Le cratère de la carrière O. Martineau en 1938

Le cratère de la carrière O. Martineau en 1938, futur emplacement du parc Père-Marquette. Source : Archives de la Ville de Montréal, VM094-Z308-01.

ROSEMONT−LA PETITE-PATRIE : UN ARRONDISSEMENT PARSEMÉ D’ANCIENNES CARRIÈRES

De nombreuses carrières ont jadis parsemé l’arrondissement de Rosemont−La Petite-Patrie. La photo aérienne qui suit, prise en 1925, vaut mille mots. D’un simple coup d’œil on saisit l’immensité des carrières de pierre grise de l’époque. Encore qu’on ne voit ici que les carrières de l’ouest du territoire de l’arrondissement. D’ouest en est on reconnaît sur la photo les courbes de la rue des Carrières, à partir de la croisée de la voie ferrée et de l’avenue Christophe-Colomb. La rue passe à proximité de la carrière Joseph Gravel (Montreal Quarry) et longe la carrière O. Martineau (aussi appelée carrière Papineau), sur ce qui deviendra le parc Père-Marquette, puis croise l’avenue Papineau pour rejoindre l’avenue De Lorimier. Entre Christophe-Colomb et Papineau, il n’y avait donc pratiquement que des carrières!

Vue aérienne des carrières de la Petite-Patrie, 1925. Source : Archives de la Ville de Montréal, VM97-3_01-058.

Les autres secteurs de l’arrondissement comptaient aussi nombre de carrières. D’après un relevé de la Ville publié en 2015, on ne situait pas moins de 24 anciennes carrières sur tout le territoire de l’arrondissement. Il s’agissait entre autres, en plus des carrières mentionnées plus haut, de la De Lorimier Quarry du côté ouest de la rue D’Iberville (en partie sous l’immeuble de la mairie de l’arrondissement), de la carrière Rogers & Quirk du côté est de la même rue (l’actuel parc Rosemont), et de la carrière De Lorimier & Rogers, en partie sous le parc du Pélican. On trouvait également la carrière Martineau, en partie sous le parc Lafond, ainsi que la carrière Bélanger, un peu plus à l’est entre Masson et Laurier. Encore plus à l’est, la carrière Rhéaume s’étendait quant à elle de part de d’autre du boulevard Rosemont, en partie sous l’actuel parc Maisonneuve.

Vue des anciennes carrières et dépôts de surface ─ Rosemont−La Petite-Patrie. Source : Archives de la Ville de Montréal, Service de l’environnement, Division de la planification, 2015.

Jusqu’au début des années 1930, l’arrondissement était donc pratiquement un gruyère parsemé de cratères de carrières. Mais les beaux jours des carrières se termineront bientôt. Les meilleurs lits de pierre sont épuisés et l’industrie dorénavant mécanisée ne fournit plus autant d’emplois. Le béton offre également une alternative comme matériau de construction. Surgissent alors les inconvénients de ces immenses cratères, souvent remplis d’eau et représentant un danger pour la population avoisinante. De fait, les noyades y sont fréquentes puisque les bassins sont devenus des terrains de jeu attirants pour les enfants, de même que pour les adultes d’ailleurs.

On a malheureusement trop souvent à regretter des noyades, les enfants allant s’y baigner parce que, tels que l’arguent des représentants du quartier, il n’y a pas de bain public dans le secteur à l’époque.

Reconnue comme « la plage Rosemont », l’ancienne carrière Martineau localisée au sud de la rue Masson à l’angle de la 16e Avenue, est le témoin d’un autre drame survenu en mai 1941 alors qu’un bambin de 8 ans a péri pour avoir été poussé dans le bassin d’une cinquantaine de pieds de profondeur.

Journal Le Canada, 23 mai 1941, p16.

Périodiquement, d’autres événements similaires ont eu lieu dans les environs comme cette mystérieuse noyade de deux hommes dans la trentaine qui, apparemment, auraient pu se quereller avant que l’un d’eux ne tombe à l’eau et que le second se précipite pour tenter de le sauver…

Le petit journal, 28 août 1949, p35.

Devant de tels sinistres qui se produisaient aussi dans les autres carrières, la Ville décida donc, dans un premier temps, d’obliger les propriétaires de carrières de clôturer leurs propriétés, de les assécher et de les faire garder jour et nuit. Comme ces exigences eurent plus ou moins de succès, on procéda donc finalement à leur expropriation pour y enfouir des déchets et des cendres afin de les remblayer puis de les transformer. Le remblaiement, qui s’est effectué graduellement entre les années 1920 et 1960, ne se fit d’ailleurs pas sans heurts car de nombreux citoyens se plaignirent souvent des mauvaises odeurs dégagées par les ordures.

Le cratère de la carrière O. Martineau en 1938

Le cratère de la carrière O. Martineau en 1938, futur emplacement du parc Père-Marquette. Source : Archives de la Ville de Montréal, VM094-Z308-01.

Dépotoir de la carrière O. Martineau, 22 juin 1951. Source : Ville de Montréal, Service des travaux publics.

Finalement, une fois les carrières remblayées, on entreprendra principalement l’aménagement de parcs. Ce fut le cas notamment du parc Père-Marquette en 1955 (carrière O. Martineau, ou Papineau), mettant aux oubliettes l’idée d’un parc géologique proposé par deux universitaires en 1939. Le parc du Pélican (carrière Delorimier & Rogers) sera aménagé au début des années 1960, alors que le parc Lafond (carrière Martineau) le sera au début des années 1970. Mais plusieurs habitations seront aussi bâties sur d’anciennes carrières transformées en dépotoirs comme l’apprendront plusieurs propriétaires en 2015, après le dévoilement d’une étude datant de 1994 et portant sur une soixantaine de sites potentiels d’enfouissement dans la Ville de Montréal, dont plusieurs localisés dans Rosemont−La Petite-Patrie.

Fin du remblaiement de la carrière Martineau (circa 1952-53). Source : Archives ShRPP.

De nos jours, les carrières n’ont donc pas fini de révéler leurs secrets. Rappelons-nous toutefois que, si l’arrondissement peut aujourd’hui bénéficier de nombreux parcs et espaces verts accessibles aux citoyens, c’est en grande partie grâce à elles. Après avoir joué un rôle significatif dans le développement économique de notre territoire autrefois si éloigné de la grande ville, les carrières enfouies sous les décombres resteront des espaces verts de proximité qui feront longtemps encore la joie de leurs visiteurs.


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est II a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Cœur-de-l’Île.
Recherche et rédaction : Société d’histoire Rosemont-Petite-Patrie.