Photo courtoisie Énergie Valero.

PÉNURIE DE MAIN-D’OEUVRE DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL : TIRER SON ÉPINGLE DU JEU

Dans une série de trois articles, EST MÉDIA Montréal se penche sur l’impact de la pénurie de main-d’œuvre dans différents secteurs économiques, soit le commercial, l’industriel et l’institutionnel. Jusqu’à quel point la pénurie les affecte-t-elle? Comment se traduit le manque d’employés au quotidien? Quelles solutions ont été trouvées pour pallier la situation? Et comment un employeur envisage-t-il l’avenir dans un tel contexte?

Le secteur industriel, plus particulièrement celui de l’énergie, a façonné à la fois l’histoire et le territoire de l’est de Montréal. Mais malgré son ancienneté, il n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre qui sévit au pays depuis quelque temps et qui s’accélère. Ce ne serait toutefois pas la pandémie qui aurait accentué le problème. « Au cours des dernières années, il y a eu la fermeture de certaines usines, ce qui a eu pour effet de débalancer un peu le marché dans le secteur des activités chimiques, pétrochimiques et autres », explique Dimitri Tsingakis, directeur général de l’Association industrielle de l’Est de Montréal (AIEM). Le secteur s’est alors retrouvé avec plusieurs employés qualifiés à la recherche d’emplois, ce qui a permis de combler les postes vacants pendant un certain temps. Même constat chez Valero, un important employeur de l’est de Montréal œuvrant en pétrochimie. « C’est un défi grandissant depuis environ une dizaine d’années », note Émilie St-Jean, superviseure aux ressources humaines, Pipeline et Terminaux. « Ce moment correspond à une période où des changements structuraux et économiques ont redéfini le paysage industriel de l’est de Montréal, notamment. »

L’énergie, service essentiel

Le secteur industriel a eu la chance, depuis le début de la pandémie, de tomber dans les services jugés essentiels. Ainsi, les entreprises concernées, tout en s’ajustant aux mesures sanitaires, sont restées ouvertes et n’ont pas eu à imposer de mises à pied. « Je nous estime privilégiés. Jusqu’à présent, nous n’avons vécu aucun enjeu significatif à ces égards et nous travaillons proactivement afin de ne jamais nous y rendre », précise Émilie St-Jean. « Quand on travaille dans l’énergie, on ne peut pas arrêter de fonctionner parce qu’on approvisionne la communauté », renchérit Dimitri Tsingakis. « Ce qui a fait en sorte que les activités se sont poursuivies plutôt normalement. » Le personnel administratif a travaillé depuis la maison et, en termes d’opérations, on ne note aucune réduction des activités industrielles dans l’est de Montréal.

À l’heure actuelle, c’est plutôt le vieillissement de la population et la perte en popularité de certains domaines d’études qui se mettent de la partie et ont des répercussions sur le secteur. « À partir du moment où il y a des départs à la retraite et qu’il n’y a plus de nouveaux joueurs, de nouveaux chercheurs d’emploi, on se retrouve avec une problématique », constate Dimitri Tsingakis. Les observations de la superviseure des ressources humaines chez Valero semblent confirmer ces dires : « Je remarque également que des changements dans l’offre de formation connexe collégiale et dans les formations professionnelles semblent avoir eu certaines répercussions », avance Émilie St-Jean. Présente bien avant la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre du secteur industriel est peut-être plus perceptible aujourd’hui.

Photo courtoisie Énergie Valero.

C’est la main-d’œuvre qualifiée et spécialisée qui manque plus particulièrement à l’appel. « Il y a certains postes très spécialisés plus difficiles à combler, qui nécessitent des personnes dotées d’une formation bien particulière avec certains types d’équipements ou en mesure de faire certaines activités plus pointues, comme le travail avec les systèmes de contrôle ou les emplois très techniques en TI par exemple », mentionne Dimitri Tsingakis.

