Projection du REM sur la rue Notre-Dame (images courtoisie CDPQ).

REM DE L’EST : L’IMMENSE DÉFI DU NOUVEAU COMITÉ AVISEUR

De toute évidence, et au grand dam de la CDPQ Infra et du gouvernement du Québec, l’acceptabilité sociale du REM de l’est, dans sa portion aérienne, n’est pas au rendez-vous. À peu près tout ce qui chronique et commente à Montréal déplore à répétition, depuis l’annonce du projet en décembre dernier, la solution d’une structure surélevée sur le boulevard René-Lévesque et sur la rue Sherbrooke est, surtout dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Les heureux, eux, se font plutôt discrets dans les médias, s’il y en a. Il est vrai toutefois que l’antenne nord-est du projet, enfouie celle-là, semble en général bien accueillie, tout comme est saluée la volonté des instances publiques d’investir la très considérable somme de 10 milliards de dollars pour du transport collectif dans l’est de Montréal.

C’est dans ce cadre mouvementé en termes de relations publiques qu’EST MÉDIA Montréal s’est entretenu la semaine dernière, pendant près d’une heure, avec Virginie Cousineau, porte-parole du REM de l’est pour le compte de la CDPQ Infra. Une rencontre plutôt franche où l’on a pu constater à la fois une réelle volonté de dialogue et d’écoute de la part de l’organisation, mais visiblement, aussi une mince marge de manœuvre pour changer les plans de manière substantielle, du moins en date d’aujourd’hui. Au cours des derniers jours, la direction de la CDPQ Infra a d’ailleurs reconfirmé que la solution sera aérienne pour le tracé controversé, sans ouvrir véritablement la porte à un métro de surface, et encore moins à l’enfouissement de ce dernier (trop contraignant techniquement).

Ainsi, les prochains mois seront cruciaux pour la suite du projet du REM de l’est, car le « vrai » travail commence pour la CDPQ Infra, qui devra convaincre à la fois certaines instances publiques majeures (ville-centre, arrondissements, organismes) et la société civile de la pertinence d’un REM aérien le long du Saint-Laurent jusqu’à la Pointe-de-l’Île. Rappelons que la CDPQ Infra a promis dès le lancement du projet un design très différent de celui utilisé dans l’ouest de l’île et mieux intégré au cadre urbain (même un projet signature pour Montréal). Pour ce faire, le promoteur annonce la création d’un comité aviseur, composé notamment d’experts de nombreuses disciplines, dont le rôle sera de proposer un design et une intégration au territoire qui saura rallier les parties prenantes et les populations locales. Une proposition qui devrait être présentée publiquement à la fin de 2021, espère la CDPQ Infra. « Nous avons mis en place ce comité aviseur cette fois en amont de l’élaboration de l’architecture et des stations, ce qui n’a pas été le cas pour le REM de l’ouest, les contrats de construction étaient déjà signés. Nous avions beaucoup moins de marge de manœuvre pour intégrer les recommandations du comité. Pour le REM de l’est, les lignes directrices du design architectural qui sera finalement proposé par le comité aviseur devraient être imposées dans le cadre de l’appel d’offres », a déclaré la porte-parole.

Virginie Cousineau, porte-parole du REM de l’est pour la CDPQ Infra (photo courtoisie).

REM, tramway, métro… et rentabilité

D’entrée de jeu, nous avons demandé à Mme Cousineau si la CDPQ Infra avait réellement étudié d’autres solutions de transport structurant que le REM pour l’est de Montréal. « Le gouvernement nous a demandé en mai 2019 de regarder une solution pour l’est de Montréal. On a donc procédé dans un premier temps à un diagnostic détaillé de la situation, notamment avec les données de l’ARTM, et nous avons également analysé les plans et volontés de développement des administrations municipales afin que le projet s’arrime avec le développement souhaité du territoire. Nous avons aussi regardé les besoins autour des grands générateurs de déplacements, comme les grandes institutions de l’est (hôpitaux, établissements scolaires, grands employeurs, etc.), et bien sûr, nous avons analysé l’interconnectivité possible des réseaux de transport existants. Tout cela nous a amené à proposer en décembre dernier la solution du REM de l’est comme projet qui nous semble le plus pertinent dans les circonstances », affirme la porte-parole. Elle ajoutera par la suite que le métro lourd (dans la forme que l’on connaît à Montréal), est une solution vraiment beaucoup plus coûteuse que le REM selon les experts de la CDPQ Infra, et que le tramway n’est pas une formule adéquate pour desservir un territoire vaste tel que l’est de Montréal, notamment parce que ce mode de transport est plutôt lent.

