératives agricoles dès la moitié du 19e siècle. En 1900, Alphonse Desjardins crée sa coopérative d’épargne à Lévis pour libérer la classe populaire canadienne-française des prêts usuraires et de l’endettement…puis pour lutter contre le communisme! Son initiative est ouvertement soutenue par le clergé.

En réponse à la grande crise économique, des coopératives apparaissent dans diverses sphères d’activités : foresterie, pêcherie, éducation, agro-alimentaire, services sociaux et de santé puis… en habitation. Entre 1941 et 1968, le mouvement coopératif va ériger plus de 10 000 maisons au Québec. En plus de loger des familles, les coopératives d’habitations vont enfin rendre possible l’accès à la propriété pour la classe ouvrière.

Un acteur majeur dans le mouvement coopératif d’habitation est la Ligue ouvrière catholique, communément appelée la LOC. Elle est un mouvement social et religieux créé en 1938 qui désire maintenir la population dans une ligne morale stricte grâce à l’action sociale. On vise à améliorer les conditions de vie de la classe populaire canadienne-française. Elle croit pouvoir façonner l’individu en agissant sur son environnement, ce qui explique pourquoi elle favorise la maison unifamiliale dans son projet coopératif.

L’entassement dans les logements en milieu urbain est perçu par la LOC comme une menace morale à la famille catholique et un danger pour la propagation d’idéaux communistes. Oui encore eux, ces fameux « communistes »… La maison unifamiliale est donc idéalisée en raison de son environnement homogène, loin des usines et des idées… subversives. Mais elle est aussi bien sûr synonyme d’accès à la propriété, de confort, de calme, de salubrité et de sécurité.

La LOC fait pression sur les divers paliers de gouvernement, et ses démarches portent fruit. La Ville de Montréal offre des terrains à bas prix accompagnés de réductions de taxes. Le gouvernement fédéral, via la Société centrale d’hypothèques et de logement (aujourd’hui Société canadienne d’hypothèques et de logement – SCHL) encourage la construction de logements. Le gouvernement provincial finance quant à lui une partie des taux d’intérêt.

Saint-Léonard, terre d’accueil du logement coopératif

La LOC est derrière la création de la Coopérative d’habitation de Montréal en 1955. En pleine période de gestation de la Révolution tranquille et d’étalement urbain, cette coopérative veut offrir aux familles à revenu modeste l’accès à la propriété grâce au développement planifié. Au départ, la LOC souhaite aider des ouvriers méritants qui s’organiseront en coopératives. « Aide-toi et Dieu t’aidera! »

La Coopérative d’habitation de Montréal est à l’origine de plusieurs développements de projets immobiliers dans la métropole, comme par exemple celui du Domaine Saint-Sulpice, dans Ahuntsic. Celui de Saint-Léonard, qui se réalise entre 1956 et 1962, est toutefois le plus grand au Québec. La coop fait l’acquisition en 1955 d’une terre dans la municipalité de Saint-Léonard, où pas moins de 655 maisons unifamiliales seront construites. On produit au rythme de 10 maisons par mois, et on introduit à ce moment un nouveau mode de vie à Saint-Léonard : la banlieue.

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Armand Delorme de Saint-Léonard au concours de labour de Beauport en 1921, qu’il remportera. (Collection Stéphane Tessier).

Il faut dire qu’à cette époque, la petite municipalité qui se nomme Saint-Léonard-de-Port-Maurice est un milieu rural composé principalement de terres agricoles, de fermes et d’une population homogène canadienne-française catholique. On surnomme Saint-Léonard le « Jardin de Montréal ».

Les origines de cette banlieue en devenir remontent au temps de la colonie française. En 1721, on fait mention pour la première fois de la Côte Saint-Léonard, qui est un prolongement de la Côte Saint-Michel, l’actuelle rue Jarry. La paroisse Saint-Léonard-de-Port-Maurice est créée en 1885. Son territoire est issu du détachement des paroisses du Sault-au-Récollet et de la Longue-Pointe. Puis en 1886 naît la municipalité de Saint-Léonard-de-Port-Maurice. On se donne un lieu de culte en 1889, l’église Saint-Léonard-de-Port-Maurice, que l’on peut toujours apercevoir au 5525, rue Jarry Est. À proximité, plusieurs maisons d’une autre époque témoignent toujours de ce passé rural. La maison François-Dagenais (5555, rue Jarry Est) construite vers 1774, en est un exemple éloquent. En 1921, on y recense que 326 habitants. À titre d’anecdote, soulignons que le paysage bucolique de Saint-Léonard et de Saint-Michel attire, au début du 20e siècle, le groupe des « peintres de la Montée Saint-Michel ».

La Coopérative d’habitation de Montréal achète donc, en 1955, la terre de la famille Renaud, au nord de la rue Jarry. Ce territoire occupe aujourd’hui le secteur des rues Aimé-Renaud, des Artisans, Alphonse-Desjardins, de la Place des Fondateurs et autres rues avoisinantes. Un vaste complexe domiciliaire est alors en voie de développement. Des maisons unifamiliales apparaissent et côtoient dorénavant des fermes et des terres agricoles. Le monde rural commence à se transformer en banlieue typiquement nord-américaine.

