Photos : EMM

LA SAINTE-CATHERINE A MAUVAISE MINE

Si ça fait un bail que vous ne vous êtes pas trimballé sur la rue Sainte-Catherine Est, vous risquez de vivre un choc. Vitrines de commerces placardées, affiches à louer, à vendre, c’est gris, et c’est morne. Des quelques commerces qui faisaient figure de véritables institutions, il ne reste plus grand-chose. La Sainte-Catherine a mauvaise mine, et la COVID semble malheureusement enfoncer le clou. En septembre dernier, nous avons recensé une cinquantaine de vitrines placardées, des commerces à vendre ou des espaces commerciaux à louer, en marchant de la rue Dézéry à la rue Viau, avec une concentration bien sûr plus marquée sur la portion représentant la Société de développement commercial (Bourbonnière à Viau).

Constat unanime

En entrevue avec EST MÉDIA Montréal, le maire de l’arrondissement et la direction de la SDC Hochelaga-Maisonneuve n’ont pas tenté de minimiser le piètre état de la rue commerciale, mais selon eux il s’agit d’une situation qui ne date pas d’hier, et qui va demander plus d’efforts que ces dernières années pour redonner à la rue Sainte-Catherine ses lettres de noblesse, si jamais c’est encore possible de le faire. De plus, il paraît qu’il y avait, avant la COVID, moins de locaux vacants sur Sainte-Catherine qu’il y a deux ans. Donc, effectivement, le problème ne date pas d’hier.

« Le problème à la base est structurel, affirme Pierre Lessard-Blais, maire de l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Ça part de l’expropriation massive de centaines, voire de milliers de résidents aux abords de Notre-Dame au début des années 1970 pour l’élargissement d’une autoroute qui n’a finalement jamais vue le jour. La Sainte-Catherine, c’était leur rue commerciale. Il faut savoir que bien avant il y avait aussi une ligne de tramway sur cette artère, ce qui en faisait un lieu de destination qui rayonnait sur une distance beaucoup plus large. Aujourd’hui, au sud de Sainte-Catherine, il n’y a pratiquement plus rien. »

Il est vrai que la rue Sainte-Catherine Est, particulièrement pour le territoire officiel de la SDC, a perdu beaucoup de trafic naturel ces dernières décennies, de consommateurs locaux. Densité résidentielle plus faible, fermeture de commerces et migration des acheteurs vers les centres d’achat expliquent en grande partie le déclin de l’artère commerciale. L’accès limité par transport en commun et le dynamisme de la rue Ontario ajoutent aussi aux difficultés. « Aujourd’hui, en général, quand tu habites dans Hochelaga-Maisonneuve, tu ne vas pas naturellement vers Sainte-Catherine, sauf pour acheter quelque chose de bien spécifique. Tu vas sur Ontario parce qu’il y a de tout, tu peux magasiner, tu peux manger, il y a de l’offre. Et surtout, il y a des stations de métro à proximité, c’est entouré de secteurs résidentiels denses et populeux, et il y a constamment des gens qui circulent sur la rue, ça fait toute la différence », explique Pierre Lessard-Blais, lui-même propriétaire d’un commerce sur Ontario.

Pierre Lessard-Blais (photo : arrondissement de MHM).

Du côté de la SDC Hochelaga-Maisonneuve, qui gère à la fois les rues commerciales Ontario et Sainte-Catherine, on continue de croire que la rue Sainte-Catherine a notamment un certain potentiel pour se développer progressivement autour du thème des ateliers-boutiques d’artisans et de créateurs, et que les initiatives déployées en ce sens ces dernières années ont donné somme toute de bons résultats. D’ailleurs, avis aux intéressés, la Ville ne permet pas d’opérer un atelier-boutique où bon vous semble. La rue Sainte-Catherine Est a fait l’objet d’une dérogation spéciale en ce sens en 2017, ce qui en fait une spécificité assez unique. Mais la COVID est venue chambouler ce développement, en plus de frapper de plein fouet plusieurs commerces déjà fragiles. Certains, qui avaient pignon sur rue de longue date, ont malheureusement dû déposer leur bilan. « Ça fait longtemps qu’on essaie toute sorte de choses pour redynamiser la rue Sainte-Catherine, mais il faut être réaliste, il n’y aura plus de grands va-et-vient de consommateurs sur la rue comme cela a déjà été. C’est aujourd’hui une avenue commerciale ultra locale, ou encore avec certains commerces de destination spécialisés, comme les ateliers-boutiques », avance Jimmy Vigneux, directeur général de la SDC Hochelaga-Maisonneuve.

