Bien enracinée dans l’Est de Montréal depuis maintenant plus de 60 ans, Médicus est sans nul doute l’une des plus belles réussites commerciales issues de la région, quoiqu’elle demeure plutôt discrète aux yeux du grand public. En effet, bien peu savent que ce leader québécois incontesté dans le domaine de l’orthopédie, tant au niveau de la fabrication, de la vente d’équipement que des soins professionnels, possède son laboratoire et son siège social dans Rosemont, et que la première boutique familiale de chaussures, Fortunat Bleau (père du fondateur de Médicus), avait pignon sur la rue Sainte-Catherine dans Hochelaga-Maisonneuve, côtoyant dans le même quadrilatère la toute première pharmacie Jean Coutu et le premier magasin Brault & Martineau. Un petit tronçon de rue « d’Oshlag » pour le moins prolifique!

De la chaussure aux orthèses et prothèses

Le créateur de Médicus, Jean-Claude Bleau, est définitivement ce que l’on peut appeler un bâtisseur. S’il avait la « bosse des affaires », il avait autant sinon plus le désir d’apprendre, et surtout d’aider son prochain. C’est du moins l’avis de sa fille Jacinte, qui dirige Médicus depuis 2004. Cette dernière, qui est kinésiologue, orthésiste-prothésiste et détentrice d’une maîtrise en bio-mécanique, en plus d’un MBA (!), a officiellement acheté la bannière de son paternel il y a environ huit ans avec ses six autres frères et sœurs mais elle conserve la principale portion d’actions. La famille Bleau partage également depuis cinq ans l’actionnariat avec Metro inc., via la bannière Groupe Jean Coutu qui avait injecté du capital dans Médicus en 2012 afin d’acquérir une partie des actions. « Mon père avait eu une formation en podiatrie mais pour éviter tout conflit d’intérêts, il limita ses activités au domaine de l’orthopédie, chaussures spécialisées, orthèses et prothèses. Il ne se déclarait pas podiatre, il préférait opérer son laboratoire », explique Jacinte Bleau.

Une épidémie de polio frappe alors une fois de plus le Québec à l’orée des années 1960. Le laboratoire de M.Bleau, le seul appartenant à un francophone, est grandement sollicité et il se doit d’apporter des solutions novatrices. Qu’à cela ne tienne, il part alors pour l’Allemagne à la découverte des dernières technologies dans le domaine de l’orthopédie et y découvre que l’on emploie de nouvelles matières de polymère pour remplacer le métal et même le cuir. Il fabriquera dès son retour de nombreuses orthèses d’un genre tout nouveau. « À cette même période, un médecin a demandé à mon père s’il pouvait aider une femme qui venait de se faire amputer une jambe dans un accident, à lui fabriquer une prothèse employant autre chose que le métal et le bois, ce qui était l’unique façon de faire de l’époque. Il est retourné en Allemagne suivre une formation (rires) et ensuite il s’est également mis à fabriquer des prothèses. Il ne pouvait pas laisser personne en plan sans essayer de les aider. C’était vraiment sa motivation première même si les affaires devaient être gérées rigoureusement », ajoute Jacinte Bleau.

Elle avouera en cours d’entrevue être animée par la même philosophie que son père. « Faire des sous c’est évidemment essentiel pour assurer la vigueur de l’entreprise et poursuivre la mission, il faut absolument en faire, mais il ne faut jamais oublier qu’on est là pour améliorer la qualité de vie des gens, c’est notre raison d’être », affirme la présidente.

La fabrication d’orthèses et de prothèses demande de nombreux équipements et surtout de l’espace à l’homme d’affaires qui décide alors de déménager son laboratoire sur le boulevard Saint-Laurent, près de l’avenue Laurier. C’est alors que l’entreprise devient Médicus, identité qui lui est inspirée par une rue du même nom remarquée lors de son passage en Allemagne. La boutique, mais surtout les services de fabrication sur mesure d’orthèses et de prothèses, domaines dans lesquels M. Bleau ne cesse d’innover, sont alors de plus en plus en demande et le gestionnaire-clinicien doit rapidement acheter le local adjacent afin d’agrandir l’atelier.

L’expansion de Médicus

Les besoins en services et équipements orthopédiques sont criants dans le secteur hospitalier dans les années 1970 et le savoir-faire de l’équipe Médicus amènera cette dernière à ouvrir des cliniques dans plusieurs hôpitaux montréalais afin de pouvoir fournir aux patients des appareils faits sur mesure pour eux et livrés beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Ce service institutionnel, qui devient conventionné par le gouvernement, est toujours aujourd’hui un pan important des activités de Médicus partout au Québec. L’entreprise, qui offre aussi des services volants dans des CLSC, centres pour personnes âgées et même à domicile, compte dans ses rangs plus d’une centaine d’orthopédistes-prothésistes sur un effectif total approchant les 400 employés.

