La fameuse pelletée de terre qui inaugurait le chantier du Technopôle Angus il y a 25 ans (Courtoisie SDA)

NAISSANCE DE LA SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT ANGUS : LA GENÈSE D’UN SUCCÈS

La Société de développement Angus (SDA) a célébré les 25 ans d’existence du Technopôle Angus en 2023. Plus de deux décennies marquées par la mobilisation citoyenne, la persévérance d’un idéateur et le dévouement exemplaire d’une équipe qui croit fermement en son projet. Ainsi, le Technopôle proposé par la SDA a pris forme à une époque où le développement d’emplois dans la communauté de l’est de Montréal était impératif.

La naissance de la SDA est marquée par un contexte socioéconomique vacillant. Au début des années 1990, l’économie de Montréal n’est pas au meilleur de sa forme, et à mesure que le chômage et la pauvreté s’installent, les gouvernements se retrouvent pris au dépourvu. L’État-providence est en crise, et les finances publiques sont dégarnies. C’est dans ce contexte préoccupant que se créent les Corporations de développement économique communautaire (CDEC). L’une d’entre elles sera le fer de lance d’un projet de développement du territoire unique en son genre qui marquera l’histoire de la métropole… via la naissance de la Société de développement Angus!

« Les CDEC se sont constituées dans différentes villes et quartiers, dont Rosemont, qui a plus tard fusionné avec La Petite-Patrie. Dans la corporation de ce quartier, lors d’un conseil d’administration, un représentant des syndicats des Shops Angus était présent. À ce moment, les Shops roulaient encore, elles étaient un peu en déclin, mais il restait environ 1 000 ou 1 100 employés. Par contre, tout le monde savait qu’elles allaient bientôt fermer », se rappelle Christian Yaccarini, initiateur de la revitalisation du quartier Angus ainsi que président et chef de la direction de la SDA.

Le site Angus avant le Technopôle en 1996 (Courtoisie SDA)

À l’époque, celui à qui l’on doit la création de la SDA et la renommée qu’on lui connaît aujourd’hui faisait partie de la première équipe de travail de la CDEC fondée dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie. «  Il y avait trois  employés financés par des programmes de la Ville de Montréal, du Québec et du Canada. On devait travailler sur l’employabilité et sur le soutien à l’économie locale. On soutenait principalement des personnes qui voulaient partir des micro-entreprises et on les aidait dans la réalisation de leur plan d’affaires », explique M. Yaccarini.

Professionnel ambitieux, déterminé et qui n’a pas la langue dans sa poche, Christian Yaccarini préférait participer à des projets économiques plus « macros », des initiatives qui feraient vraiment une différence. « Ce n’était pas ma tasse de thé de faire des plans d’affaires. On travaillait un an et demi sur ça, par exemple, et pendant ce temps-là, des shops fermaient à coup de 150 employés. »

Et il n’a pas tort. En 1992, les Shops Angus mettent finalement la clé sous la porte. La compagnie ferroviaire Canadien Pacifique (CP) ferme définitivement ses ateliers montréalais et un millier de travailleurs perdaient leur emploi. Mais cette fermeture, comme celle de nombreuses autres usines à l’époque, allait donner le coup d’envoi d’un projet mobilisateur qui changera drastiquement le portrait social et commercial d’un quartier de l’est jusqu’alors peu développé.

Le site du Technopôle en 1998 (Courtoisie SDA)

Un projet sur la table

Quelques jours après la fermeture des ateliers Angus, une réunion est organisée, regroupant les CDEC et leurs employés-membres. Christian Yaccarini, qui participe à ce conseil d’administration, est convaincu du potentiel indéniable du terrain qu’occupent les Shops, toujours détenues par le CP, et propose de l’acquérir et de le développer. Tous ne sont pas aussi optimistes que lui : « Mon boss trouvait que j’étais fou et aussi qu’on n’avait pas une cenne… ce qui était vrai! », précise avec humour M. Yaccarini.

