Lallemand

LA COHABITATION RESTE DIFFICILE ENTRE LES CITOYENS DE MHM ET L’USINE LALLEMAND

Plus de 200 plaintes ont été logées au cours des cinq dernières années par des citoyens vivant dans le voisinage de l’usine Lallemand, située dans Mercier – Hochelaga-Maisonneuve. De ces plaintes, 68 ont été faites depuis le début de 2022, que ce soit directement à l’arrondissement de MHM, à la Ville de Montréal ou au Service de l’environnement. C’est surtout la question des mauvaises odeurs émises par l’usine qui serait la source des désagréments pour les citoyens, puisque 59 plaintes sur les 68 cette année, ont été formulées à ce sujet.

Grâce à des demandes d’accès à l’information, EST MÉDIA Montréal a ainsi appris que 213 plaintes ont été répertoriées par les différents services municipaux depuis 2017. Encore une fois, c’est l’enjeu des émissions atmosphériques et des émanations provenant des égouts qui sont les plus souvent mentionnés ; 177 des plaintes portent sur ce problème. Des odeurs qui donnent le « haut-le-cœur », qui sont « insupportables », qui rappellent le poisson pourri ou la levure et qui réveillent parfois les citoyens, la nuit,  par leurs intensités, sont souvent rapportées dans les plaintes enregistrées au fil des années par le Service de l’environnement.

De plus, une vingtaine de plaintes, faites entre 2018 et 2022, visent la question de bruits émanant de l’établissement situé au 1620, rue Préfontaine. Des sons provenant de camions à remorque, des génératrices et des systèmes d’alarme incommodent les résidents.

Un problème qui ne date pas d’hier

La cohabitation difficile entre l’entreprise de fabrication de levure, établie depuis 1915 sur la rue Préfontaine, et les résidents du quartier Hochelaga, remonte à plusieurs années. Un mouvement citoyen avait pris de l’élan en 2014, puis l’année suivante, l’ancien maire d’arrondissement, Réal Ménard, avait tenu des assemblées pour trouver des pistes de solution afin de réduire les nuisances causées par l’usine. À l’époque, des rapports démontraient que l’établissement avait dépassé les standards permis en matière d’émissions de bruits et d’odeurs. En 2017, l’arrondissement est revenu à la charge pour que l’usine mette en place des dispositifs pour réduire les nuisances. La compagnie avait alors promis que des résultats allaient suivre et elle aurait investi 1 M$ en dix ans pour combattre ces désagréments.

Pour Clément Schreiber, voisin de l’usine depuis une trentaine d’années, les désagréments engendrés par Lallemand ont toujours fait partie de sa réalité. Que ce soient les mauvaises odeurs ou les bruits sourds de la machinerie qui se font entendre jusque dans sa résidence sur la rue Darling, l’inconfort l’accompagne quotidiennement. « On a déjà pris des mesures contre le bruit dans ma chambre à coucher où ça montait à 70 décibels », se désole-t-il.

Ce dernier affirme qu’il y a peu d’espoir que les choses s’améliorent prochainement, même si la direction de l’usine et l’administration publique indiquent avoir mis en place des mesures d’apaisement. « Il y a eu de nombreux mouvements citoyens pour faire changer la situation, dont un en 2014 après un incendie (qui a frappé le bâtiment adjacent à l’usine) pour qu’il y ait plus de transparence de la part de Lallemand et de la Ville, mais ces mouvements ont souvent tourné en queue de poisson. On s’est fait ridiculiser par des élus dans le passé à cause de nos demandes et ils laissent souvent tomber le dossier après un certain temps », constate M. Schreiber. Celui-ci plaide pour qu’une étude scientifique complète soit réalisée, à propos des effets sur la santé des citoyens des émissions de bruits, afin d’en avoir le cœur net.

