Conteneurs au terminal de Ray-Mont Logistiques à Vancouver (photo tirée du site web de l’entreprise).

RAY-MONT LOGISTIQUES : HOUSTON NOUS AVONS UN PROBLÈME

Le problème, c’est que « Houston » ne répond pas… Hier soir avait lieu la fameuse rencontre Zoom exceptionnelle organisée par Concertation Assomption sud–Longue-Pointe, l’instance mise en place par l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve regroupant le milieu et les parties prenantes pour le développement du secteur Assomption Sud–Longue-Pointe (ASLP), événement portant spécifiquement sur le projet controversé de terminal de transbordement de marchandises (de wagons de train à conteneurs) de Ray-Mont Logistiques, en plein cœur de ce territoire. Rappelons que si l’immense site de 2,5 millions de pi2 est en zone industrielle lourde, des résidents demeurent tout de même à proximité du terrain, surtout du côté ouest (quartier Viauville), et la mobilisation citoyenne qui s’oppose au projet est puissante depuis l’achat du terrain par l’entreprise en 2015.

Cette rencontre virtuelle avait donc pour objectif de faire le point avec le promoteur quant à ses intentions à la suite du jugement favorable que lui a rendu la Cour d’appel du Québec en début d’année, jugement que la Ville de Montréal ne contestera pas. Dans une entrevue accordée à EST MÉDIA Montréal la semaine dernière, Charles Raymond, le propriétaire de l’entreprise, affirmait que le jugement lui donnait le droit d’aller de l’avant avec son projet de base, c’est-à-dire accueillir des trains sur le terrain, procéder au transbordement de marchandises vers des conteneurs, entreposer ces derniers et les expédier finalement vers le Port de Montréal, le tout à ciel ouvert, 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. Surtout, sans mesure d’atténuation des nuisances prévue dans le plan présenté en Cour. Charles Raymond affirme avoir soumis ce plan afin de protéger avant tout ses droits d’opération inclus dans la réglementation de zonage lors de l’achat du terrain, réglementation qui sera modifiée unilatéralement une première fois par le maire de l’époque, Réal Ménard, et par la suite par l’actuel maire Pierre Lessard-Blais. Ainsi, la Ville refusait d’émettre le permis de construction à Ray-Mont Logistique alléguant que le projet n’était pas conforme aux nouvelles règles, décision qu’a contesté en Cour l’entreprise et dont on connaît le dénouement aujourd’hui en faveur de Ray-Mont Logistiques, qui débutera d’ailleurs la construction de ses infrastructures dans quelques semaines.

Charles Raymond sur le site dans Assomption sud, lors de la journée « enneigée » de la semaine dernière (photo : EMM).

Coup d’éclat… qui en laisse plusieurs perplexes

Dans le cadre de l’entrevue de la semaine dernière, Charles Raymond avait notamment soumis à EST MÉDIA Montréal un document proposant plusieurs mesures d’atténuation, certaines spectaculaires, qui auraient été présentées aux élus des deux administrations municipales depuis 2017 (Ménard et Lessard-Blais) comme des possibilités pouvant être envisagées, document qui aurait aussi été présenté à quelques citoyens s’opposant au projet à l’époque selon l’homme d’affaires. Quelques esquisses ont été publiées dans notre article du 24 avril dernier. Aussi, Charles Raymond affirmait ne pouvoir absolument pas changer quoi que ce soit à son plan présenté en Cour sans devoir obtenir un nouveau permis de la Ville, démarche qu’il refuse catégoriquement de faire pour l’instant compte tenu de la saga judiciaire qu’il vient de vivre. Donc pour le moment, aucune mesure d’atténuation des nuisances en vue, à moins que l’administration municipale ne s’entende préalablement avec l’entreprise, donc accepte de discuter des possibilités avec Charles Raymond, invitation refusée jusqu’ici par l’arrondissement affirme M. Raymond.

Image tirée du document de Ray-Mont Logistiques qui aurait été présenté aux dirigeants de l’arrondissement.