Les deux grands événements de la SDC qui attirent chaque été les foules sur la rue Sainte-Catherine depuis cinq ans, soit La Grande Fabrique, le plus grand marché extérieur de créateurs québécois (environ 25 000 personnes), et les Shows de ruelle, qui accueillent quelque 10 000 personnes à chaque édition avec des grands noms de la musique québécoise, ont dû être annulés en 2020 à cause de la pandémie. Et cela a particulièrement fait mal. « Pour nous, quand on ne peut pas faire d’événement sur Sainte-Catherine, ça devient très difficile d’attirer des gens. C’est le seul moyen pour mettre en lumière l’artère commerciale et le concept de destination pour les ateliers-boutiques, alors oui, la COVID a fait doublement mal à la Sainte-Catherine cette année », soutient Jimmy Vigneux.

Jimmy Vigneux, directeur général de la SDC Hochelaga-Maisonneuve (photo : SDC HM).

Locaux à louer… mais pas vraiment

Il y a un autre phénomène qui affecte durement le dynamisme de l’artère commerciale depuis le tournant des années 2000. Il s’agit des propriétaires de bâtiments qui ne souhaitent pas réellement louer leurs espaces commerciaux. En surévaluant la valeur de leurs locaux « inoccupés », ils gonflent ainsi leurs pertes de revenus, ce qui les avantages lorsque vient le temps de produire les rapports d’impôt. Une pratique bien connue de la Ville de Montréal, mais qui peine à trouver des solutions pour enrayer ce fléau sur certaines artères commerciales, dont la plus touchée est probablement Sainte-Catherine Est.

« C’est sûr que si tu payes un bloc pas trop cher, parce qu’il est vieux et a besoin de rénovations, parce qu’il est dans un secteur où la valeur est plus basse, et que tu déclares dans ton rapport d’impôt que le local commercial, au rez-de-chaussée, est inoccupé mais vaut 2 500 $ par mois, alors que sur le marché il vaut au plus 1 000 $, ça peut être plus avantageux au niveau fiscal de le laisser vacant. On a ce problème-là sur la rue Sainte-Catherine, et à la Ville je peux dire qu’on essaie de tous bords tous côtés de trouver des solutions à ce problème. Car cette pratique ne bénéficie finalement qu’aux propriétaires, au détriment des résidents du coin et des entrepreneurs qui aimeraient bien s’installer sur la rue commerciale. En plus, ces locaux sont la plupart du temps laissés dans un état assez lamentable », explique le maire de MHM.

Camille Goyette-Gingras, cofondatrice de la coopérative Couturières Pop située au 4799, rue Sainte-Catherine Est, qui connaît beaucoup de succès depuis sa création en 2018, peut témoigner des locaux soi-disant vacants qui pullulent sur la rue commerciale. « J’avais fait pas mal d’appels pour des locaux qui affichaient à louer avant de trouver le local actuel, et j’ai eu très peu de retours. Et ça, c’est quand je réussissais à trouver le numéro de téléphone. Pour plusieurs locaux, on ne pouvait même pas savoir quelle entreprise ou quel proprio était derrière, ou bien la personne responsable était injoignable, à l’étranger, ou peu importe. Bref, il y avait beaucoup d’espaces vacants, mais dans les faits, ils n’étaient visiblement pas à louer », affirme celle qui vient tout juste d’être choisie « jeune leader de l’année » lors du récent Gala ESTim de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal. Mme Goyette-Gingras siège également sur le conseil d’administration de la SDC Hochelaga-Maisonneuve à titre de représentante des commerçants de la rue Sainte-Catherine Est. Sa principale crainte en rapport avec le développement de l’artère commerciale est que le taux de vacance demeure très élevé à cause du phénomène. « C’est sûr que si tu te promènes et qu’entre deux commerces intéressants tu croises cinq espaces vides ou des vitrines aux rideaux fermés qui cachent on ne sait pas quoi, eh bien ça ne te donne pas le goût d’y revenir. Tant que nous ferons face à ce problème, ce sera difficile selon moi de dynamiser la rue commerciale », ajoute-t-elle.

Camille Goyette-Gingras, co-fondatrice de Coop Couturières Pop (photo : courtoisie).

À noter que plusieurs des rez-de-chaussée à vocation commerciale qui semblent inoccupés ou servir à d’autres fins sont situés à l’ouest de la rue Bourbonnière, soit à l’extérieur de la zone de la SDC, quoique cette dernière avoue aussi faire face à certains cas problématiques, tel qu’expliqué précédemment.

Un aménagement qui sera revu par la Ville

Selon Pierre Lessard-Blais, l’arrondissement serait actuellement à planifier d’importants travaux de réaménagement sur la rue Sainte-Catherine Est. « On prévoit d’ici trois ou quatre ans la réfection de la rue entre William-David et Viau. On cherche à améliorer la convivialité de l’artère commerciale, l’expérience des utilisateurs, des visiteurs, et à apaiser la circulation car il y a beaucoup d’automobilistes qui tentent de contourner le trafic sur Notre-Dame dans les heures de pointe en bifurquant sur Sainte-Catherine, ce qui cause beaucoup de problèmes », soutient le maire d’arrondissement.