Au départ, la municipalité de Saint-Léonard s’oppose à ce projet. Peu importe, la Coopérative d’habitation de Montréal débute la construction des maisons sans permis! Le ministre Paul Sauvé est présent pour la première pelletée de terre. L’Archevêque de Montréal, Paul-Émile Léger, est présent au printemps 1956 pour bénir les premières constructions. Il sera de retour en septembre 1962 lors de l’inauguration des dernières maisons. La municipalité est alors en face d’un fait accompli et régularise la situation, mais on « oublie » d’effectuer plusieurs travaux de pavage, de raccordement au réseau d’aqueduc, au réseau d’électrification, etc., alors que la mauvaise intention du côté des administrateurs municipaux est plutôt évidente. Les premiers sociétaires qui prennent possession de leur propriété en 1956 font ainsi face à plusieurs désagréments comme des égouts et des aqueducs défectueux, des rues en terre battue boueuse au printemps, et autres. À l’été 1958, on célèbre tout de même la construction de la 250e maison en organisant un défilé sur la rue Aimé-Renaud.

L’église Saint-Léonard-de-Port-Maurice et la Maison François-Dagenais. (Photo : Stéphane Tessier).

Suivant sa mission, la Coopérative va recruter tout au long de son développement des sociétaires à revenu modeste, mais considérés « stables ». On choisit les candidats en fonction de leurs bonnes mœurs et de leur stabilité financière. Près de 800 personnes posent leur candidature pour espérer acquérir l’une des 655 maisons. On organise des séances d’informations dans les écoles à proximité. Des tirages sont faits et les gagnants peuvent alors prendre possession de leur nouvelle résidence!

Vue aérienne de Saint-Léonard en 1958. ( Photo : archives de l’arrondissement de Saint-Léonard).

Les sociétaires peuvent acheter à l’époque sept modèles de maisons unifamiliales. En fonction des prix et des moyens, on peut mettre la main sur une petite maison à pignon à un étage, un bungalow à un étage ou à paliers, un bungalow en « L » à toit plat, etc. Le prix se situe entre 8 500 $  et 12 000 $.

Défilé de la célébration de la 250e maison construite sur la rue Aimé-Renaud, août 1958. (Photo : archives de l’arrondissement de Saint-Léonard).

À Saint-Léonard, la Coopérative d’habitation de Montréal atteint ses objectifs avec des prix donc très accessibles. La moyenne canadienne est à ce moment 30 % plus élevée que les prix offerts par la coop. Tel que prévu, les sociétaires sont pour la plupart issus de la classe ouvrière et de la classe moyenne.

Ces maisons doivent répondre à certains critères moraux, nous rappelant le rôle joué à l’origine par la LOC. Voici quelques-uns de ces critères : la santé morale de la famille passe par l’hygiène personnelle et la salubrité du logis; le logement doit être assez vaste afin de favoriser la famille; garantir l’intimité de tous les membres de la famille. Ensuite, les logements doivent avoir au moins cinq pièces fermées; les maisons sont minimalement éloignées les unes des autres afin de protéger l’intimité de la famille et favoriser la stabilité et l’enracinement de la cellule familiale, tout en se protégeant d’éventuels voisins indésirables; il faut favoriser l’homogénéité sociale et culturelle (!) du voisinage… Bref, une autre époque, quoique pas si lointaine.

Comme on l’a vu, le projet coopératif de Saint-Léonard a inspiré plusieurs familles à s’y établir. L’émergence de cette banlieue jumelée au baby-boom, comme dans les autres banlieues naissantes, entraîne la construction de nouvelles écoles. L’école Wilfrid-Bastien est d’ailleurs érigée en 1959. Des parcs sont aussi aménagés avec des terrains de jeux, piscines; des services de loisirs sont créés; on se donne une bibliothèque municipale… Des commerces ouvrent leurs portes, une station-service, une coopérative d’alimentation, etc.

La population de Saint-Léonard passe de 800 habitants en 1955, à 925 en 1956, 8 000 en 1962, puis à 52 040 habitants en 1971. L’inauguration de l’autoroute Métropolitaine en 1960 va accélérer ce phénomène de transformation en importante banlieue montréalaise. Plusieurs viennent s’y établir, dont des membres de la communauté italienne qui y construisent ces fameux duplex en briques blanches.

Malgré le succès et les accomplissements de la Coopérative de Montréal, elle est au bord de la faillite en 1963. Les sociétaires, une fois maîtres des lieux, se sont désintéressés de la coopérative. On décide de procéder à la liquidation des actifs. Des terrains vacants sont vendus où l’on retrouve aujourd’hui la zone industrielle de Saint-Léonard. Les sociétaires deviennent propriétaires de leur maison. La liquidation est terminée en 1985.

Sur les 655 maisons de ce projet qui a été le plus important au Québec, il n’en restait que 278 en 2012. Plusieurs ont disparu ou ont été modifiées et agrandies pour accommoder des familles  plus nombreuses ou pour les mettre au goût du moment, car les besoins changent bien sûr avec les époques.

Vestiges de la coopérative à Saint-Léonard en 2023. (Photo : Stéphane Tessier).

Cette page d’histoire de Saint-Léonard devrait être une leçon pour les contemporains alors que l’on vit encore une crise du logement qui oblige les familles à quitter la ville pour la banlieue, pour essentiellement les mêmes raisons qu’autrefois! Il est parfois utile de regarder en arrière pour aller en avant. Amen. Mon sermon est terminé!


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est II a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Centre-est de Montréal. Recherche et rédaction : Stéphane Tessier, conférencier, conteur, animateur-historique, guide et chercheur.