Une maison « de vétérans » dans Villeray (photo : Stéphane Tessier).

MAISONS DE VÉTÉRANS : « À CHAQUE FAMILLE SA MAISON »

La maison de vétérans, avec sa petite taille à un étage et demi au plan carré, offre un saisissant contraste avec les plex qu’elle côtoie dans plusieurs quartiers.

On les aperçoit effectivement un peu partout à Montréal et dans plusieurs villes canadiennes. Ces maisons dites « de vétérans » sont de petite taille, mais elles ont beaucoup à raconter! Villeray en compte particulièrement plusieurs sur son territoire. Quelle est leur histoire?

Rappelons d’entrée de jeu qu’au cours de la Grande Dépression des années 1930, très peu d’habitations sont construites. Dans les villes comme Montréal, les logements sont souvent surpeuplés et dans un état déplorable… il faudra donc trouver des solutions aux problèmes de logement et les maisons de vétérans s’inscriront, comme on le verra ci-après, dans cette vague de renouveau immobilier.

Villeray s’urbanise suite à l’arrivée du tramway en 1893, et devient municipalité en 1896 puis est fusionné à Montréal en 1905. On  trouve par ailleurs des traces de ces débuts sur la rue Saint-Gérard. En 1941, Villeray est le quartier possédant la population la plus importante de l’île de Montréal avec 63 211 habitants. La population de Villeray croît rapidement pendant la guerre pour atteindre 69 725 habitants en 1945.

Crise du logement

En 1942, on dénote à Montréal un mouvement de squatters qui habitent illégalement des immeubles situés principalement dans le centre-ville. La situation n’est pas aussi grave dans Villeray. On note seulement un cas en 1956 d’occupation illégale dans un immeuble situé à l’angle Esplanade et Crémazie. Ces occupations sont l’œuvre de la « Ligue des vétérans sans logis », un groupe de 80 familles de vétérans sans logement qui « squattent » tout autant de bâtiments à différents moments.

La crise du logement qui touche Montréal n’affecte donc pas Villeray comme les vieux quartiers ouvriers. Le secteur se situe à l’époque entre la ville et la campagne. Il compte encore plusieurs terrains disponibles pour la construction. Ce sont dans des quartiers comme Villeray que l’on trouvera des solutions.

En 1939, on juge qu’il manque environ 35 000 logements à Montréal. Puis environ 50 000 en 1943. Il faut ici souligner que 65 000 personnes s’installent à Montréal entre 1940-1945 pour travailler dans les usines d’armement.

Les familles s’entassent donc à plusieurs dans un même logement. Les chambreurs se multiplient. Toutes sortes de constructions servent d’abris à des familles, alors que de nombreux logements se détériorent dans les quartiers populaires.

Environ 20 % des familles urbaines vers 1950 cohabitent même avec une autre famille. On juge qu’il manque à ce moment 60 000 logements sur l’Île de Montréal. Une intervention de l’état est exigée, et la première préoccupation du fédéral sera de loger les ouvriers des usines de guerre.

En 1941, le gouvernement fédéral crée ainsi la War Time Housing Limited (WHL). Cette société d’État a pour mission de construire rapidement et à faible coût des habitations abordables pour loger les ouvriers des usines de guerre. Ces petites habitations seront construites près de ces usines.

Il y aura une réticence du gouvernement provincial et des municipalités québécoises à voir le gouvernement fédéral intervenir sur leurs territoires. La Ville de Montréal adoptera néanmoins une modification au zonage pour permettre la construction de maisons « War Time Housing ». Les organisations catholiques telles la Ligue ouvrière catholique (LOC) souhaitent plutôt une solution provenant du gouvernement provincial et de la société civile via l’action sociale catholique. Ce qui mènera un jour à la naissance de plusieurs coopératives d’habitations.

« War Time Housing »

La société d’État WHL construit à partir de 1944 de ces habitations pour le retour des vétérans, d’où l’appellation « maisons de vétérans ».