Selon Jimmy Vigneux de la SDC, la rue Sainte-Catherine Est bénéficierait alors, entre autres, d’installations lumineuses dignes d’une artère commerciale des temps modernes et d’un mobilier urbain « qui vont donner une certaine ambiance beaucoup plus agréable, un sentiment de sécurité, et améliorer considérablement l’aspect général de la rue Sainte-Catherine. »

Le REM dynamisera-t-il la rue Sainte-Catherine?

Le grand projet de transport collectif structurant qui s’annonce dans le sud-est de Montréal, soit probablement le prolongement du REM, risque de bénéficier fortement à la rue Sainte-Catherine. Son tracé devrait vraisemblablement longer la rue Notre-Dame, reste à savoir où seront situées les stations et en quelle quantité. Est-ce que ce grand projet de développement du territoire est la solution rêvée pour redonner de la vigueur aux commerces de la rue Sainte-Catherine? Selon Pierre Lessard-Blais, oui. « D’après-moi ça pourrait être le fer de lance de la relance (sans jeu de mot) de Sainte-Catherine. Tout dépendant des stations envisagées, le REM ou le tramway pourrait générer beaucoup de va-et-vient sur l’artère commerciale. Les gens en transit pourraient alors être intéressés à y faire des emplettes, à prendre un café, etc. C’est justement un apport de ce genre que ça prend, donc il faudra surveiller de près la planification de ce grand projet et faire valoir nos revendications », clame M. Lessard-Blais.

Selon Jimmy Vigneux, le projet de REM ou de tramway est à la fois excitant… et bien loin dans ses priorités. « Je me souviens qu’il y a dix ans, j’étais sur Sainte-Catherine et tout le monde était sûr que la rue Notre-Dame allait être refaite. Depuis rien n’a bougé. Donc oui, bienvenue aux grands projets, mais ça demeure de l’expectative et de toute façon, si ça se fait, cela va prendre probablement encore bien des années à se réaliser. Penchons-nous alors sur ce que l’on peut faire localement, maintenant, pour améliorer le sort de Sainte-Catherine, comme la réaménager par exemple », déclare-t-il.

L’avenir appartient aux créateurs… si les moyens sont là

Si le constat semble évident à savoir que la rue Sainte-Catherine Est ne foisonnera jamais plus d’un grand nombre de commerces de proximité, à l’instar de la rue Ontario par exemple, elle n’est pas pour autant vouée nécessairement à un avenir moribond. Et il y a toujours des commerces qui connaissent du succès, comme la quincaillerie, le supermarché Métro, Jean-Coutu, Mercerie Roger ou encore Coop Couturières Pop, pour ne nommer que ceux-ci.

« Et il faut parfois faire attention aux fausses perceptions. Nous savons par exemple que plusieurs espaces sont aujourd’hui occupés par des professionnels, qui n’ont pas de vitrine aménagée comme des commerçants traditionnels. Beaucoup de ces petits bureaux se sont installés ces dernières années, mais c’est moins spectaculaire pour les passants. La rue Sainte-Catherine est aussi en transformation en ce sens et c’est peut-être une avenue intéressante que d’attirer encore plus de professionnels pour louer les pieds carrés, qui sont beaucoup plus abordables qu’au centre-ville ou sur Saint-Laurent, par exemple », affirme Jimmy Vigneux.

Le directeur général de la SDC est aussi convaincu que le concept de regrouper des ateliers-boutiques d’artisans et créateurs demeure une idée viable à longs termes, en autant que les moyens financiers pour y arriver soient sur la table. « Il va falloir régler le problème des propriétaires qui ne veulent pas louer; il va falloir que beaucoup de ces espaces soient non seulement rendus disponibles, mais soient aussi rénovés et prêts à accueillir des locataires; il va falloir être en mesure d’offrir des incitatifs financiers pour aider et attirer des artisans, des créateurs, jusqu’à atteindre une masse critique qui va permettre à la rue Sainte-Catherine de s’identifier comme étant la rue des créateurs. Il faudra aussi bien sûr réaménager physiquement la rue. Tout cela va demander des investissements ou des moyens que nous n’avons pas en ce moment, il faudra que les autorités se mobilisent pour redynamiser la rue Sainte-Catherine, on est rendu là », dit-il.

Une opinion que semble partager le maire de l’arrondissement. « La SDC fait des choses qui fonctionnent bien pour la rue Sainte-Catherine, comme La Grande Fabrique, les Shows de ruelle, une image de marque forte, etc. À la Ville on met aussi beaucoup d’efforts pour cette rue. Mais je pense sincèrement que ça va prendre plus que cela pour changer la donne avec Sainte-Catherine. Ça va prendre un ensemble de mesures concertées des acteurs locaux et des paliers de gouvernement, une nouvelle réflexion, et la clef se trouve selon moi dans l’arrivée du transport structurant sur Notre-Dame », conclut Pierre Lessard-Blais, nouveau co-président du Comité de développement économique de l’Est de Montréal (CDEM). Un beau sujet de discussion pour cette grande table de concertation où siègent les « forces vives » de l’est.