SAINT-LÉONARD : LA BATAILLE LINGUISTIQUE AU CINÉMA
La bataille de Saint-Léonard, documentaire réalisé par Félix Rose dont la sortie en salles est prévue le 11 octobre prochain, retrace la célèbre crise linguistique qui a secoué le secteur entre 1968 et 1969. À travers des archives exclusives et un florilège de témoignages, le réalisateur met en lumière les tensions qui ont eu cours entre les communautés francophone et italophone concernant la question de l’éducation bilingue, qui a mené à l’adoption de la loi 101.
Le film d’une durée de 1 h 48 min remonte le temps et plonge le spectateur dans la construction de Saint-Léonard, à l’époque une ville indépendante située à l’est de Montréal (elle deviendra un arrondissement en 2002). « Les images retracent la transformation de Saint-Léonard, qui devient le théâtre d’une bataille ayant marqué un tournant dans l’histoire du Québec. Saint-Léonard est un personnage à part entière du film », explique le réalisateur Félix Rose.
Le long-métrage contient une série d’archives. « Les recherches ont été ardues. Considérée comme une zone agricole peu intéressante, Saint-Léonard était peu filmée à l’époque. J’ai dû me tourner vers des particuliers. Grâce à eux, j’ai pu découvrir des films Super 8 inédits, comme ceux de Mario Barone, qui documentaient la construction de la ville », confie le réalisateur.
L’intégration italienne
Comme l’explique André Lamy, résident léonardois qui a fait partie du Mouvement pour l’intégration scolaire (MIS), Saint-Léonard a connu plusieurs vagues d’immigration italienne : « L’immigration italienne au Québec s’est faite en trois vagues majeures : les années 1910, juste après la Seconde Guerre mondiale, et, la plus importante, à la fin des années 1950. Tandis que les deux premières vagues se sont relativement bien intégrées, avec plus de la moitié des parents qui envoyaient leurs enfants à l’école française, tout a changé avec l’arrivée des Italiens de la troisième vague », raconte-t-il.
« En 1968, 40 % de la population était d’origine italienne, ce qui a occasionné un choc culturel avec les habitants francophones qui étaient là », souligne Félix Rose.
Le documentaire montre l’arrivée de Mario Barone à la fin des années 1950. Grâce à cet entrepreneur italien, beaucoup de ses compatriotes deviennent propriétaires, chose inédite à l’époque. « La communauté italienne était encore plus défavorisée que la communauté des Canadiens-Français, comme on les appelait. Saint-Léonard devenait ainsi la banlieue des immigrants, la ville italienne », raconte le fils de Mario Barone dans le documentaire.
Un combat de langues
L’arrivée en masse de la communauté italienne à Saint-Léonard tisse donc progressivement des tensions, d’abord invisibles. « Les Italiens souhaitaient non seulement pratiquer leur foi dans leur langue maternelle, mais aussi retrouver les éléments paysagers qui évoquaient leur terre natale, comme les techniques de taille des arbres par exemple », explique Félix Rose.
Le conflit éclate lorsque la communauté italienne réclame un enseignement bilingue français-anglais dans les écoles. La Commission scolaire de Montréal accepte. « Dans les années 1960, ça se passait bien. Mais rapidement, certains parents ont réalisé que l’anglais prenait le dessus sur le français et que leurs enfants étaient en train de se faire angliciser », raconte le réalisateur.
C’est là que Raymond Lemieux entre en scène. Cet anglophone devenu francophile fonde le MIS pour mettre fin aux écoles bilingues et faire en sorte que le français soit la seule langue d’enseignement.
Ce débat local prend rapidement une envergure nationale. Il mène ensuite à des émeutes importantes, dont celle du 10 septembre 1969 qui fait 30 blessés et compte 50 arrestations.
Dans les mémoires
La crise linguistique de Saint-Léonard de 1968-1969 résonne-t-elle encore aujourd’hui? « On m’a raconté qu’avant la crise, l’harmonie était forte entre les francophones et les anglophones. Il y avait par exemple beaucoup de mariages multiculturels et ils côtoyaient les mêmes églises. Depuis la crise de Saint-Léonard, ce n’est plus pareil », indique Félix Rose.
Et seulement entre 2017 et 2024, période de tournage du film, le réalisateur a observé que la démographie a changé. « La communauté maghrébine est venue s’installer après les Italiens et est désormais représentative de Saint-Léonard », souligne-t-il.
Preuve étant, les langues maternelles pour la population totale (à l’exclusion des résidents d’un établissement institutionnel) les plus fortes à Saint-Léonard sont le français (30 %), l’italien (17 %) et l’arabe (13 %), d’après le recensement de la population de Montréal de 2021 réalisé par Statistique Canada.
Le documentaire La bataille de Saint-Léonard sortira le vendredi 11 octobre prochain et sera distribué à travers les salles québécoises, dont le Cinéma Beaubien.