Robert Coutu, maire de Montréal-Est (photo : EMM)

MONTRÉAL-EST N’EST PLUS UNE COQUILLE FERMÉE

Pour souligner le lancement du site EST MÉDIA MONTRÉAL, une douzaine de dirigeants d’organismes et d’élus influents de l’Est de la métropole ont accepté de participer à une importante série d’entrevues exclusives et de partager avec vous leur vision des enjeux et des défis à relever sur le territoire au cours des prochaines années. Cette semaine, le résumé de notre rencontre avec Robert Coutu, maire de Montréal-Est.

Robert Coutu, le maire de la seule ville défusionnée de la région, est sur toutes les tribunes de l’Est, de tous les comités qui touchent le développement du territoire. Autant la souveraineté de sa ville est pour lui essentielle, autant il milite pour un Est collectivement plus fort et en santé. Et il n’y voit aucun paradoxe : « Je ne me sens pas en compétition avec les arrondissements de Montréal, je crois que notre administration se considère plus comme un partenaire. Montréal-Est est une ville, certes, mais comme nous sommes au cœur de l’Est de Montréal, nous avons un rôle à jouer dans le développement régional. De toute façon, si on ne s’implique pas, les décisions vont se prendre sans nous et ça, je ne veux plus que Montréal-Est en subisse les contrecoups, comme cela a déjà été le cas», affirme-t-il. Le maire, élu en 2009, fait référence à l’ancien mode de fonctionnement de la ville qui était reconnue à l’époque pour son côté plutôt hermétique. « Montréal-Est n’est plus une coquille fermée. On axe sur la transparence et nous voulons que nos voisins connaissent nos aspirations et nos points de vue, et on veut aussi connaître les leurs », explique M. Coutu.

Est-ce que l’Est se porte bien actuellement? Selon le maire, certainement beaucoup mieux que dans les années 80 et 90, alors que les grandes raffineries, entre autres, ont quitté ou diminué fortement leurs activités, comme Esso et Shell. « Les terrains se décontaminent tranquillement et certaines grandes parcelles commencent à être disponibles. Grâce au changement de zonage que nous avons effectué ces dernières années, aux travaux d’infrastructures qui se poursuivent, à la rareté des grands terrains à Montréal et à notre positionnement géographique avantageux, les grands projets s’en viennent enfin très bientôt dans Montréal-Est. La vibe est en train de changer c’est certain, même s’il reste beaucoup de travail à faire », nous dit Robert Coutu.

Une ville avant tout industrielle

Certains seront surpris d’apprendre que dans les années 60, Montréal-Est était considérée comme la 4e ville la plus industrialisée au Canada. Évidemment, ce statut reflète l’imposante concentration d’entreprises liées au pétrole et à sa transformation. Si le territoire y compte moins de raffineries aujourd’hui, il s’avère toutefois, et toujours, la seule chaîne du polyester au pays, ce qui englobe l’industrie pétrochimique et tous ses dérivés. Notons qu’il y a également plus de 2 000 employés de l’extérieur du territoire qui se dirigent quotidiennement à Montréal-Est, soit l’équivalent de la moitié de la population locale, un fait unique dans le Grand Montréal.

« Nous vivons actuellement une transformation progressive de l’industrie lourde vers l’industrie légère, mais il s’agit d’entreprises industrielles quand même. Montréal-Est est une ville dont la vocation était industrielle, et ce sera toujours le cas dans 200 ans, il ne faut pas se leurrer », soutient M. Coutu. Il ajoute qu’à titre de maire, il doit par contre prioriser le bien-être des citoyens, qui sont environ 4 000 en ce moment sur le territoire. « La qualité de vie s’est améliorée depuis quelques années à Montréal-Est. Par exemple, même s’il est arrivé un incident récemment avec l’usine de transformation de cuivre CCR (taux d’arsenic élevé), la qualité de l’air est vraiment beaucoup mieux qu’avant, même mieux qu’au centre-ville à cause notamment des règles environnementales beaucoup plus sévères pour les industries. Nous investissons aussi beaucoup dans nos infrastructures de loisirs, dans les organismes du secteur et on essaie de verdir le plus possible. Oui l’administration municipale est un catalyseur pour le développement industriel à Montréal-Est, mais je crois qu’on s’occupe aujourd’hui beaucoup plus de nos résidents qu’avant », affirme le maire.

