Les mises en chantier pour des unités résidentielles dans l’est de Montréal sont en importante diminution, alors que le territoire est en pleine crise du logement (photo Archives EMM)

LE NOMBRE DE CHANTIERS DANS L’EST DÉGRINGOLE

Les mises en chantier dans le secteur résidentiel se sont écroulées dans la région de Montréal au cours des six premiers mois de 2023, et cela n’augure rien de bon pour la revitalisation de l’est de la ville selon quelques experts interrogés. En effet, selon les plus récentes données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), les quartiers de l’est de la métropole sont tout autant touchés par ce recul qu’ailleurs dans la métropole.

Dans l’ensemble de la région métropolitaine, les mises en chantier d’habitations se sont amoindries de 58 % entre janvier et juin cette année comparativement à la même période en 2022. Il s’agirait d’un repli jamais vu depuis 26 ans, d’après ce que rapportait la semaine dernière Radio-Canada. Selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec, la mise en chantier « correspond au moment où commence la construction de l’immeuble, généralement au stade où la semelle de béton est entièrement coulée ».

Or, d’après les données obtenues par EST MÉDIA Montréal, la situation n’est pas plus reluisante dans les quartiers de l’est. En effet, les chiffres de la SCHL montrent que de façon générale, les mises en chantier se font de plus en plus rares dans ces secteurs aussi.

Par exemple, dans l’arrondissement d’Anjou, entre les mois de janvier et d’août 2023, il n’y a eu aucune mise en chantier dans le secteur résidentiel, tandis que l’année précédente, pour la même période, 203 mises en chantier avaient été lancées. Par ailleurs, toutes les mises en chantier de 2022 ont été amorcées durant ces mois, le total ne dépassant pas 203 chantiers résidentiels cette année-là. À titre comparatif, sur toute l’année 2021, Anjou avait eu une seule mise en chantier résidentielle, et 25 en 2020.

Dans l’arrondissement voisin de Saint-Léonard, le nombre de mises en chantier traîne aussi de la patte en 2023, alors que de janvier à août, on en dénombre seulement 3, tandis qu’elles s’élevaient à 184 durant les 8 premiers mois de 2022. Au total, en 2022, ce sont 225 mises en chantier qui ont été compilées. On en recensait 234 en 2020 et 160 en 2021, sur ce même territoire.

À Montréal-Nord aussi, la tendance est au ralenti. Toujours sur la période de janvier à août 2023, on compte seulement 4 mises en chantier. Toutefois, la construction dans le domaine résidentiel est depuis les trois dernières années anémiques dans cet arrondissement, alors qu’en 2022, seulement 23 mises en chantier avaient été réalisées contre 57 en 2021. Il s’agit d’une importante chute comparativement à 2020, année au cours de laquelle 477 pelletées de terre avaient été effectuées dans le domaine de l’habitation à Montréal-Nord.

Même dans la ville de Montréal-Est, où il est plus normal de s’attendre à des statistiques moins élevées en matière de construction étant donné que les zones résidentielles sont limitées, 2023 est une année famélique. En huit mois, aucune mise en chantier n’a été effectuée. Pourtant, en 2020, on en comptait au total 86, puis 62 en 2021 et 24 en 2022.

RDP–PAT et MHM s’en sortent mieux

Les arrondissements de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles et de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve sont les seuls à mieux tirer leur épingle du jeu.

Ainsi, dans le quartier Pointe-aux-Trembles, de janvier à août 2023, le cumul des mises en chantier s’élevait à 56, tandis qu’il n’était que de 17 pour l’ensemble de 2022. En 2020, on dénombrait 44 mises en chantier sur ce territoire et 90 en 2021.

Cependant, plus au nord, l’état des lieux est moins réjouissant, puisqu’à Rivière-des-Prairies, seulement une mise en chantier a été faite durant les huit premiers mois de 2023. En 2020, on en comptait 52, puis 45 en 2021 et 24 en 2022.

Dans Hochelaga-Maisonneuve, la situation est inverse. On dénombrait 100 mises en chantier de janvier à août 2023, comparativement à 89 sur la même période en 2022. Au total, 130 chantiers avaient été lancés en 2020, 117 en 2021 et 207 en 2022.

Et c’est dans le quartier de Mercier où la tendance est la plus positive, car depuis le début de 2023, on a déjà débuté les travaux pour 227 chantiers résidentiels, comparativement à 225 sur la même période en 2022. Au total, on recensait 123 mises en chantier en 2020, 472 en 2021 et 525 en 2021 dans ce quartier qui est de toute évidence encore en croissance.

