AU REVOIR MONSIEUR CINÉMA !
Un véritable « bâtisseur » dans le quartier Rosemont, Mario Fortin, directeur général des cinémas Beaubien, du Parc et du Musée, prendra bientôt sa retraite après une longue carrière dans le milieu.
Celui qui est aux commandes de la salle de projection locale depuis son rachat en 2001 (Cinéma Beaubien) quittera sa direction en décembre après avoir assuré la renaissance et la création de trois lieux culturels majeurs dans le paysage montréalais.
« Mario a su jongler autant avec le défi d’offrir du cinéma de qualité qu’avec celui de contribuer au développement social et économique de Rosemont–La Petite-Patrie. Il a aussi beaucoup contribué à l’éducation du jeune public et ça, c’est vraiment à souligner », affirme Patricia Hanigan, présidente du conseil d’administration de la Corporation du Cinéma Beaubien.
En effet, M. Fortin a non seulement supervisé la revitalisation du Beaubien, mais il a aussi eu la perspicacité de participer à l’organisation de festivals hébergés par le cinéma, qui en ont fait, à leur tour, un lieu de diffusion privilégié. Le Festival International du Film pour Enfants de Montréal est l’un de ces événements qui a fait du Beaubien, et de son directeur, des figures marquantes de Rosemont, « à un point tel que les enfants du quartier l’appellent Monsieur Cinéma », souligne Mme Hanigan.
Lorsque la corporation a repris l’immeuble de l’ancien cinéma Dauphin il y a plus de 20 ans (aujourd’hui le Beaubien), il n’y avait qu’une salle de cinéma. Les premiers travaux de transformation, à coup de millions de dollars, permettent alors de diviser cette salle en deux, puis d’en ajouter une troisième.
Quelques années plus tard, la corporation reprend les espaces loués à l’étage du dessus pour les transformer en salles additionnelles. Tout cela a été fait sous l’égide de M. Fortin, « qui ne s’y connaissait pas juste en programmation, mais aussi en fonctionnement de cinéma, en caractéristique de salle, etc. », insiste Michel Lemay, trésorier du conseil d’administration du cinéma. « Il a travaillé à tous les niveaux, il a commencé sa carrière comme assistant gérant d’une salle de cinéma. Il a travaillé dans une boîte de production, dans la distribution. Son expérience couvre tous les champs possibles du monde du cinéma. Au moment où il est arrivé, il était la personne idéale pour assurer la transformation du Dauphin et le développement du Beaubien », ajoute ce dernier.
Présent dès le début de l’aventure du Cinéma Beaubien au sein de son conseil d’administration, le cinéaste Philippe Falardeau a longtemps collaboré avec M. Fortin. « À peine un an après avoir travaillé avec lui, j’avais déjà une angoisse profonde : qu’est-ce qui va arriver lorsqu’il va partir? Mon angoisse venait du fait que je me disais : « ce gars là est infatigable, intraitable ». Il a fait quelque chose de miraculeux dans le contexte où tous les cinémas de quartier mourraient les uns après les autres », souligne le réalisateur.
Celui-ci aura redonné à la diffusion du cinéma une fonction de vitalité sociale et communautaire, soutient M. Falardeau. « J’ai beaucoup de peine aujourd’hui. Je trouve que la communauté, le cinéma, le quartier perdent ce qu’on appelle dans le jargon un bâtisseur, un visionnaire », soutient le cinéaste.
Interrogé sur sa carrière, le principal intéressé est resté modeste quant à sa longue contribution au fil des années. « J’ai fait dans ces salles ce que je fais depuis ma sortie du cégep en cinéma, il y a presque 50 ans. (…) J’ai toujours été à l’écoute du public, de ses besoins. J’ai juste été un passeur », affirme-t-il.
Comptant sur une bonne expérience de l’industrie de la diffusion cinématographique, M. Fortin affirme que ce qui fait la force du Cinéma Beaubien, c’est certainement sa proximité avec son équipe et son audience. Ce dernier raconte notamment qu’il « avait l’intuition » qu’il fallait répondre au besoin des spectateurs pour une diffusion locale, à petite échelle. « J’ai juste continué dans cette direction. »
La petite histoire d’un cinéma de quartier
Fondé en 1937, le Beaubien est alors une petite salle de projection de 400 places. En 1941, celui-ci est vendu à la Canadian Odeon Theatres, qui l’administre sous le nom Le Dauphin.
Puis en l’an 2000, le cinéma fait face à la faillite. Odeon Theatres ferme alors 72 salles en Amérique du Nord, dont plusieurs à Montréal. Les citoyens et acteurs du milieu s’organisent alors pour sauvegarder le cinéma de quartier iconique, et avec l’aide de la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Rosemont, ils y arriveront.
Depuis 2001, la Corporation du Cinéma Beaubien gère ainsi les infrastructures, avec Mario Fortin comme directeur. Au fil des années, les lieux ont été revitalisés et prennent de l’ampleur, passant d’une seule salle à cinq aujourd’hui.
Rappelons que ce fut un combat à contre-courant que de vouloir persévérer dans la diffusion à petite échelle, alors qu’au début des années 2000, les cinéplex dominaient le marché cinématographique.
« Les mégaplex ont su attirer les jeunes, mais les cinéphiles d’une autre génération ne se retrouvaient plus dans ces lieux là, raconte M. Falardeau. Il y a plein de films et de cinéastes qui ont besoin de ce type de cinéma là pour rejoindre un autre public. » Selon ce dernier, le Cinéma Beaubien a su démontrer que les petites salles locales pouvaient encore être des destinations, mais aussi des piliers économiques pour les quartiers autour desquels les gens se « rassemblent et partagent une expérience. »