Vers 1951, 18 500 familles habiteront les quelque 18 000 logements recensés dans Villeray pour une moyenne de 0,8 personne par pièce incluant cuisine et salle de bain. Villeray connaît un certain niveau d’entassement, mais jamais aussi prononcé que dans les quartiers ouvriers près de la ville centre. L’entassement est un phénomène qu’on associe à plusieurs problèmes sociaux qui s’en suivent comme l’hygiène, la criminalité, la délinquance…

Rappelons qu’Ottawa instaura une loi en 1935 pour faciliter l’accès à l’habitation. En temps de crise, les résultats sont à peine visibles. Le gouvernement fédéral décide de remplacer en 1946 la WHL par la Société centrale d’hypothèque et de logements (SCHL). La WHL et ensuite la SCHL construiront aussi dans Villeray plusieurs immeubles à logements de type « walk up » avec un escalier commun à l’intérieur sur l’Esplanade, près de Guizot.

En 1951, un ensemble de maisons est construit dans Villeray sur le modèle « War Time Housing » par des promoteurs privés désirant offrir une maison individuelle à un prix abordable. Ces maisons sont d’un étage et demi recouvertes de maçonnerie munie d’un porche au centre de la façade.

Maison vétérans Villeray

Photo : Stéphane Tessier

La communauté civile s’organise

Même s’il y avait une réticence des gouvernements locaux (provincial et municipal), la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) et la Ligue ouvrière catholique (LOC) poussent le gouvernement de Maurice Duplessis à adopter, en 1948, des lois visant à améliorer les conditions des logements. La Ville de Montréal est frileuse à l’idée de voir le gouvernement fédéral intervenir sur son territoire. Cependant, elle craint les problèmes qui surviendront au retour des soldats. La ville édicte alors un code du bâtiment qui vise à réduire la création de taudis et à protéger la valeur immobilière des habitations.

La population s’organise de son côté grâce à ces deux groupes (CTCC et LOC). La LOC est un mouvement d’action social catholique visant à relever le moral de la famille ouvrière tout en tentant d’améliorer ses conditions de vie. Il s’agit d’un mouvement social, familial et communautaire refusant d’intégrer l’État providence.

Crédit : site web Présence information religieuse

La LOC joue un rôle central sur les pressions faites auprès des gouvernements et des municipalités afin qu’on accorde un crédit à l’habitation  comme on le faisait déjà pour le crédit agricole. La LOC fait la promotion des projets coopératifs d’habitations. On utilise des slogans qui vont marquer l’imaginaire tels que : « À chaque famille…sa maison! », ou « La meilleure arme contre le communisme », « L’espace vital »…

Dans Villeray, on trouve surtout des ensembles construits par des promoteurs privés sur les rues Chambord, Lanaudière, Rousselot et Garnier, entre les rues Jarry et Tillemont. Sur ces quatre rues, on voit un alignement de maisons de même style et d’un étage et demi : pierre artificielle en façade, brique sur les côtés, un porche en pignon au centre de la façade, entre autres caractéristiques. Ce type d’habitation se fait à faible coût et en peu de temps.

Un style particulier

La maison War Time Housing, ou de vétérans, est carrée avec une toiture à deux versants. Elle se construit dans les grandes villes canadiennes comme Montréal pour accueillir, à l’origine, les ouvriers des usines de guerre puis les soldats revenant au pays. Ces maisons de style Cape Cod inspirées des maisons coloniales de la Nouvelle-Angleterre sont préfabriquées, sans fondation et utilisent en très grande partie des matériaux non essentiels à l’effort de guerre.

Après la 2e guerre, la SCHL poursuit la construction de ce type d’habitations. La SCHL offre aussi ses plans à des entrepreneurs privés. Lors des années 1950-1960, plusieurs compagnies en font construire. Les constructions de cette période offrent une diversité architecturale plus grande, car ses propriétaires apporteront des modifications. Ce sont surtout des maisons construites lors de cette vague d’entrepreneurs privés que l’on retrouve dans Villeray.