Les boutiques-cliniques de la bannière (centres Médicus) suivront un peu plus tard avec l’ouverture d’une succursale à Laval et d’une autre à Longueuil, et l’atelier de fabrication ainsi que le siège social viendront s’installer en 1988 dans une école de Rosemont louée par la Commission scolaire English-Montréal. Au fil des ans, ce sera près d’une vingtaine de centres Médicus qui verront le jour dans presque toutes les régions du Québec. Ces boutiques-cliniques sont équipées pour recevoir et traiter les patients mais offrent aussi tout le volet de vente au détail d’équipements orthopédiques. On y retrouve des chaussures, des bas de compression, des appareils orthopédiques de toutes sortes, des fauteuils roulants, même des vélos adaptés. Les produits liés au « home care » sont également très présents dans les boutiques Médicus. « Le modèle est assez semblable d’un centre à l’autre. On parle environ de 4 000 pi² dont la moitié sert pour l’évaluation clinique. Ce qui caractérise notre offre au détail est bien sûr l’opportunité de trouver un grand éventail de produits spécialisés sous le même toit, mais je dirais que c’est l’accompagnement client qui fait notre grande force. On prend le temps de conseiller adéquatement les gens, ce qu’ils ne trouveront pas dans les grandes surfaces ou en pharmacie », soutient Mme Bleau. Cette dernière ajoute que Médicus devrait continuer à ouvrir de nouveaux centres au Québec dans les prochaines années, peut-être même dans les Maritimes et en Ontario, soit sous forme d’acquisition ou de partenariat avec des professionnels propriétaires. « Nous avons une première entente du genre depuis peu à Drummondville et le modèle est intéressant. Nous l’évaluons en ce moment mais il ne s’agit pas de franchises, cette avenue ne nous intéresse pas pour le moment », affirme la présidente.

Fait intéressant : selon Jacinte Bleau, environ 70 % des gens qui se présentent dans les centres Médicus arrivent avec une prescription, 20 % y vont pour trouver de l’équipement pour aider parents et amis aux prises avec des problèmes de mobilité ou qui ont des besoins en ergonomie, et l’autre 10 % viennent y chercher soit une évaluation clinique privée ou du matériel spécialisé pour eux-mêmes.

Un autre volet que l’entreprise a développé au tournant des années 2000 est la fabrication à grande échelle de produits orthopédiques disponibles sans prescription, que l’on retrouve aujourd’hui surtout dans les pharmacies Jean Coutu, actionnaire de Médicus. La plupart de ces produits sont créés et designés au laboratoire de Médicus, mais fabriqués dans différents pays afin d’assurer un prix d’achat compétitif. « La qualité des produits Médicus sur les tablettes au détail est toutefois supérieure aux autres produits génériques. Nous sommes considérés comme le haut de gamme dans ce créneau et c’est d’ailleurs principalement pour cette raison que Jean Coutu a voulu investir chez nous », affirme Jacinte Bleau.

Finalement, la recherche et développement dans le domaine des appareils orthopédiques est l’autre grand secteur d’activité de Médicus. L’entreprise, reconnue aujourd’hui sur la scène internationale pour ses innovations, y consacre beaucoup d’investissements dans le cadre de nombreux projets en cours avec les grandes universités du pays. Elle possède actuellement une dizaine de brevets dont un est particulièrement précieux et qui protège la conception d’une orthèse de genou de renommée mondiale, concept qui a pris 20 ans à peaufiner et quelque 4 M $ d’investissement. « Nous sommes actuellement sur le point de faire homologuer une autre orthèse très performante, cette fois pour l’épaule. Ce sera probablement notre deuxième grand succès sur le marché international », nous dit Mme Bleau, en ajoutant que l’entreprise évalue également la possibilité d’opérer d’ici quelques années une chaîne de montage spécialisée aux États-Unis pour des produits de haute technologie.

La dynamo de Médicus

Sous le regard assuré et le calme qui émane de Jacinte Bleau se cache définitivement une énergie hors du commun. Forte de ses nombreuses formations académiques et expertises récoltées aux quatre coins de la planète, maman de cinq enfants, la présidente de Médicus avoue que le travail ne lui fait pas peur. « Je fais l’équivalent de trois jours de gestion, trois jours de clinique et trois jours de recherche et développement en une semaine, soit six jours bien remplis de plaisir pour moi. C’est vrai que je ne compte pas mes heures mais je le fais parce que j’aime ça. Je ne serais pas capable de faire que de la gestion, j’ai besoin de faire de l’évaluation clinique, comme j’ai besoin de continuer à faire de la recherche. Si je suis certaine d’une chose dans la vie, c’est qu’il faut faire avant tout ce qu’on aime », affirme la principale intéressée.

Son plus grand défi avec la croissance de l’entreprise est aujourd’hui au niveau des ressources humaines dit-elle. « Médicus c’est maintenant une affaire d’équipe. Nous sommes beaucoup de professionnels aujourd’hui dans la boîte, et cela dans plusieurs champs d’expertises, et il faut laisser de la place à nos gens. Je ne peux plus juste dire on s’en va par là, il faut amener tout le monde à aller ensemble par là… C’est un autre type de gestion », conclut Jacinte Bleau.

Soulignons en terminant que Médicus a déménagé l’an dernier son laboratoire de fabrication central principal et ses bureaux administratifs sur la rue Molson, près de Saint-Joseph, toujours dans le quartier Rosemont.