Une image de synthèse illustrant le potentiel de développement sur le terrain de Broccolini (Capture d’image/Broccolini)

ANJOU : LE RETRAIT ENVISAGÉ DE MILIEUX HUMIDES MIS DE CÔTÉ

Une nouvelle réglementation de la Ville de Montréal pousse un promoteur immobilier à retirer ses plans pour le développement industriel d’un terrain sur lequel se trouvent des milieux humides. Des informations obtenues par EST MÉDIA Montréal démontrent que la question de ces milieux naturels est dans la mire du propriétaire depuis quelques années.

Le promoteur immobilier Broccolini est propriétaire d’un terrain situé dans l’arrondissement d’Anjou et une petite portion de Montréal-Est, aux abords du boulevard Métropolitain. Or, jusqu’à tout récemment, l’entreprise faisait la promotion du site afin d’y attirer un occupant pour y développer un projet industriel.

Dans une fiche technique précédemment disponible sur son site internet, Broccolini présentait cette « incroyable opportunité de développement industriel dans l’arrondissement d’Anjou à Montréal ».

« Un terrain de près de 2,5 millions pi² situé sur le boulevard Métropolitain Est, avec une visibilité incroyable à partir de l’autoroute et un accès direct au site à partir de la voie de service. Empreinte maximale du bâtiment de plus de 1 million de pi², facilement accessible par les transports en commun et entouré de nombreuses commodités dans la région. Idéal pour un développement à locataire unique ou multi-locataires », résumait l’annonce.

Depuis, cette fiche explicative n’est plus disponible. On pouvait pourtant encore y accéder en date du 25 avril dernier.

Une proposition d’aménagement d’un site industriel par Broccolini. La mention « milieu humide à retirer » est visible sur la carte (Capture d’écran/Broccolini)

En effet, à la suite de questions envoyées par EST MÉDIA Montréal, le promoteur immobilier a précisé que les précédents plans avaient été enlevés afin de se conformer au Règlement de contrôle intérimaire (RCI), récemment adopté par la Ville de Montréal. Or, les plans retirés par Broccolini proposaient de « retirer » des milieux humides présents sur le terrain dans deux scénarios suggérés aux potentiels occupants.

Le document informatif a été retiré du site du promoteur immobilier (Capture d’écran/Broccolini)

Après avoir informé l’entreprise du fait que ses plans mettaient de l’avant la destruction de milieux humides, Broccolini a révisé le tir. « Le plan auquel vous faites référence a été élaboré avant l’entrée en vigueur du RCI, nous l’avons donc retiré », explique Noémie Lévesque, gestionnaire de marque chez Broccolini. Depuis, la fiche technique dans laquelle se trouvaient les plans concernés n’est plus disponible sur le site de l’entreprise.

Mme Lévesque assure que, depuis l’adoption en 2024 du RCI, dont l’objectif premier est de protéger les milieux humides dans l’agglomération de Montréal, Broccolini travaille « en étroite collaboration avec les instances concernées afin d’identifier les meilleures avenues d’utilisation pour ce terrain, dans l’éventualité d’un projet futur ».

Un règlement pour protéger les milieux humides

En janvier 2024, la Ville de Montréal a adopté un RCI visant la protection des milieux humides et d’une aire de protection de 30 mètres autour de ceux-ci.

L’adoption de cette réglementation s’est faite dans le cadre de l’élaboration et du dépôt d’un plan régional des milieux humides et hydriques de l’agglomération montréalaise, tel que le prescrit la Loi québécoise sur la conservation des milieux humides et hydriques. Ce plan vise à atteindre un objectif d’aucune perte nette de milieux humides et hydriques.

Contactée à ce propos, la Ville confirme que le terrain de Broccolini « comporte des milieux humides identifiés d’intérêt pour la conservation et assujettis à la règlementation ». Toutefois, une « partie du terrain demeure développable », explique la Ville dans un courriel.

Or, il semble que les efforts de conservation des milieux humides ont été dans la mire de Broccolini depuis longtemps. En janvier 2025, l’entreprise a ouvert un mandat auprès du registre des lobbyistes du Québec.

Deux employés de Broccolini, Anthony Da Ponte et Simon Shon Benlolo ont ainsi été mandatés pour communiquer avec les employés et les élus de l’arrondissement d’Anjou, de la Ville de Montréal, la Ville de Montréal-Est et la Communauté métropolitaine de Montréal. Cette ouverture de mandat en suivait plusieurs autres sous la même rubrique, dont le plus ancien a été ouvert en 2019 par Roger Plamondon, un consultant embauché par Broccolini.

