Le Stade olympique (EMM)

LA MÉTAMORPHOSE DU SECTEUR DE ROUEN SE POURSUIT

La place Simon-Valois, la promenade Ontario, le marché Maisonneuve : trois lieux iconiques qui évoquent aussitôt le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Avec sa faune plutôt éclectique, ses habitations tantôt désuètes tantôt chics et ses commerces variés, ce quartier respire la mixité. Et c’est justement le mot d’ordre que s’est donné la Ville quand est venu le moment de repenser le secteur de Rouen. Portrait d’une zone industrielle en pleine métamorphose.

Situé dans le quadrilatère que forment le boulevard Pie-IX, la rue Viau, l’avenue Pierre-De Coubertin et la rue Ontario, le secteur de Rouen s’étend donc à l’ombre du Stade olympique. À l’époque, c’est-à-dire au tout début du XXe siècle, la Ville de Maisonneuve, où se trouve le secteur de Rouen, représentait un important pôle économique, ce qui lui valut même une cinquième position parmi les villes industrielles canadiennes ainsi que le surnom de « Pittsburgh du Canada ». Car en effet, la Ville de Maisonneuve profitait d’un emplacement plus que stratégique pour les entreprises, avec le chemin de fer ainsi que le port à un jet de pierre.

L’ancienne biscuiterie Viau, transformée au tournant des années 2000 en unités d’habitation.

Des milliers de Montréalais occupaient des emplois dans cette enclave industrielle, et ce, jusqu’au tournant des années 2000. La transformation de l’économie mondiale ainsi que l’insistance marquée pour l’implantation de condos ont presque eu raison du secteur de Rouen, qui vit quantité d’industries le quitter au fil des années. Si elle ne payait pas de mine il y a vingt ans, la zone a repris du poil de la bête depuis. Des constructions neuves ainsi que des rénovations de bâtiments existants ont changé la face du secteur de Rouen. Des entreprises restent ou de nouvelles viennent. On y trouve des bâtiments de Vidéotron, de Dental Wings ou de Québec Linge, mais aussi des fabricants de patins, de biscuits ou encore de textiles innovants. De plus, les résidents et les travailleurs ont même vu apparaître de petits cafés et quelques restaurants, comme le Hoche Glacé, petit frère du Hoche Café, situé plus au sud.

De nombreux bâtiments industriels de toute sorte longent la rue de Rouen. Certains accueillent aujourd’hui des bureaux, d’autres des industries légères ou encore des condominiums. Chose certaine, ça rénove dans ce secteur.

La mixité, le leitmotiv

Mais ce vent de fraîcheur n’est pas apparu comme par magie. En effet, la Ville de Montréal a choisi, il y a quelques années, de mieux encadrer le développement du secteur en modifiant la réglementation en vigueur. « Au début des années 2000, chaque fois qu’il y avait des demandes de transformation d’immeubles vers de l’habitation, c’était ce qui était priorisé », confirme Laurence Lavigne Lalonde, conseillère municipale dans l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Un enjeu de cohabitation s’est donc installé entre les industries et les résidents, et par le passé, la Ville dut gérer des mésententes entre certains habitants et des industries à l’origine de nuisances, comme le camionnage. La Ville souhaitait donc trouver une solution pour à la fois prévenir la gestion de problèmes de nuisance ainsi que conserver, et même créer, des possibilités d’emplois dans le secteur.

Le marché Maisonneuve, via de Rouen.

C’est en 2018 que la réflexion et les modifications se sont amorcées. Et en avril 2020, la Ville a modifié un règlement dans le but de « favoriser l’émergence d’entreprises innovatrices et créatrices d’emplois dont les activités s’intègrent bien au milieu urbain. » Car des entrepreneurs faisaient pression afin de pouvoir à la fois conceptualiser, fabriquer et vendre leurs produits sous un même toit. Si cela peut sembler simple, ces entreprises peinent habituellement à trouver logis justement à cause de la réglementation anciennement déficiente à leurs yeux. Pour Laurence Lavigne Lalonde, cela crée non seulement des emplois, mais un dynamisme. « Des propriétaires immobiliers cherchaient à se renouveler et étaient très contents de voir ça arriver. Effectivement, ça vient ajouter quelque chose d’intéressant pour convaincre les entreprises de s’installer dans leurs complexes, en plus de créer une identité à ce quartier-là. »

Un immense projet immobilier du promoteur Rachel Julien commencera à prendre forme en 2021, dans le secteur du Pro Gym, rue Hochelaga entre Bennett et Letourneux.

Avez-vous dit « gentrifié »?

L’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve est peut-être l’un des secteurs montréalais où la gentrification est la plus visible. Des triplex très modestes se juxtaposent à de magnifiques bâtiments classés patrimoniaux; de vieilles boutiques de babioles partagent la rue Ontario ou Ste-Catherine avec des magasins de fringues BCBG; et se succèdent des casse-croûtes bien graisseux et des bistros aux additions plus salées. Aussi, les nombreux condos léchés du secteur de Rouen détonnent dans le paysage des appartements souvent plus modestes qui se trouvent plus au sud et à l’ouest du quartier Hochelaga. Questionnée sur le sujet, la députée fédérale, Soraya Martinez Ferrada, tenait à préciser qu’elle ne souhaite pas voir une gentrification à outrance dans ce secteur. Mais qu’en est-il du palier municipal? « Plusieurs condos s’adressent à des premiers acheteurs et sont à des prix somme toute abordables dans le marché du condo de Montréal… même si ce n’est pas abordable pour tous les portefeuilles », précise d’abord Laurence Lavigne Lalonde. « Ceci étant dit, le service d’habitation a créé le Règlement pour une métropole mixte qui vient obliger les constructeurs à construire du logement social et abordable dans chacun de leurs projets. Et on s’assure aussi de réserver de l’espace pour des loyers à plus faible coût dans le secteur. » Pour ce qui a trait aux baux commerciaux, dont on ne connaît pas le prix moyen – pas plus que celui des loyers résidentiels -, ce n’est pas la Ville de Montréal qui tient les cordons de la bourse.

Néanmoins, l’arrondissement se montre très enthousiaste face à l’avenir du secteur de Rouen. Les vitrines commerciales désormais permises ajouteront à son dynamisme et favoriseront, espère-t-il, la venue d’entreprises de services. « Ça peut amener une cohabitation intéressante et permettre aux citoyens de vraiment vivre dans leur quartier, que ce soit à pied ou à vélo », mentionne la conseillère. Fidèle à elle-même, l’administration Plante travaille aussi, chaque fois qu’elle en a l’occasion, sur l’aménagement, avec la sécurisation des rues, la plantation d’arbres et la création de saillies de trottoir. « On a vu la piste cyclable sur Desjardins ajouter beaucoup de fraîcheur dans le quartier », cite-t-elle en exemple.

Et à plus long terme, c’est encore la mixité qui sera mise de l’avant pour guider les décisions. Bien sûr, la rue de Rouen ne deviendra jamais une artère commerciale à l’instar de la rue Ontario ou encore la rue St-Hubert, plus à l’ouest, mais plutôt un endroit avec des services de proximité et un pôle d’emplois intéressants. « Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait vraiment une cohabitation harmonieuse entre les résidents de tous les revenus et les entreprises offrant plusieurs types d’emplois, et ce, dans un quartier animé et proche de deux stations de métro », rappelle la conseillère. Alors, « la Pittsburgh du Canada » est peut-être chose du passé. Mais plus de cent ans plus tard et avec une économie actualisée, rien n’empêchera le secteur de Rouen, une fois métamorphosé, de briller à nouveau.