PLAGE DE L’EST : LA TENSION MONTE; LE BIODÔME APPELÉ EN RENFORT
Le projet de la Plage de l’Est nage en eaux troubles alors que l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles (RDP-PAT) tente par tous les moyens de trouver des solutions au problème d’habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce de poisson inscrite comme étant en voie de disparition en vertu de la Loi sur les espèces en péril.
Le site étant considéré pour le moment protégé par Pêches et Océans Canada (MPO), tout comme une bonne partie de la Pointe-de-l’Île, dans l’est de Montréal, la Ville ne peut donc pour l’instant procéder à l’aménagement du quai prévu ainsi qu’à la décontamination du littoral de la plage qui permettrait enfin la baignade. Rappelons que depuis quelques années, l’arrondissement aménage graduellement, revitalise et décontamine ce site qui abritait autrefois une marina, et qu’il s’agit d’un projet phare dans l’est de la métropole.
Retour sur une situation complexe
Le chevalier cuivré est une espèce de poisson malheureusement en déclin depuis de nombreuses années. On la retrouve uniquement au Québec, ce qui justifie davantage sa protection et l’intérêt de préserver son habitat. Sa principale frayère se situe dans la rivière Yamaska, mais pour se nourrir, ce poisson n’hésite pas à parcourir plusieurs kilomètres, notamment dans le fleuve Saint-Laurent, jusqu’à l’est de l’île de Montréal. Son alimentation est principalement composée de mollusques présents dans un certain type d’herbiers, et cet « habitat essentiel » est protégé par un décret fédéral.
La question de départ était donc d’évaluer si, oui ou non, le site spécifique de la Plage de l’Est, qui se trouve dans une grande zone évaluée « potentiellement habitat essentiel du chevalier cuivré », abritait bel et bien les herbiers d’alimentation prisés par le poisson. Selon le MPO, qui a répondu à certaines questions d’EST MÉDIA Montréal (EMM) (alors que nous avions mis la main sur quelques documents à la suite d’une demande d’accès à l’information), la Ville de Montréal aurait « déposé un rapport de caractérisation écologique concernant les herbiers de la berge et du littoral au MPO (rapport daté du 21 novembre 2022) – ce rapport confirmait que les sites visés par le projet (quai et plage) étaient situés dans l’habitat essentiel du chevalier cuivré. » L’information a été corroborée à EMM par l’administration municipale de RDP–PAT hier.
Toutefois, selon Luc Castonguay, directeur Développement du territoire et études techniques à l’arrondissement, qui se réfère à une experte du chevalier cuivré et chercheuse au Biodôme de Montréal, ce serait plutôt la présence de mollusques dans ces herbiers qu’il faudrait maintenant évaluer, ce que l’étude de caractérisation de la Ville n’aurait pas analysé. « C’est ce qu’on voudrait savoir, car si ce n’est pas le cas, ça ouvrirait certainement des espaces de discussion avec le MPO pour obtenir les permis d’aménagement du quai et la décontamination du littoral de la plage. Mais on ne pouvait pas débuter cette étude avant cet été, le temps que les mollusques soient présents, s’il y a lieu », explique M. Castonguay.
Pour prendre en main ces études et éventuellement proposer des projets de compensation pour protéger l’habitat de l’espèce, la mairesse de l’arrondissement et responsable des dossiers de l’est de Montréal au sein du comité exécutif de la Ville, Caroline Bourgeois, a confirmé à EMM qu’elle avait mandaté ce printemps le Biodôme de Montréal et quelques-uns de ses experts qui étudient particulièrement le chevalier cuivré pour faire avancer le dossier. « Lorsque nous avons appris que le Biodôme avait dans son équipe des spécialistes émérites du chevalier cuivré, nous avons décidé de leur tendre la main et de développer avec eux un projet pilote, une nouvelle façon de traiter ce dossier qui sera assurée par l’expertise que nous avons au sein même de la Ville. C’est une collaboration unique en son genre pour Espace pour la vie, et j’ai bon espoir qu’elle donnera des résultats intéressants », a déclaré Caroline Bourgeois.