Les bruits générés par la machinerie et les camions causent aussi des désagréments aux résidents. Photo: Emmanuel Delacour/EMM

Un autre résident, Frédéric Comeau, souhaite aussi qu’on en fasse davantage pour encadrer l’usine. « On est soulagé que les mauvaises odeurs soient moins fortes qu’à notre arrivée dans le quartier en 2021, mais ce n’est pas la seule problématique ; le bruit et les camions qui passent à toutes les heures de la journée nuisent à notre qualité de vie », affirme-t-il. Celui-ci se désole de la lenteur des administrations publiques dans ce dossier et croit qu’une telle situation n’aurait pas lieu dans un autre quartier. « On a droit à la même qualité environnementale que les autres résidents selon la Charte montréalaise des droits et responsabilités. Si cette usine avait été établie sur le Plateau ou à Outremont, ça fait longtemps qu’elle aurait été déplacée ! » , s’indigne M. Comeau.

De nombreux investissements

Contacté par EST MÉDIA Montréal, le directeur de l’usine a réagi aux informations révélées dans les documents obtenus. « Plusieurs citoyens envoient leur plainte à la Ville, ce qui est légitime. Toutefois, pour des raisons de protection des données personnelles, ces plaintes ne nous sont pas retransmises avec les détails qui nous permettraient de régler rapidement les problèmes ou, en tout cas, de les analyser. Nous ne savons pas non plus si certaines plaintes émanent de la même personne ou non », insiste dans un courriel Sami Saïdi, directeur de l’usine. Celui-ci encourage les citoyens à rejoindre directement l’administration de Lallemand à l’adresse courriel info_citoyen@lallemand.com lorsqu’un désagrément est ressenti, indiquant que l’usine agira rapidement pour corriger la situation s’il y a lieu.

De plus, la direction souligne qu’elle a investi plusieurs millions de dollars au cours des dernières années pour réduire les nuisances, dont une nouvelle installation récemment mise en place « de plus de 5 millions de dollars destinée à détruire les odeurs grâce à une technologie de pointe toute récente »« Cette technologie révolutionnaire nous permet de garantir un niveau d’odeur extrêmement bas et de réduire le bruit des cheminées », affirme M. Saïdi.

Aussi, Lallemand aurait investi 261 000 $ en 2002; 45 000 $ en 2009 et 440 000 $ en 2015 pour l’insonorisation de la tour d’eau et des systèmes de chauffage, ventilation et conditionnement d’air sur la rue Adam. « Nous avons également insonorisé les portes de la rue Adam et installé des murs anti-bruit sur la rue Préfontaine. En 2021-2022 nous avons investi plus de 2 000 000 $ dans le remplacement de nos soufflantes avec des modèles plus silencieux. », ajoute le directeur. «  [ … ] Nous continuerons à écouter tous les résidents du quartier afin d’améliorer sans cesse leur qualité de vie. »

Des mesures correctives mises en place

Appelés à réagir au sujet des nuisances vécues par les citoyens, les cabinets de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et du maire de MHM, Pierre Lessard-Blais, ont décliné nos demandes d’entrevue. C’est plutôt le service des communications de la Ville de Montréal qui a répondu à quelques questions par courriel.

Dans sa réponse, la Ville affirme que « le Service de l’environnement [ … ] est sensible à la conformité réglementaire en matière environnementale par l’usine Lallemand [ … ]. Cette usine détient un permis de déversement d’eaux usées industrielles, ainsi qu’un permis de rejets à l’atmosphère. Le Service effectue des inspections périodiques auprès de cet établissement et dans son voisinage, en plus des visites à la suite des plaintes. Ces visites permettent de détecter les anomalies et de demander des corrections aux mesures de contrôle des émissions, lorsqu’elles sont requises ».