Évidemment, le mandat de la CDPQ Infra diffère largement de celui de l’ARTM et de la STM. Comme sa mission première est la rentabilité de ses projets au profit principalement des fonds de retraite des Québécois, rien d’intéressant pour elle de s’engouffrer dans un projet de métro parallèle avec celui de la STM ou d’un bout de tramway au cœur du Vieux Pointe-aux-Trembles par exemple. Alors que du côté de l’ARTM et des sociétés de transport publiques on parle généralement de contributions financières, le niveau de langage est tout autre au sein de la CDPQ Infra qui parle plutôt d’investissements et de rendements. « On ne reçoit pas de subvention pour le REM. C’est un investissement sur lequel le gouvernement du Québec lui-même bénéficiera d’un rendement. Quant aux sommes provenant du fédéral, encore là il s’agit de prêts. Donc le modèle d’affaires du REM est très différent des autres réseaux de transports collectifs », soutient Virginie Cousineau.

Comment se financeront l’infrastructure et les opérations du REM alors? Par la contribution des usagers (prix des billets) et par un montant redistribué par l’ARTM à la CDPQ Infra évalué aujourd’hui à 0,72 $ / kilomètre / usager (pour le REM de l’ouest, pour celui de l’est l’évaluation n’est pas complétée). Ainsi, dans les faits, le REM bénéficiera aussi de fonds publics, par la bande. À noter que le projet du REM apporte aussi une nouvelle façon de financer quelque peu le transport collectif montréalais puisque le gouvernement a établi une redevance (taxe spéciale) visant tous les nouveaux projets de développement dans un rayon d’un kilomètre autour d’une station du REM de l’ouest. « Pour nous ça représente 600 M $, déjà versée par Québec, mais tout l’excédent provenant de tous les projets à venir iront dans les coffres de l’ARTM », confirme Mme Cousineau. Ce concept de « captation de la plus value foncière » n’a pas encore été annoncé officiellement dans la planification financière du gouvernement pour le REM de l’est, mais tout porte à croire que cette façon de faire sera également adoptée pour l’est.

Pourquoi l’aérien, pourquoi le souterrain

Bien sûr, c’est LA question au cœur du débat du REM de l’est actuellement. Pour l’antenne vers le nord, si on a opté finalement pour le souterrain, c’est encore une fois une décision dictée par l’argent. Cette fois, contrairement à l’autre tracé du REM de l’est, ce serait plus rentable et moins compliqué d’enfouir le réseau. « À priori, notre hypothèse était de miser partout pour de l’aérien. Car il y a toutes sortes d’avantages à cela, comme permettre de maintenir les déplacements sous la structure et ajouter plus facilement de nouvelles stations, en particulier. Mais dans le cas de Lacordaire, l’axe qui génère le plus d’achalandage jusqu’au Cégep Marie-Victorin, la rue n’est pas très large donc c’est difficile d’y construire la structure aérienne, et surtout, cette solution ne cadrait pas avec un environnement bâti dense mais de faible hauteur (maisons unifamiliales, duplex, etc.). Cela aurait occasionné beaucoup trop d’expropriations et les coûts du projet auraient explosé. Finalement, on ne détecte aussi aucune contrainte pour construire en tunnel, contrairement à René-Lévesque et sur la rue Sherbrooke », dit la porte-parole.

Toute autre histoire sur René-Lévesque. Malgré la forte pression des opposants à une structure aérienne, la CDPQ Infra persiste et signe en déclarant que selon leurs études, enfouir le REM dans cette partie de la ville est pratiquement impossible ou du moins à coût faramineux, donc solution exclue pour le promoteur. Il faudrait creuser en dessous du métro actuel, et tout cela, en plus des coûts, fragiliserait beaucoup trop les infrastructures en surface, paraît-il.

Exemple de station dans la portion souterraine du tracé (image CDPQ Infra).