« Manque de vision »

La tendance que connaît l’est de Montréal ne lui est pas propre, car dans l’ensemble de la ville, les données démontrent une forte baisse des mises en chantier depuis l’an dernier. En effet, si en 2018 et 2019, le nombre des mises en chantier oscillait autour de 8250 par année, il a grimpé à 10 009 en 2020, puis à 13 204 en 2021. Cependant, en 2022, on a connu une chute importante de 29 % des mises en chantier dans la métropole, alors qu’elles tombaient à 9 427.

Pour Gérard Beaudet, professeur titulaire d’urbanisme à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, la situation étendue à tout le grand Montréal ne fera qu’empirer le retard flagrant de la relance de l’est. « Évidemment, le fait que ça soit généralisé, ça pose un problème qui est particulier. Ce n’est pas comme si on avait des dynamiques très fortes à certains endroits et qu’on pouvait essayer de les rediriger ailleurs. Là, c’est vraiment la panne sèche », lance ce dernier.

Selon l’urbaniste, l’intérêt pour le développement de l’est de Montréal n’ira pas de soi et les paliers de gouvernement ainsi que la Ville devront mettre de l’avant un plan plus concret s’ils souhaitent attirer les promoteurs immobiliers dans ce secteur. « Il n’y a aucune vision présentement. Je ne sais pas ce dont le premier ministre parle lorsqu’il nous dit que l’est, ça va être la Silicone Valley verte du Québec, alors qu’on n’a aucune idée comment ça va se faire. Donc, il y a un manque de vision qui est flagrant. Et l’autre élément qui m’étonne toujours, c’est cette idée que nécessairement les choses vont aller bien dans l’est parce qu’il y a de l’intérêt pour les terrains disponibles », ajoute M. Beaudet.

Gérard Beaudet (courtoisie Université de Montréal)

Or, l’échec du programme de décontamination des sols démontre que la stratégie de la Ville et de Québec n’a pas su porter ses fruits, croit le professeur. C’est seulement une fois que les administrations se seront prononcées clairement sur l’avenir du secteur manufacturier et industriel, sur les enjeux socioculturels, sur les transports et sur les espaces verts qu’il sera alors possible d’attirer les promoteurs immobiliers, pense-t-il. « Il y a un lourd héritage dans l’est. Il y a le Port de Montréal, le camionnage, la seule usine d’épuration dans l’île de Montréal. Le seul poste d’Hydro-Québec 735 kV, il est dans l’est, et la seule carrière encore en exploitation à Montréal aussi. C’est sans compter les vestiges du secteur pétrolier. On ne peut pas faire comme si ça n’était pas là, effacer l’ardoise et croire qu’on part de zéro », souligne M. Beaudet.

« Il ne faut pas rêver en couleur, les promoteurs privés, ils sont là pour faire de l’argent. Ils sauront flairer la bonne affaire une fois que l’est sera attractif. Mais une bonne porte de sortie pour nous dépêtrer des aléas du marché privé, c’est de penser à créer des logements sociaux et abordables », conclut-il.

La ligne bleue, moteur de développement immobilier

Comme l’indique M. Beaudet, la question des transports en commun est une variable importante dans la croissance potentielle des quartiers de l’est. Un des principaux moteurs de ce développement sera sans aucun doute le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, dont l’ouverture, prévue d’ici 2030, permettra de rejoindre l’arrondissement d’Anjou.

Selon un article du Journal de Montréal, des demandes de permis ont été déposées. Le promoteur immobilier First Capital souhaiterait voir croître 241 logements sur le terrain de l’ancien magasin Toys‘‘R’’Us, à Anjou, tandis qu’à Saint-Léonard, le Groupe Mach espère réaliser un projet de plusieurs milliers de logements sur le terrain du Carrefour Langelier, à proximité d’une future station de la ligne bleue.

De plus, une étude commandée par la Ville de Montréal produite en 2021-2022 par les firmes BC2 et Groupe Altus estime que ce projet de la Société de transport de Montréal (STM) ouvrirait la porte au développement de 14 000 nouveaux logements pouvant accueillir 28 000 résidents. D’ailleurs, selon La Presse, la STM elle-même espère obtenir le droit de pouvoir réaliser des projets immobiliers avec des promoteurs autour des stations de métro, afin de générer plus de revenus.


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