La Ville de Montréal souligne qu’à la demande du Service de l’environnement, l’établissement a mis en place des mesures correctives, incluant l’installation d’équipements divers sur l’ensemble des sources odorantes de l’usine au cours des dernières années. On reconnaît toutefois que « [q]uoique l’établissement ait démontré une réduction significative des nuisances d’odeurs de l’ensemble des sources de l’usine, les niveaux d’odeurs obtenus à la suite de la mise en place de ces équipements restaient supérieurs à la norme ».

L’administration aurait donc mis en place un plan de mesures correctives, avec un échéancier détaillé des actions proposées, ce qui a été de nouveau demandé à la compagnie. « En 2019, Lallemand a donc déposé une stratégie d’implantation d’un système pour le traitement des émissions à l’atmosphère des odeurs (d’oxydation thermique régénérative (RTO)). Ce système a été mis en fonction en avril 2022 et était en période de rodage », souligne-t-on à la Ville.

Depuis le début du mois d’août, le système RTO a été redémarré, et aucune plainte en matière de mauvaises odeurs n’aurait été déposée. EST MÉDIA Montréal n’a pas été en mesure de vérifier cette information, puisque la dernière plainte logée au Service de l’environnement est en date du 31 juillet. Celui-ci fera un suivi cette année auprès de Lallemand et de son système RTO avec un échantillonnage de conformité.

Photo: Emmanuel Delacour/EMM

Des filtres dans les égouts

En ce qui concerne les émanations provenant du réseau des égouts, la Ville de Montréal affirme qu’elle « accompagne l’arrondissement en effectuant, depuis 2015, un suivi des odeurs provenant des égouts locaux aux environs de l’usine Lallemand, sur la rue Moreau (entre les rues Adam et Sainte-Catherine) et sur la rue Adam ».

Toutefois, ce suivi n’a pas pu être complété entre 2020 et 2021, confirme la Ville, mais a seulement été remis en fonction pour la saison estivale 2022. La rue Dézéry aurait aussi été incluse dans ce suivi à la suite de nouvelles plaintes. De plus, MHM devrait également procéder à l’achat et à l’installation de certains équipements spécialisés dans une portion du réseau d’égout local identifié comme critique aux environs de l’usine afin de minimiser l’émission d’odeur issue des égouts de ce secteur.

D’ailleurs, Lallemand collabore avec la Ville de Montréal sur l’enjeu des égouts dans ce secteur. « Ce projet est très prometteur et nous avons proposé à la Ville d’installer – à nos frais – ses filtres autour de l’usine sur les égouts municipaux. Ce projet est dans la phases finale de validation et nous espérons pouvoir le mettre en place rapidement », indique pour sa part M. Saïdi.

Des mesures similaires avaient été tentées en 2015 dans le secteur des rues Adam et Moreau, mais les plaintes concernant les mauvaises odeurs ont continué de s’accumuler au Service de l’environnement. Une étude publiée par Lallemand indiquait que ces mauvaises odeurs n’étaient pas causées par les déversements de l’usine dans le système d’égout. L’usine jouit tout de même d’une dérogation accordée par la Ville de Montréal quant à ses déversements d’azote dans le réseau des égouts. Cette dérogation est cependant échue depuis le début de 2022.

Le nouveau règlement de la CMM ne changera rien

Par ailleurs, questionnée au sujet de la récente adoption des modifications au Règlement sur les rejets à l’atmosphère par la Communauté métropolitaine de Montréal, la Ville confirme que celle-ci n’aura pas « d’impact sur l’approche » auprès de l’usine Lallemand. Le nouveau règlement qui est plus sévère dans son encadrement des usines polluantes est en attente d’approbation auprès du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Celui-ci a récemment été contesté par d’autres industries sur l’île de Montréal, dont Sanimax, une usine de traitement des carcasses animales située à Rivière-des-Prairies, ainsi que par le Conseil patronal de l’Environnement du Québec. La direction de Sanimax a d’ailleurs menacé de mettre la clé sous la porte de son établissement, citant des mesures réglementaires trop contraignantes si elles venaient à être appliquées.