Emplois alléchants

Capables de proposer des conditions de travail alléchantes, les grandes entreprises s’en sortent évidemment mieux que les plus petites pour attirer et conserver en poste leurs employés. « D’une part, nous avons une grande capacité de rétention de notre main-d’œuvre », soutient Émilie St-Jean de Valero. « Notre taux de roulement est très faible, ce qui nous offre une certaine protection contre les effets de cette rareté. D’autre part, en raison d’un ensemble de conditions avantageuses, nous jouissons d’une excellente réputation d’employeur dans notre industrie, ce qui représente un atout inestimable en matière d’attraction des talents lorsque des opportunités se présentent. » « Les grandes entreprises sont ainsi capables de demeurer quand même assez attractives au niveau des employés en place et des chercheurs d’emploi », croit aussi le directeur général de l’AIEM.

Les bonnes conditions faisant leur effet, le secteur industriel peut compter sur ses employés déjà en poste pour en convaincre d’autres de rejoindre les rangs. « Notre programme de référence interne connait aussi beaucoup de succès! La prémisse étant que les bons employés heureux ont tendance à recommander de bons employés qui seront heureux chez nous », révèle Émilie-St-Jean. Néanmoins, certaines entreprises ont tout de même ajusté leurs méthodes de recrutement à la situation de pénurie de main-d’œuvre, c’est le cas de Valero. « Nous avons apporté des changements importants dans les dernières années et avons bien entendu amélioré nos outils Web. Nous sommes davantage actifs sur les médias sociaux pour joindre et attirer les talents », mentionne la superviseure aux ressources humaines. « Et comme de moins en moins de jeunes s’inscrivent dans les programmes reliés aux emplois du secteur, on doit utiliser des moyens plus originaux pour recruter », dit Dimitri Tsingakis. Cela passe par de la publicité, de la diffusion d’informations, des firmes de placement et le bouche-à-oreille. « Chaque entreprise fait appel un peu à ses différents réseaux de contacts pour essayer de recruter la main-d’œuvre. »

La marque employeur

Secteurs parfois entachés par l’opinion publique, la chimie, la pétrochimie et l’énergie, on peut aisément le constater, essaient de redorer leur image depuis plusieurs années maintenant, en misant notamment sur d’excellentes conditions de travail, mais aussi en axant davantage leurs missions sur le développement durable et la responsabilité sociale. « Nous portons une grande attention à notre marque employeur dans un marché où on se bat de plus en plus fort pour attirer et retenir les meilleurs. En ce sens, lors de contacts avec des candidats actifs ou potentiels, nous mettons davantage de l’avant nos multiples atouts comme employeur, nos projets d’avenir, mais aussi notre engagement dans la collectivité », souligne Émilie-St-Jean. « Une transformation s’opère », avance le directeur général de l’AIEM. « On travaille beaucoup le développement et l’intégration de technologies propres au sein des activités industrielles, pour évidemment faire partie de la solution de la transition énergétique en cours. »

Pallier la pénurie de main-d’œuvre du secteur industriel passe effectivement par sa revalorisation. Promouvoir auprès des jeunes les métiers de l’industrie, et ce, dès l’entrée au secondaire fait partie de l’équation. « Le développement de programmes de remise de bourses pour aider les futurs candidats à combiner travail ou stage et études est aussi une bonne piste de solution pratique », ajoute Émilie-St-Jean. La superviseure des ressources humaines croit également que ces métiers devraient s’ajuster à différentes clientèles, comme les femmes et les personnes issues de l’immigration. « Sur le plan plus politique, il y a du travail à faire pour faciliter la reconnaissance des acquis pour les diplômes étrangers et l’accès aux programmes de francisation et de requalification. »

Le secteur industriel, comme les autres, doit donc lui aussi s’ajuster et apprendre à surfer la vague (ou plutôt les vagues!). Car même s’il a perdu en popularité, il est là pour rester. « J’entrevois dans cette situation une multitude d’opportunités », termine Émilie St-Jean. « Il suffit d’être prêt à se relever les manches! »