Traverse à la rivière des Prairies vers 1940 (archives SHGMN).

MONTRÉAL-NORD : DE TERRE RURALE À CARREFOUR COSMOPOLITE

Ayant fêté son 100e anniversaire en 2015, l’arrondissement de Montréal-Nord a bien changé depuis l’arrivée de ses premiers agriculteurs au tournant du XXe siècle. Portait d’un arrondissement où histoire et modernité font bon ménage.

Le vaste territoire du nord de l’île de Montréal s’appelait à l’origine le Sault-au-Récollet. Il englobait une partie de ce qui est connu aujourd’hui comme Saint-Michel, Ahuntsic, Bordeaux et Montréal-Nord. Cette dernière partie était surnommée le Bas-du-Sault à cause des rapides que l’on trouvait à l’époque dans la rivière des Prairies à cette hauteur. La ville de Montréal-Nord a été créée en bonne et due forme le 5 mars 1915. Très rurale, elle comptait plusieurs maisons de ferme et de villégiature. Certaines de ces habitations existent d’ailleurs toujours aujourd’hui et sont répertoriées dans un circuit créé par la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord (SHGMN). « En ville, les maisons étaient tellement collées que quand il y avait un feu, ça nettoyait tout un quartier. À Montréal-Nord, les maisons étaient plutôt éloignées, ce qui a permis de les préserver. Ça explique donc comment elles ont survécu au passage du temps », explique Jean-Paul Guiard, président et initiateur de la SHGMN. En effet, une trentaine de terres qui s’étendaient de la rivière des Prairies jusqu’à ce qui est connu aujourd’hui comme le boulevard Industriel comptait chacune une maison ou deux seulement.

Dans cette véritable campagne non loin de la ville, on trouvait une laiterie et des animaux de ferme. Pour s’y rendre, on utilisait le tramway, qui suivait le tracé actuel du boulevard Henri-Bourassa, ou encore le traversier sur la rivière des Prairies. L’épicentre de la ville se trouvait le long du boulevard Gouin. « C’est la base de Montréal-Nord, confirme Jean-Paul Guiard, avec la paroisse Ste-Gertrude, la première de Montréal-Nord. »

Dans les années 1930-1940, la vie devient plus difficile au centre-ville de Montréal. Des résidents choisissent de venir s’installer dans Montréal-Nord, où le prix des loyers est très bon marché. Ce secteur, qu’on qualifie de première banlieue de Montréal, passe de 1000 à 12 000 habitants en 1950, juste après la Deuxième Guerre mondiale. Par la suite, différentes vagues d’immigration changent peu à peu le portrait démographique et socioéconomique de Montréal-Nord. « La première, ça a été les Italiens qui sont venus justement dans les années 50 à peu près. On dénombre 48 000 Nord-Montréalais en 1961. Après, dans les années 70, on voit arriver la première vague d’immigration haïtienne, composée surtout de ceux qui fuyaient le régime de Duvalier. Une vague subséquente d’Haïtiens déferlera dans les années 80-90. Et au début des années 2000, c’est plutôt l’immigration maghrébine qui prend le dessus », précise Jean-Paul Guiard, qui habite d’ailleurs lui-même le quartier depuis 45 ans.

Terminus Est-tramway Montréal-Nord-1940 (archives SHGMN).

De ville à arrondissement

Aujourd’hui, Montréal-Nord, considérée comme un arrondissement de Montréal depuis 2001, jouit d’une grande mixité culturelle et forme un quartier surtout ouvrier. Il s’étend sur seulement 6,5 km et compte près de 97 000 habitants répartis dans 3 quartiers principaux situés respectivement à l’est, au centre et à l’ouest. « L’immigration haïtienne s’est surtout installée dans la partie nord-est, les Maghrébins habitent plutôt la partie ouest, tandis qu’au centre, c’est très mixé », mentionne Jean-Paul Guiard. Les frontières de l’arrondissement se définissent, grosso modo, par la rue Saint-Michel à l’ouest, la rivière des Prairies au nord, la rue Albert-Hudon à l’est et le boulevard Industriel au sud.