Mais pourquoi avait-on choisi ce type de construction? Le Québec est à cette époque également en gestation de la Révolution Tranquille, en transition d’une société traditionnelle vers la modernité. L’urbanisation et la moralité ne sont pas toujours des sujets que l’on imagine se côtoyer! Le Québec de l’avant-guerre idéalise le monde rural où le Canadien français n’était pas au bas de l’échelle comme dans les villes et soumis au capital et au matérialisme anglo-saxon.

Ces maisons apparaissent lors des années 1940-1950 où Montréal passe à une ère urbaine contemporaine. On met en opposition la « maison » et la « conciergerie » (édifices à appartements). La maison est le paradis du propriétaire et la conciergerie est l’enfer du locataire. La banlieue est l’alliance de la ruralité et de l’urbanité sans la fébrilité et le désordre urbain. Plusieurs mouvements sociaux favorisent la maison contre la conciergerie. Ils scanderont « À chaque famille sa maison! ». Il s’agit aussi d’une période de décentralisation vers la périphérie comme Villeray. La scène politique montréalaise est animée à ce moment, comme nous l’avons vu, par des préoccupations portant sur le logement et le transport.

À chaque famille sa maison

Montréal se distingue du reste du monde urbain canadien. Elle possède un taux très élevé de ménages locataires. En 1941, les ménages qui sont propriétaires à Toronto représentent 42 % de la population alors qu’on parle de seulement 11 % à Montréal.

Des organisations diffuseront à partir de 1940 la doctrine sociale catholique. La Ligue ouvrière catholique (LOC) mène ce combat et dénonce les mauvaises conditions des logements des villes. Ces organisations s’inspirent d’une lettre épiscopale du Pape Pie-XII qui lance la fameuse phrase : « À chaque famille sa maison ».

Crédit : BANQ – https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2669682

On considère que le logement familial, la maisonnée, est un indice de mesure de la moralité publique. La maison est un outil pour structurer la vie au quotidien. La configuration de la maison peut favoriser une morale chrétienne, disait-on! On utilise les arguments des hygiénistes réformistes de la fin du 19e siècle qui prétendaient que l’environnement physique immédiat influence les mœurs individuelles et familiales.

« À chaque famille sa maison » est un élément central, à l’époque, à la lutte à la subversion socialiste et communiste. Tout en s’opposant et en prônant une rupture avec les excès du capitalisme sauvage. Les hygiénistes et les moralistes propagent l’idée que les escaliers, entrées et ascenseurs communs, puis les buanderies, entre autres, sont des lieux de promiscuité néfastes à la moralité et sont des nids de diffusion d’idées subversives. Rien de moins!

Photo : Stéphane Tessier.

La banlieue et la périphérie se sont agrandies à l’extérieur de Montréal. Les « anciennes banlieues » sont alors devenues des quartiers bien urbains comme Ahuntsic, Montréal-Nord, Saint-Michel, Saint-Léonard et bien d’autres comme Villeray. Ces maisons de vétérans, comme les autres édifices résidentiels, subissent aujourd’hui de plein fouet la pression de la spéculation immobilière. Comme d’autres humbles constructions, telles que les maisons « shoebox », la tentation de les agrandir jusqu’à parfois les dénaturer, pour ne pas dire les massacrer, justifie aujourd’hui une plus grande mise en valeur et protection de ce patrimoine unique.

Malgré la qualité architecturale simplette, ce type de maison est un témoignage important d’une période où la classe ouvrière accède à la propriété. Son intérêt réside dans sa valeur historique. Mais plus on apprend à les connaître, plus on apprend à les trouver belles!


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est II a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Cœur-de-l’Île.
Recherche et rédaction : Stéphane Tessier, conférencier, conteur, animateur-historique, guide et chercheur.