Toute cette histoire rocambolesque a vite ravivé la flamme la semaine dernière, bien sûr des opposants (surtout des résidents des alentours), mais aussi des parties prenantes concernées et de la population en général. Preuve en est que la rencontre Zoom d’hier affichait complet avec 100 participants, soit la limite de la licence achetée par Concertation Assomption sud–Longue-Pointe, et on ne sait donc pas combien d’autres personnes n’ont pu se brancher (beaucoup de gens ont signalé sur les réseaux sociaux qu’ils ne pouvaient accéder à l’événement). Toutefois, il parait que l’enregistrement de la rencontre est disponible en ligne ou le sera bientôt (nous n’avons pas trouvé de lien ce matin). La particularité de cette rencontre résidait dans la présence, pour une première fois publiquement, de Charles Raymond, qui avait annoncé son intention de parler de son projet « en toute transparence » et de répondre aux questions des participants. Il avait affirmé dans l’article de la semaine dernière qu’il espérait la participation d’élus à cette rencontre et du plus large auditoire possible.

La Ville refuse de prendre part au débat

D’entrée de jeu, l’animateur de l’événement en refroidira plusieurs avec l’annonce que « suite aux recommandations de son contentieux, aucun représentant de la Ville ne prendra part aux discussions, mais il y a des gens de la Ville parmi l’auditoire. » EST MÉDIA Montréal a pu identifier quelques fonctionnaires ainsi que du personnel politique, mais aucun élu dans la centaine de participants, sauf Christine Gosselin, conseillère municipale dans l’arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie qui a récemment claqué la porte de Projet Montréal. Raison alléguée : Ray-Mont Logistiques poursuit actuellement la Ville de Montréal (NDRL : pour plus de 370 M $, en dommages et intérêts). Charles Raymond affirme qu’il s’agit d’une fausse raison car il est selon lui toujours possible de faire des arrangements hors cour et « qu’il ne faut pas mélanger les affaires. »

Ce sera aussi une déception des participants du public, la majorité des résidents du coin regroupés sous la bannière de Mobilisation 6600 pour MHM, dont plusieurs déploreront cette situation. Ainsi, toute la soirée sera un long échange entre citoyens et Charles Raymond, qui ne fera que répéter ses bonnes intentions tout en insistant que sans discussion avec la Ville, rien ne pourra se faire, et que le temps presse. Finalement, le résultat de tout cela est qu’aucune action en termes de mesure d’atténuation, qu’importe son ampleur, ne sera mise de l’avant par Ray-Mont Logistiques sans accord avec la Ville, qui refuse pour l’instant de s’assoir avec le promoteur. De quoi inquiéter plus que rassurer, mais surtout, le pire des scénarios pour l’ensemble du voisinage si rien n’est fait d’ici la mise en opération des activités de Ray-Mont Logistiques.

Dans une situation vraiment exceptionnelle et à la limite du surréalisme où tous les principaux intéressés ont le sentiment d’être pris en otage; les résidents qui se voient menacés d’une industrie lourde à ciel ouvert sans mesure d’atténuation; le promoteur qui se dit sans marge de manœuvre face à la Ville, et la Ville qui ne veut pas entamer des discussions avec une entreprise qui la poursuit, il faut absolument que l’administration municipale change son fusil d’épaule car il en va ici de son devoir de gouvernance. Ce n’est pas aux citoyens, comme hier soir, à mener le débat, mais bien aux élus, cause judiciaire ou non dans l’immédiat. S’il n’y a pas de dialogue, tout cela risque de provoquer un bien malheureux résultat qui ne profitera en bout de ligne à personne, même pas à Ray-Mont Logistiques qui trainera longtemps l’image, méritée ou non, de mauvais citoyen corporatif.

Si quelque chose de positif est ressorti hier de cette rencontre, c’est certainement la tout de même surprenante civilité des échanges entre les opposants clairement affichés du projet et le promoteur, qui est de bon augure pour une éventuelle suite des pourparlers. L’écoute, de part et d’autre était au rendez-vous, les discussions assez franches, mais inévitablement on est resté sur notre faim car on ne sait pas trop finalement si on s’enligne vers un projet peut-être intéressant, ou carrément désastreux, compte tenu que la clef est dans les mains de la Ville. En espérant qu’à partir de maintenant, l’arrondissement, voire aussi la ville-centre, ne fassent plus l’autruche dans ce dossier et sortent la tête du sable contaminé laissé par l’ancienne Canadian Steel Foundries, ne serait-ce que pour limiter les dégâts.