Pour Sherbrooke maintenant, dans le coin de Mercier-Est (Tétreaultville), secteur ou le REM aérien suscite une vive opposition citoyenne et qui semble partagée par nombre d’élus locaux (sauf évidemment le député caquiste local, Richard Campeau), la CDPQ Infra avoue avoir étudié le scénario d’enfouir une partie du tracé, mais que techniquement cela demanderait surtout trop de contraintes pour construire l’entrée et la sortie du tunnel. « Tout d’abord, il faut souligner que la rue Sherbrooke est large et se prête bien pour accueillir une structure aérienne. Mais nous comprenons que pour une certaine portion résidentielle, que nous évaluons à environ 800 mètres (NDLR : cœur de Mercier-Est), c’est peut-être plus délicat. La problématique, c’est que pour faire entrer le train sous la terre, ça prend une zone de transition et cela nécessiterait une importante fracture de part et d’autre de Sherbrooke pour créer les murs de soutènement, soit environ 500 à 600 mètres pour l’entrée du tunnel, et idem pour la sortie. Ça risquerait donc de créer un impact vraiment plus grand sur l’environnement du secteur », explique Virginie Cousineau. Celle-ci ajoutera rapidement que « les gens ne doivent pas avoir en tête que c’est une structure similaire au REM de l’ouest qui va être intégrée sur Sherbrooke, on va proposer vraiment autre chose. Les résidents verront qu’on s’en va ailleurs avec le projet du REM de l’est. » À noter que Mme Cousineau n’a jamais fait référence lors de l’entrevue aux contraintes de faire appel à des conducteurs pour écarter l’idée d’un train de surface, qui selon certains chroniqueurs bien en vue, serait une solution de rechange trop onéreuse pour la CDPQ Infra à cause du personnel requis (le REM aérien, 100 % automatisé, ne nécessite aucun conducteur).

Peu d’expropriations prévues

Malgré un imposant parcours de 32 km et la construction de 23 stations, dont 6 intermodales, la CDPQ Infra prévoit pour le REM de l’est, dans sa configuration actuelle, qu’une soixantaine d’expropriations seront nécessaires pour mener à terme le projet. Cela s’explique par le fait que le tracé emprunte essentiellement des chemins du domaine public (emprises municipales).

Le gouvernement du Québec a d’ailleurs déjà autorisé l’émission d’avis de réserves pour les terrains ciblés en décembre dernier. La CDPQ Infra affirme viser uniquement à acquérir les pi2 nécessaires aux opérations courantes, et non gérer par la suite des terrains excédentaires.

L’acceptabilité sociale

Questionnée à savoir si, aux yeux de la CDPQ Infra, l’acceptabilité sociale autour du REM de l’est est satisfaisante, la porte-parole de l’organisation a plutôt esquivé les nombreuses détractions qui ont fait les manchettes ces dernières semaines, pour mettre en lumière l’annonce tant attendu d’un réseau de transport collectif structurant dans l’est de Montréal. « Je pense que le projet est très bien reçu au sens que les gens attendent du transport collectif. Quand nous avons annoncé le REM 1.0 (ouest de l’île), les gens de l’est en ont réclamé un eux aussi. Avec le REM de l’est, nous allons améliorer considérablement la façon de se déplacer dans l’est, nous allons offrir de nouvelles destinations et cela va complètement décloisonner ce territoire. C’est certain que cela étant dit, ça reste un projet majeur, le plus grand investissement jamais réalisé, et c’est normal qu’il y ait des questions. Et on les reçoit avec une grande ouverture », déclare Virginie Cousineau.

Cette ouverture, ce dialogue, seront deux termes repris maintes fois par Mme Cousineau tout au long de l’entrevue. Mais dès que l’on aborde les sujets clefs qui amènent de vives inquiétudes des opposants au projet dans sa forme actuelle, notamment la structure aérienne sur René-Lévesque et Sherbrooke, ainsi que la volonté de certaines administrations municipales d’avoir une station sur leur territoire (RDP et Montréal-Est), « l’ouverture » semble plutôt mince pour l’instant, exposant plutôt les contraintes budgétaires et/ou techniques pour répondre justement aux demandes. Car pour la CDPQ Infra, la rentabilité est la première condition incontournable à ses investissements, en haut de sa liste. « Ça prend un juste équilibre entre une solution technique, le coût de cette solution technique, l’achalandage estimé, et c’est toujours comme cela qu’on va analyser les demandes du milieu », soutient-elle, ajoutant toutefois que « la mise sur pied du comité aviseur est aussi un engagement ferme pour que l’intégration urbaine soit réussie et qu’un travail en continu se fasse avec les parties prenantes comme les administrations municipales et les citoyens, ce qui nous amène à l’acceptabilité sociale dans ce projet. »

LA CDPQ Infra multiplie les rencontres

L’ouverture et le dialogue pour la CDPQ Infra se concrétisent par sa présente « tournée » des principaux acteurs politiques, économiques et sociaux de l’est de Montréal, afin de tâter le pouls des forces vives sur le territoire. « Nous avons toute une gouvernance qui est déjà en place. Il y a des rencontres qui ont eu lieu notamment avec différents élus locaux, les arrondissements, et d’autres sont prévues dans les prochains jours et tout au long du processus. C’est important parce ces derniers sont aussi les porteurs de la voix citoyenne. Mais nous rencontrons aussi beaucoup d’institutions, de groupes communautaires, de tables de concertations, etc., pour entendre ce qu’ils ont à dire, discuter avec eux et expliquer le projet du REM de l’est. Et ça va super bien jusqu’à maintenant, les échanges sont intéressants et productifs », affirme Mme Cousineau.