Selon M. Coutu, le discours des acteurs politiques et des gens d’affaires a changé depuis une dizaine d’années à Montréal-Est. « Avant on ne parlait que de rentabilité économique, alors que maintenant il est question d’investissement responsable, de développement durable et d’acceptabilité sociale. Aujourd’hui on parle de transport collectif, de soins de santé et de persévérance scolaire. On commence à parler de qualité de vie à Montréal-Est, et de fierté dans notre ville, c’est nouveau ça », exprime le maire.

Tous pour un, un pour tous

Si le village gaulois a su résister à la domination de la ville centre (Montréal), et malgré qu’il doive obligatoirement consacrer la moitié de son budget à celui de l’agglomération de Montréal pour le partage de services publics (police, incendie, etc.), Montréal-Est pèse visiblement plus lourd qu’avant dans la balance lorsque l’on délibère sur l’avenir de l’Est de Montréal, et la petite ville fait entendre sa voix régulièrement. Son maire est d’ailleurs l’un des membres les plus actifs du Comité de développement de l’Est de Montréal (CDEM), un genre de méga table de concertation regroupant plus d’une centaine d’acteurs politiques et socio-économiques de la région (nous y reviendrons dans quelques jours sur Est Média Montréal). « Les gens de l’Est se mobilisent de plus en plus pour faire avancer les dossiers communs, et on veut faire partie des décisions. Ce qui ressort de tout ça, c’est que lorsqu’on a des choix importants à faire chacun de notre côté, on pense maintenant à l’impact que cela aura pour l’Est dans son ensemble. Que l’on soit un arrondissement ou une ville, il faut aujourd’hui travailler ensemble pour que l’Est retrouve toute sa force et, au moins, récupère les investissements dont il a droit », explique M. Coutu. Pour lui, les engagements historiques de tous les partis aux élections du 1er octobre dernier concernant le transport collectif et la décontamination des sols, par exemples, sont le fruit avant tout de la mobilisation constante des acteurs de l’Est au cours des dernières années. « Maintenant, on verra ce que le gouvernement en place fera réellement, mais les attentes sont dorénavant très, très élevées pour l’Est de Montréal, c’est le moins que l’on puisse dire.»

Montréal-Est, même si elle est aujourd’hui plus impliquée qu’avant dans le développement régional, demeure la seule ville défusionnée de l’Est de Montréal. Et elle est toujours aux yeux de certains perçue comme le mouton noir du coin. « Oui mais c’est de moins en moins vrai. Les gens voient bien avec le temps que nous sommes ouverts et collaborateurs. D’un autre côté, je crois que certains nous envient parce nous sommes maîtres de notre destinée, et ça ne nous prend pas deux ans pour prendre une petite décision, nous avons encore le luxe de pouvoir réagir rapidement. Et nous sommes bien fiers de notre indépendance », soutient le maire, qui ajoute que « si nous gérions l’ensemble de notre budget au lieu d’en donner la moitié à l’agglomération, cela nous coûterait probablement 50 % moins cher pour avoir le même niveau de service. » En cela il affirme la même chose que le maire d’Anjou nous avait déclaré dans le cadre de cette série de reportages, quoique son arrondissement n’avait pas réussi, lui, à se défusionner lors du référendum de 2004.