Les Montréalais peuvent voir plus d’une trentaine d’œuvres d’art publiques sur ce territoire. On peut aussi y admirer l’habitat Saint-Camille, surnommé autrefois « La petite place des arts ». « Chaque fois que les grands de la chanson venaient à la Place des arts en ville, ils passaient aussi à Montréal-Nord, tels que Gilbert Bécaud ou encore Félix Leclerc », raconte Jean-Paul Guiard. Cette bâtisse est d’ailleurs unique en son genre avec ses 65 angles. « Ça donne une idée de la complexité de la construction! », ajoute le président de la SHGMN.

L’église Sainte-Gertrude vers 1930 (archives SHGMN).

Côté nature, les résidents de Montréal-Nord sont aussi choyés avec de vastes parcs comme Aimé-Léonard, Pilon ou Eusèbe-Ménard ainsi que la promenade qui permet de longer à pied ou à vélo le boulevard Gouin. L’arrondissement est également traversé en grande partie par le parc-nature de l’Île-de-la-Visitation. C’est sur Gouin que se trouve d’ailleurs la plupart des fameuses maisons ancestrales de l’arrondissement, dont la toute première école de Montréal-Nord, aujourd’hui résidence privée, au 5080, boulevard Gouin.

Histoire et généalogie

Organisme à but non lucratif, la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord veille à « la promotion et l’apprentissage de l’histoire et de la généalogie, et à la diffusion de connaissances historiques » dans l’arrondissement. Elle offre d’ailleurs gratuitement à toute personne ou organisation intéressée de dresser sa généalogie. « Ça arrive régulièrement, dit Jean-Paul Guiard. Encore hier soir, j’ai reçu une demande de la députée pour une information historique. » La SHGMN peut compter sur le travail appliqué de ce dernier et des 300 autres membres actifs, tous passionnés d’histoire.

Jean-Paul Guiard, président de la SHGMN (photo courtoisie).

En plus de la recherche, la protection du patrimoine est au cœur des activités de cette société. « On ajoute quatre ou cinq panneaux patrimoniaux par année sur le territoire, souligne Jean-Paul Guiard. Ils racontent l’histoire de bâtiments disparus, d’événements marquants, le contexte de création de certains parcs, etc. » Des lieux parfois tombés dans l’oubli ont effectivement marqué l’histoire de Montréal, comme Le Domino ou Le café du nord, deux clubs de nuit autrefois très populaires, ou encore des restaurants renommés tels que le Vita BBQ et La Baleinière. « J’ai fait une nomenclature de ces établissements il y a quelques mois et j’ai relevé 550 restaurants à Montréal-Nord à travers l’histoire! »

La SHGMN organise aussi des conférences. Chaque fois, 60 à 70 personnes viennent écouter les historiens invités. L’organisme évolue à l’intérieur de la bibliothèque Yves-Ryan, la toute première de Montréal-Nord. À l’époque de sa création, en 1970, les titres des journaux la qualifiaient de première bibliothèque électronique au Canada. « C’était branché sur le téléphone, on rentrait deux cartes, une pour l’abonné et une pour le livre. C’était ingénieux à l’époque! », révèle Jean-Paul Guiard.

Pont Pie-IX en 1938 (archives du ministère des Transports du Québec).

Il semble bien loin, le temps où les tout premiers Nord-Montréalais, ces familles d’agriculteurs et de citadins en vacances, investissaient les grandes terres du nord-est de l’île. Le portrait de Montréal-Nord est tout autre aujourd’hui, mais aussi riche. « C’est un arrondissement accueillant pour lequel les citoyens, les élus et la Société d’histoire ont une vision très positive pour l’avenir », conclut Jean-Paul Guiard. Vivant, dense et cosmopolite, Montréal-Nord offre une foule de petits trésors à qui veut bien les découvrir.


Le dossier spécial « Montréal-Nord 2021 » a été rendu possible grâce à la collaboration de :