Vue aérienne du Parc Dominion, Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

Parc Dominion : le plus grand parc d’attractions était jadis dans l’est!

Le 2 juin 1906 s’ouvrait ce qui sera pendant de longues années le plus grand parc d’attractions au Canada.

Pour comprendre la naissance du parc Dominion, il faut placer le projet dans le contexte d’une guerre commerciale entre les deux puissantes compagnies montréalaises de tramways, la Montreal Street Railway et la Montreal Terminal Railway. La première contrôle le centre-ville de Montréal et la seconde ceinture l’île de Montréal. En 1903, la Montreal Terminal inaugure une ligne de tramway se rendant de Maisonneuve au Bout-de-l’Île par l’avenue Souligny. La Montreal Street Railway veut elle aussi desservir l’est de Montréal qui est alors en plein développement, mais il s’agit du territoire de la Terminal. Pour contourner le problème, elle va créer une compagnie, la Suburban Tramway & Power Company, en juin 1904. Elle comprend deux administrateurs de New York.

À la même époque, un promoteur américain, Harry Allison Dorsey, déjà propriétaire de parcs d’attractions à Milwaukee et Minneapolis inspirés du célèbre Coney Island de New York, est intéressé par l’idée de construire un parc à Montréal. Pourquoi? Parce que cette ville est la capitale économique du Canada. Plusieurs grandes banques, compagnies d’assurances et entreprises (textile, sucre, eau et électricité, etc.) y ont installé leur siège social.

En 1905, Harry A. Dorsey et la Suburban s’associent pour construire un parc d’attractions qui, pour connaître le succès, doit être desservi par le tramway. Le 2 janvier 1906, la Dominion Park Ltd obtient une charte fédérale avec un capital-actions de 250 000 $ rapidement augmenté à 400 000 $ l’année suivante. Le conseil est formé de Harry A. Dorsey, président et gérant-général, Duncan McDonald, vice-président, et Leonard Ross Cooper, secrétaire-trésorier, ces deux derniers étant des directeurs de la Suburban. Entretemps, alors que Longue-Pointe a été choisie comme site pour le parc, Duncan McDonald se porte acquéreur le 2 décembre 1905 de la partie sud des lots numéros 41 et 42, situés entre Notre-Dame et le fleuve, pour la somme de 85 000 $. Le 26 avril suivant, McDonald revend ces terrains à la compagnie pour la même somme. Le parc est voisin de l’ancienne villa Elmwood, propriété de la duchesse de Bassano jusqu’en 1890. L’atlas de 1914 comporte une erreur et donne faussement l’impression que la partie est du parc est occupée aujourd’hui par l’usine Catelli. L’atlas de 1907 est plus conforme à la réalité.

Jusqu’à 800 ouvriers vont s’activer pour terminer les travaux à temps pour l’ouverture prévue le 24 mai 1906, jour de la Fête de la Reine. Les coûts de construction sont importants, et le président du parc ira même jusqu’à affirmer qu’ils s’élèveront à un demi-million de dollars. Deux des manèges les plus importants, « Shoot the Chutes » et le « Scenic Railway » seront construits par des firmes américaines.

Du côté de la Suburban, à l’automne 1904, la compagnie va rapidement intéresser la ville de Longue-Pointe à une ligne de tramway. Les travaux débutent au printemps, mais doivent cesser en raison de problèmes d’expropriation. Ils reprennent au printemps suivant et s’accélèrent, d’autant plus que la Suburban doit absolument terminer le tronçon se rendant au parc Dominion. Les travaux ne sont finalement pas terminés à temps pour le 24 mai, et l’ouverture officielle n’aura lieu que le samedi 2 juin. Les journaux font état de la présence de 10 000 personnes le premier jour et de 40 000 le lendemain. La Suburban profite de cette effervescence puisque la fréquentation de sa ligne de l’est augmente à des niveaux sans précédent.

Le parc Dominion est le troisième parc d’attractions sur la rue Notre-Dame. Le petit parc Riverside à Maisonneuve (1900-1906), qui n’a que des montagnes russes les deux dernières années de son existence, ne peut soutenir la dure concurrence du Parc Dominion et fait finalement faillite en octobre 1906. Quant au Parc Sohmer, dont les activités sont basées sur les numéros musicaux et de vaudeville, il ferme en 1919 à la suite d’un incendie.

Intérieur du Parc Dominion vers 1908; remarquez que toutes les attractions et les kiosques ne portent que des noms anglais; Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

L’admission générale est de 10 sous pour les adultes et de 5 sous pour les enfants, mais on doit payer pour chacun des manèges. Une sortie en famille n’est donc pas à la portée de toutes les bourses. Cependant, de nombreux visiteurs envahissent le parc le dimanche et les jours de congé, sans nécessairement utiliser les manèges. D’ailleurs, tout au long de son existence, le parc est l’endroit choisi par les syndicats, les associations de métiers ou les entreprises pour leur pique-nique annuel. Dans les années 1920, se tient également la Fête nationale de la France le 14 juillet.

Le parc se démarque par son aspect grandiose. Les visiteurs sont d’abord impressionnés par une immense tour de 125 pieds (38 m) surmontée d’un phare que l’on voit de l’extérieur. Pour entrer dans le parc, il faut passer sous un arc de triomphe. Les visiteurs sont accueillis par la musique de l’orchestre du parc et peuvent assister à des numéros d’acrobates tout au long du parcours. Caractéristique de l’époque, l’affichage est uniquement en anglais.