En parallèle à cette tournée, certains groupes d’opposants au projet de REM aérien, surtout dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et dans le secteur Ville-Marie, s’organisent également via des pages Facebook, des pétitions et des relations de presse. Quant aux élus de MHM, tous paliers de gouvernement confondus, ils sont actuellement en mode consultations citoyennes sur ce projet afin de préparer leurs demandes et recommandations officielles auprès de Québec et de la CDPQ Infra (sauf le député caquiste de Bourget).

Consultations publiques à venir

La CDPQ Infra prévoit annoncer dès ce printemps des consultations publiques un peu partout sur le territoire de l’est de Montréal où les citoyens pourront faire valoir leurs points de vue et leurs préoccupations, alors que le promoteur pourra aussi, bien sûr, profiter de l’occasion pour présenter et expliquer son projet du REM de l’est.

« Ce qui s’en vient également, c’est notre étude d’impact sur l’environnement, qui est actuellement en cours. Elle devrait être déposée à la fin de la présente année, ce qui nous amènerait à faire des audiences publiques du BAPE au début de 2022. Nous avons donc un bon deux ans à finaliser nos études et travaux techniques avec les administrations municipales, l’ARTM, la STM, entre autres, pour arriver à une mise en chantier en 2023 », explique Virginie Cousineau.

Pas de station supplémentaire en vue à RDP et Montréal-Est

La CDPQ Infra est bien au fait des motions présentées récemment par les élus de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles et de la Ville de Montréal-Est demandant au promoteur du REM de l’est (et par la bande à Québec) de prévoir la construction de stations supplémentaires, une à Rivière-des-Prairies (autre que celle prévue au Cégep Marie-Victorin), et une au cœur de Montréal-Est. Selon Mme Cousineau, des rencontres ont eu lieu avec la mairesse de RDP-PAT, Caroline Bourgeois, et le maire de Montréal-Est, Robert Coutu, à propos de ces demandes.

Malgré les discussions en cours, la CDPQ Infra semble toutefois vouloir suivre son plan initial qui ne prévoit pas de station sur ces territoires, du moins en date d’aujourd’hui. « Nous pensons que le projet de référence que nous avons présenté, qui tient aussi compte des volontés de développement territorial exprimées par les administrations municipales, répond aux besoins et à l’achalandage estimé dans ces secteurs de l’est montréalais. Mais comme je l’ai aussi déjà expliqué, si le territoire évolue dans le temps, et les besoins de la population, une structure aérienne permet beaucoup plus aisément d’ajouter des stations », avance Mme Cousineau.

Grosso modo, la CDPQ Infra ne croit pas que l’achalandage estimé à Montréal-Est ou au cœur du quartier Rivière-des-Prairies justifie la construction de stations du REM pour le moment. « C’est important de comprendre le rayon d’influence qu’une station génère, qui est selon nous d’environ un kilomètre. Dans un quartier comme RDP par exemple, c’est peut-être plus efficace de revoir les parcours d’autobus pour amener plus vite les gens à la station de Marie-Victorin. Multiplier les stations du REM, c’est aussi ralentir le trajet pour les usagers. Encore là il faut parler d’équilibre du réseau, et il faut aussi l’optimiser en termes d’interconnectivité avec celui de la STM, par exemple. Ce n’est pas un travail qui se fait en vase clos, c’est une collaboration avec tous les acteurs du transport collectif et qui est en place depuis plusieurs mois », dit Mme Cousineau.

Dans le cas de RDP, c’est aussi d’une certaine manière renvoyer la patate chaude à la STM, qui depuis plusieurs années n’hésite pas à démontrer que le transport collectif dans ce secteur est beaucoup plus onéreux à absorber, compte tenu de la faible densité de population par km2, comparativement aux quartiers centraux montréalais, tout particulièrement. « Selon moi, s’il n’y a pas de station du REM qui se construit dans le cadre du déploiement du réseau, il n’y en aura jamais. Donc il faut absolument que la CDPQ Infra réponde à notre demande, sinon le quartier RDP sera plus enclavé que jamais, et c’est déjà un territoire aux prises avec une déficience en transport collectif », nous a déclaré Caroline Bourgeois il y a deux semaines.

Un dossier que l’on a pas fini d’entendre parler… Prochaines étapes à suivre : la formation et le début des travaux du comité aviseur, et les consultations publiques ce printemps.