Une terre d’opportunités

Montréal-Est est le territoire qui possède en ce moment le plus grand potentiel de développement d’affaires de la région métropolitaine compte tenu de ses millions de pieds carrés inutilisés en zone industrielle. Le problème, bien connu maintenant, est que presque tous ces espaces sont contaminés. « Le seul frein pour le développement d’un Montréal-Est moderne et fort, c’est la contamination. Il y a tellement de demandes que nous ne pourrions même pas fournir, même si 100 % des terrains seraient disponibles demain matin. Vous savez, des terrains de 500 000 ou 600 000 pi2 à Montréal, c’est très, très rares », affirme le maire. Ce dernier doit d’ailleurs être heureux de la promesse de la CAQ d’injecter 200 millions de dollars supplémentaires dédiés spécifiquement à la décontamination des sols dans l’Est de Montréal au cours du présent mandat.

Les anciens terrains de Shell commencent toutefois, après quelques années de décontamination, à se libérer graduellement. Propriétés aujourd’hui de l’entreprise locale Groupe C. Laganière, spécialisée justement dans la réhabilitation de sites contaminés, ces quelques 2 millions de pi2 sont effectivement très prisés si l’on en juge par la volonté annoncée cet été par la Société de développement Angus d’y bâtir un nouveau quartier alliant développement économique et milieu de vie résidentiel, un projet s’inspirant du Technopôle Angus, dans Rosemont. Et il y aurait, paraît-il beaucoup d’autres investisseurs en ligne en ce moment.

L’autre grand terrain inutilisé depuis plus de 30 ans, plus grand que celui de Shell, est celui de la pétrolière Esso qui a démantelé ses infrastructures de raffinage depuis déjà longtemps. L’entreprise s’est toutefois montrée peu intéressée à vendre jusqu’à maintenant. « Pour une multinationale comme ça, ce n’est rien de devoir payer 2 millions de dollars par année de taxes pour un terrain vacant qui leur appartient. C’est une goutte d’eau et je crois que c’est pour l’instant moins compliqué pour Esso de garder son actif. Mais pour nous c’est très désavantageux car une fois reconditionnés, ces terrains pourraient facilement générer le triple de taxes pour Montréal-Est et attirer de nouvelles entreprises, de nouveaux employés, et donc faire tourner l’économie locale de façon beaucoup plus efficace qu’en ce moment », clame M. Coutu. L’administration municipale de Montréal-Est continue donc d’inciter l’entreprise à vendre ses terrains inutilisés mais elle possède « malheureusement peu de leviers pour la faire bouger », soutient le maire.

Parlant de grands projets susceptibles de s’installer sur le territoire, Robert Coutu affirme que Montréal-Est ne sera toutefois pas un site à rabais. « On me parle souvent de Molson qui aurait pu venir ici, mais quand je regarde ce que la ville de Longueuil leur a donné en avantages de toutes sortes, je suis complètement consterné. Les citoyens de Longueuil vont payer cher et vont payer longtemps pour avoir Molson, et c’est rendu une certaine norme pour attirer les immenses projets, comme Amazon. Moi je veux une relation gagnant-gagnant avec les entreprises de Montréal-Est, pas de perdant-gagnant comme ça été le cas avec Molson. »

Quelles sont les priorités pour l’Est de Montréal dans les prochaines années selon le maire de Montréal-Est? « Évidemment le transport collectif, qu’il faut considérablement améliorer, et trouver des moyens pour développer des axes de transport nord-sud qui sont rares dans la Pointe-de-l’Île. Il faudrait aussi selon moi rénover plusieurs infrastructures de santé et reconstruire complètement l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. J’ajouterais que nous devrions collectivement mieux appuyer nos organismes communautaires, et promouvoir activement la persévérance scolaire. » Plus localement, Robert Coutu aimerait bien accélérer la revitalisation du centre-ville de Montréal-Est « en densifiant les unités de logement dans ce secteur et en attirant plus de commerces de proximité, c’est un objectif qui me tient vraiment à cœur », conclut le maire.