Le plus récent mandat a pour objectif de permettre la « réalisation d’un projet de développement immobilier à vocation commerciale et industrielle sur un terrain vacant situé le long du boulevard Métropolitain Est, entre les rues Roger-Rousseau et Joseph-Vallières, en partie dans l’arrondissement d’Anjou et la ville de Montréal-Est ». Plus précisément, les représentations visent des questions sur une précédente version du RCI, adoptée en 2022, ainsi que des discussions quant à une éventuelle piste cyclable située à proximité du projet, installée sur une emprise cédée à la Ville.

À la suite d’une demande d’accès à l’information, EST MÉDIA Montréal a pu obtenir une copie d’échanges par courriel entre les deux employés de Broccolini et de l’arrondissement d’Anjou. Au fil de ces discussions qui se sont déroulées entre le 13 juin 2023 et le 18 décembre 2024, les représentants de l’entreprise posent des questions à une employée de l’Arrondissement sur un « projet potentiel » sur le terrain concerné, ainsi qu’au sujet du « nouveau RCI ». La possibilité d’installer un panneau d’affichage pour promouvoir l’achat ou la location du terrain et dont les dimensions pourraient être dérogatoires à la règlementation est aussi soulevée.

Questionnée au sujet de ces échanges et sur ses objectifs découlant de ces conversations, notamment à savoir si l’entreprise souhaitait obtenir une dérogation afin de retirer les milieux humides du terrain, Mme Lévesque assure que le promoteur immobilier a « toujours respecté les exigences applicables » liées au RCI et continuera à le faire. Broccolini demeurera « pleinement aligné avec l’objectif d’aucune perte nette de milieux humides et hydriques », insiste-t-elle dans un courriel.

Pour sa part, la Ville précise qu’à ce jour « aucun projet n’a été déposé pour ce terrain ».

Plusieurs projets

Ce n’est pas la première fois qu’un projet planifié sur ce terrain tombe à l’eau. Acquis en 2021 par Broccolini, le site était pressenti pour accueillir un entrepôt de la multinationale Amazon.

En janvier dernier, EST MÉDIA Montréal confirmait que ce projet était mort au feuilleton, notamment parce qu’Amazon s’était récemment départi de toutes ses installations d’entrepôt et de logistique au Québec.

La Ville avait d’ailleurs négocié avec le propriétaire le passage et la construction d’une voie cyclable sur une emprise du terrain, en lien avec le fait que Montréal n’avait pas acquis le terrain par préemption.

« La piste cyclable sera intégrée dans tout projet éventuel de développement », assure à son tour Mme Lévesque. D’ailleurs, la présence de celle-ci avait été incluse aux plans mis au rancart de Broccolini.

Des milieux humides d’intérêt

Bien qu’ils n’occupent qu’une petite portion du terrain de Broccolini, les milieux humides qui s’y trouvent présentent des particularités intéressantes. Selon une carte de l’organisme Canards Illimités Canada, deux marécages sont ainsi présents sur le lot, près du boulevard Métropolitain.

D’après Stéphanie Murray, coordinatrice de la cartographie détaillée pour l’organisme en protection de l’environnement, les marécages en milieu urbain subissent généralement beaucoup de pression et ont une grande valeur environnementale, notamment en ce qui a trait à la rétention et à la filtration des eaux. « Tous les milieux humides sont rares à Montréal. Ils méritent donc tous d’être conservés », soutient-elle.

Les marécages urbains peuvent en outre abriter plusieurs espèces animales, dont la couleuvre brune, certaines espèces de grenouilles, de canards et de libellules. Des essences d’ormes et de frênes se trouvent fréquemment dans ce type d’environnement. D’ailleurs, afin de mieux connaître la composition des marécages d’Anjou, il faudrait créer un inventaire biologique et une caractérisation du milieu, propose Mme Murray.

Par ailleurs, Canards Illimités et le ministère de l’Environnement travaillent actuellement à la mise à jour de la cartographie détaillée des milieux humides de ce territoire. La nouvelle base de données devrait être disponible l’an prochain.

Enfin, Mme Murray note que beaucoup de ces milieux humides urbains ont disparu durant les dernières années au Québec. C’est pour cette raison que le gouvernement provincial a adopté en 2017 la Loi québécoise sur la conservation des milieux humides et hydriques. « L’objectif est d’éviter autant que possible la destruction de ces milieux. Lorsque ce n’est pas possible, on tente de minimiser les impacts en réduisant la superficie affectée, sans toutefois éliminer complètement les milieux humides. Et dans les cas où leur retrait complet est inévitable, des mesures de compensation sont mises en place, notamment par la restauration ou la création de milieux humides », explique la coordonnatrice.