Christian Yaccarini (EMM)

Le visionnaire et grand amoureux de l’est de Montréal est aussi bien au fait des terrains donnés à la communauté,à dans le cadre de fermetures d’usines notamment en Ohio, aux États-Unis, par la compagnie Westinghouse. D’autres industriels américains feront de même à cette époque. Il s’inspire de ce phénomène pour inciter le CP à collaborer. Par ailleurs, Christian Yaccarini s’adresse aux conseillers municipaux André Lavallée et Michel Lemay, et leur explique que l’acquisition de ce grand terrain serait une occasion en or de repartir la roue du développement dans l’est.

En 1983, le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal avaient acquis la moitié du site Angus, entre la rue Saint-Michel et l’avenue Bourbonnière, terrain racheté à La Société Immobilière Marathon, qui avait annoncé dès 1976 son intention d’y construire un imposant centre d’achats. À la fin des années 1980, le conseiller au Comité logement Rosemont, André Lavallée, des commerçants des promenades Masson, Mont-Royal et Ontario, et des membres de groupes communautaires s’y étaient fermement opposés. « Il y a eu une mobilisation très forte à ce moment, et cette jonction-là, entre les commerçants et les groupes communautaires, ç’a été payant », explique le président et chef de la direction de la SDA.

Dans cette partie du site, des projets résidentiels mixtes, sociaux et coopératifs seront finalement développés au fil des ans.

Lutte de vocation

Le terrain vacant est finalement revendiqué par Christian Yaccarini et ses collaborateurs de la CDEC, qui souhaitent y ramener l’emploi en le développant et en y attirant des entreprises. Une bataille éclate d’abord sur le zonage de cet espace détenu par le CP, qui demande un changement de vocation sur le terrain de 5 millions de pieds carrés afin qu’il passe d’industriel à résidentiel. Le CP souhaite y construire un parc de résidences. « Le CP, c’était le plus grand propriétaire foncier à Montréal, donc il avait un poids important. Mais nous, on s’opposait à ça, parce qu’il fallait garder ce terrain-là pour de l’emploi. On était en pleine crise, il n’y avait plus de jobs », explique M. Yaccarini.

À ce moment, les citoyens du quartier Rosemont sont appelés à se mobiliser et des assemblées publiques sont organisées. « On a reçu beaucoup d’appuis, et même de la part des groupes de logement qui ont soutenu notre demande que le terrain reste à vocation industrielle. Leur analyse était simple : les locataires ont de la difficulté à payer leur loyer parce qu’ils n’ont pas d’emploi. »

Finalement, à la suite de négociations entre le CP, le conseiller municipal de Rosemont, André Lavallée, et le directeur d’urbanisme de la Ville de Montréal, une entente est proposée : le terrain sera divisé en deux. Une partie détiendra une vocation résidentielle et l’autre, industrielle. Mais Christian Yaccarini reste convaincu que le CP n’a aucun intérêt pour le développement commercial d’Angus. On demande donc à la compagnie de céder l’entièreté du terrain. Les pourparlers qui suivent sont féroces, et la CDEC est inquiète car elle dispose de très peu de moyens.  « ​​Mais finalement, nous sommes arrivés à obtenir une option d’achat sur le terrain d’une superficie de 2,4 millions de pieds carrés. Pour pouvoir maintenir cette option d’achat, il nous fallait acquérir à chaque deux ans un certain nombre de pieds carrés. »

Selon Christian Yaccarini, le ​​CP était persuadé que la CDEC ne serait jamais capable d’honorer l’entente et d’acquérir la première parcelle de terrain. Mais la corporation déjoue ses prédictions.

En 1994, en marge de l’entente, la CDEC crée la Société de développement Angus, un organisme à but non lucratif à qui elle transfère l’option d’achat du terrain. La SDA sera la clé du futur succès du Technopôle Angus… une histoire à suivre dans le prochain texte de cette série spéciale!

Une partie du Technopôle Angus aujourd’hui, à l’angle des rues William-Tremblay et Molson (Courtoisie SDA)


Cette série spéciale est financée par la Société de développement Angus