Appelée à commenter la situation, la Société pour la nature et les parcs du Canada – Section Québec (SNAP Québec), un organisme dédié entre autres à la protection du Saint-Laurent et des écosystèmes qui abritent les espèces menacées, est d’avis que le fédéral doit maintenir les lignes directrices du décret afin de protéger l’espèce, quel que soit le projet présenté et son promoteur. « Contrairement au projet d’agrandissement du Port de Montréal à Contrecœur et à celui de Northvolt, le projet de la Plage de l’Est n’est pas dans les secteurs d’habitat d’alimentation qui ont été identifiés par modélisation comme habitat essentiel du chevalier cuivré. Toutefois, le MPO avait raison de demander une vérification scientifique de la présence d’herbiers dans le secteur des travaux, ainsi qu’une évaluation des impacts possibles du projet sur l’espèce. À court terme, la Ville pourrait proposer d’utiliser des infrastructures non permanentes (quai flottant) afin de donner rapidement l’accès au fleuve et adapter son projet initial pour tenir compte de l’habitat essentiel du chevalier cuivré », affirme Alain Branchaud, directeur général de SNAP Québec.
Selon nos sources, la solution du quai flottant aurait déjà fait l’objet de discussions entre le MPO et l’arrondissement, mais l’ombre générée par le quai sur des zones d’herbiers pourrait aussi causer problème. Pour l’instant, l’arrondissement n’aurait pas voulu investir des fonds publics dans un projet risquant d’être refusé. De plus, la question du quai comme telle ne règle pas le projet de décontamination du littoral, ajoute l’administration municipale.
Des permis difficiles à obtenir
Il faudra donc attendre les résultats des études des experts du Biodôme et les propositions qui s’ensuivront afin de connaître la décision du MPO d’accorder ou non les permis pour l’aménagement du quai et de la plage. Mais rien n’est gagné pour la Ville dans ce dossier, qui risque de traîner encore longtemps.
Une lettre émise par le MPO le 22 décembre dernier à l’arrondissement indique par ailleurs ceci à l’administration Bourgeois :
« Il revient au demandeur de faire la démonstration que l’activité ne mettra pas en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce. Pour ce faire, le demandeur peut proposer de mettre en oeuvre un plan compensatoire visant à contrebalancer les impacts négatifs du projet sur l’espèce en péril. Ces mesures doivent être mises en oeuvre avant que ne surviennent les impacts négatifs et les suivis devront permettre de démontrer que tous les objectifs visés par l’aménagement compensatoire sont atteints ou dépassés. Une fois ces étapes complétées, le demandeur pourra faire la démonstration qu’en intégrant le plan compensatoire, l’activité proposée ne mettra pas en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce. Ces démarches demandent une planification des différentes étapes de travail qui peuvent s’étaler sur une période de temps significative vu la complexité de ce type d’intervention dans un habitat essentiel. De plus, l’émission d’un permis n’est pas garantie à la fin du processus. »
La mairesse de l’arrondissement est d’avis que la Ville se retrouve bien seule à essayer de trouver des solutions dans cette histoire, alors que le MPO semble plutôt passif dans le dossier. « On se retrouve dans une phase où on sent que le gouvernement fédéral ne bouge pas. La ligne est très claire : montrez que vous avez tout fait en votre pouvoir pour assurer la protection du chevalier cuivré. Le fardeau de la preuve est de notre côté. Et ce n’est pas seulement pour le projet de la Plage de l’Est! On dirait que nous avons maintenant une épée de Damoclès au-dessus de notre tête pour des projets dans l’est de Montréal avec nos collègues de Varennes et Repentigny, notamment pour l’île Sainte-Thérèse. Et même Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, avec son projet de plage à la Promenade Bellerive, aura peut-être à faire face à cette situation. On est en quelque sorte à la croisée des chemins dans l’est de Montréal, et tout en prenant tout en considération pour protéger le chevalier cuivré – car ça, c’est extrêmement important, nous en sommes tous conscients –, on pourrait s’attendre à plus de collaboration constructive du fédéral. Là, c’est beaucoup pour nous en ce moment, mais on a décidé de continuer de trouver des solutions. Malheureusement, je ne sais pas quand on pourra exactement régler tout ça », termine Caroline Bourgeois.