Entrée du Parc Dominion en forme d’arc de triomphe; Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

Près de la tour se trouve la principale attraction, « Shoot the Chutes », un ancêtre de « La Pitoune » de La Ronde. Une autre attraction est le « Scenic Railway », des montagnes russes qui parcourent une partie du parc. On trouve aussi « Ye Olde Mill » (le Vieux Moulin) où l’on embarque dans un canot qui nous mène dans une grotte artificielle avec des effets théâtraux. Plus loin se trouvent les « Aerial Swings » (les Chaises Volantes). Comme son nom l’indique, ce manège est fait de sièges suspendus au bout de chaînes métalliques. Lors de la rotation, les chaises sont inclinées vers l’extérieur par la force centrifuge. Le pavillon du « Tour du Monde » est très intéressant pour l’époque : on prend place dans un wagon pendant qu’un film nous montre des scènes de divers endroits sur la Terre.

« Shoot the Chutes »; Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

 

Montagnes russes; Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

D’autres attractions sont concentrées dans des pavillons thématiques comme « The House of Nonsense » (la Maison des Horreurs) ou « L’inondation de Johnston » en Pennsylvanie qui recréait en miniature cette tragédie qui avait fait plus de 2 200 victimes en 1889. En 1913, un an après le naufrage du Titanic, un pavillon porte sur ce drame. Certaines attractions seraient impensables de nos jours comme « L’incubateur de bébés », par exemple, qui permet aux gens d’observer des infirmières s’occupant de nouveau-nés (attraction retirée après quelques années) ou « Les Pygmées sauvages », en 1913. Après la Première Guerre mondiale, une grande roue et la Maison de la photo sont ajoutées dans le parc. Finalement, un restaurant avec un permis d’alcool et une salle de danse viennent compléter les attractions offertes aux visiteurs. Le succès du parc sera tel qu’à la fin de sa première saison, le 16 septembre 1906, il aura accueilli 1 million de visiteurs.

Riverview, le restaurant du parc; Collection numérique, BAnQ. (Photo courtoisie AHMHM).

Malgré ces réussites, les administrateurs doivent faire face à de nombreux problèmes d’incendies. Le 6 novembre 1907, alors que le parc est fermé pour la saison morte, un feu détruit une partie des installations causant des pertes évaluées à 100 000$. Comme la ville de Longue-Pointe est pauvrement équipée en installations d’incendie, le feu cause plus de dommages que prévu. Un second incendie a lieu le samedi soir 28 juin 1913 et détruit 3 pavillons. L’entreprise, en pleine saison, promet de les reconstruire le plus rapidement possible.

Le plus important et tragique incendie survient le 10 août 1919 dans une attraction nommée « Mystic Rill » (Le Ruisseau mystique). Cette dernière consiste en un tunnel dans lequel des chaloupes suivent un courant, agrémenté de scènes peintes sur du tissu, notamment un dragon, et éclairées par des lampes. Le 10 août, un feu se déclare dans le tunnel, probablement en raison d’une cigarette mal éteinte. L’attraction se transforme en véritable « trappe à feu » avec sa structure de bois et de tissu, le goudron pour imperméabiliser, la noirceur et l’absence de sorties de secours. Comble du malheur, plusieurs chaloupes sont prises dans le tunnel au moment de l’incendie. On dénombre d’abord 7 victimes, horriblement calcinées et difficiles à identifier. Deux semaines plus tard, on découvre les ossements d’une 8e victime, puis ceux de ce qu’on croyait être les ossements d’un enfant de 3 ou 4 ans, mais qui s’avèrent être ceux d’un chien. La 8e victime se nommait Jean-Robert Ferland. Le plus désolant pour ses parents est que le père avait d’abord faussement identifié un corps comme étant celui de son fils et qu’on avait procédé à l’inhumation au cimetière Côte-des-Neiges. Le corps inhumé par les Ferland était celui du jeune Armand Carbonneau dont les parents avaient inhumé le corps d’Antonio Calcio! Tout un imbroglio!

Au début des années 1920, le Parc Dominion est présidé par un courtier en bourse, J.H. Redpath. Il est plus tard propriété de Shields Management. Au milieu des années 1930, le parc passe aux mains de l’avocat Léon Garneau.

Publicité de 1938 : La Presse, 30 juillet 1938. (Photo courtoisie AHMHM).

À partir de 1923, le parc Dominion doit affronter un concurrent de taille, le Parc Belmont. Elle reste toutefois une entreprise très profitable pour les promoteurs, si l’on en croit les journaux financiers de l’époque.

La crise économique des années 1930 aura toutefois raison de l’existence du parc d’attractions. Contrairement à tout ce qui a été écrit, la dernière année d’activité n’est pas en 1937, mais bien en 1938. Cependant, il est difficile de dénombrer les attractions encore présentes cette dernière année dans les journaux de l’époque.

Le parc Dominion sera démoli en avril 1940 et son terrain est acquis par la Ville de Montréal en novembre de la même année lors d’une vente à l’encan. Après la guerre, il est question d’en faire un parc public ou d’y installer une usine. Finalement, c’est le Centre d’entraînement du Service des incendies de Montréal qui occupera les lieux à partir de 1963.


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Centre-est de Montréal. Recherche et rédaction : André Cousineau, Atelier d’histoire Mercier−Hochelaga-Maisonneuve.