MAISONS DES JEUNES : UNE MISSION NOBLE, DES DÉFIS BIEN RÉELS
Malgré l’omniprésence des écrans, la popularité des médias sociaux ou encore la multiplication des jeux en ligne, les maisons des jeunes sont bel et bien toujours fréquentées par les adolescents à la recherche d’un lieu de rencontre sécuritaire et bienveillant. Victimes de sous-financement année après année, ces espaces dédiés à l’accompagnement des adultes de demain tentent tant bien que mal de continuer à offrir leurs services aux jeunes.
Qu’ils s’y rendent pour échanger, s’amuser, se confier ou encore pour pratiquer des sports en groupe, les jeunes adolescents s’intéressent autant aux maisons des jeunes que par le passé, assure Vincent Grenier, coordinateur et intervenant à la maison des jeunes le Bunker, située dans l’est du quartier Rosemont. Ce dernier croit que mis à part leur dimension ludique, ces lieux de rassemblement sont appréciés des adolescents entre 12 et 17 ans parce qu’ils peuvent y rencontrer « des adultes significatifs » prêts à les écouter et à les accompagner. Bien que l’individualisme des jeunes d’aujourd’hui soit souvent décrié, il semblerait qu’ils soient tout aussi friands de contacts sociaux que leurs aînés. « Ils vont pouvoir y rencontrer des personnes de leur âge, mais aussi des animateurs qui ont du charisme, un bon sens de l’humour, de l’écoute et qui savent leur parler. Donc, ça leur donne une bonne raison de se déplacer », explique Vincent Grenier.
Les jeunes particulièrement intéressés par les sports s’y rendent également parce que les maisons des jeunes leur donnent l’opportunité de les pratiquer par l’entremise d’un gymnase ou d’espaces dédiés à l’activité physique, ajoute M. Grenier. « Un téléphone ne peut pas venir rivaliser avec un gym ou un panier de basket », résume-t-il.
Vincent Grenier précise que le nombre de visiteurs varie d’une année à l’autre, mais qu’une tendance à la hausse se précise. « Quand je suis entré en poste en 2017, on avait environ 125 membres, et aujourd’hui, on approche les 400 membres. » Il réitère que plus de la moitié d’entre eux s’y retrouvent parce qu’ils souhaitent y pratiquer un sport.
L’engouement est similaire au local des jeunes La Piaule, installé sur le boulevard Saint-Laurent, bien que cette maison des jeunes ne soit pas autant orientée que la première vers le sport. Ses membres proviennent de tous les milieux sociaux et de toutes les situations familiales, précise Christine Leclerc, directrice générale de La Piaule depuis les sept dernières années. « On constate que la gentrification du quartier fait toute la différence au niveau de la clientèle de nos maisons des jeunes. Il y a des adolescents plus fortunés, d’autres qui travaillent, certains qui sont un peu plus vieux. Notre moyenne d’âge est d’environ 15 ans, et notre enjeu actuel est de recruter des jeunes membres issus du primaire. »
Pour Vincent Grenier, une maison de jeunes est vraiment le reflet de la société et de ses multiples nuances. « On a des jeunes qui sont bons à l’école, d’autres moins, certains ont des parents difficiles, d’autres ont une famille très compréhensive, des pauvres, des aisés. Mais c’est certain qu’on est situé dans un quartier un peu plus défavorisé. Dans tous les cas, l’argent ne change pas le fait que les adolescents de tous les milieux peuvent manquer d’attention et d’écoute, et que des problèmes peuvent ensuite survenir. »
Bien plus qu’un espace « canapé et babyfoot »
Souvent imaginées comme des salles communautaires aux murs tapissés d’affiches et au sol muni de canapés, de jeux de table et de quelques machines distributrices où des adolescents se rassemblent pour flâner, les maisons des jeunes détiennent pourtant un mandat particulièrement important sous cette façade simpliste qui leur colle à la peau. Pour Christine Leclerc, les maisons des jeunes sont surtout « des lieux de protection, des filets de sécurité où l’on retrouve des personnes significatives avec qui créer des liens positifs ».
Selon le Regroupement des maisons des jeunes du Québec (RMJQ), ces espaces essentiels pour la jeunesse se définissent comme des lieux de rencontre où les jeunes « pourront devenir des citoyens critiques, actifs et responsables » et dans lesquels ils pourront « prendre des responsabilités et progresser vers l’autonomie ».
Ateliers de sensibilisation, projets de réinsertion sociale pour personnes judiciarisées, rencontres individuelles, aide aux devoirs, les ressources d’accompagnement sont aussi nombreuses que variées. « On a un mandat de faire de la sensibilisation au niveau de la consommation de drogue, par exemple, et de créer des ateliers avec nos partenaires pour complémenter ce qui est présenter dans les écoles secondaires. C’est sûr que la proximité qu’on a avec les jeunes de nos maisons, ça favorise la discussion, la confidence et la réflexion. Ils ne sont pas assis dans une classe à suivre un cours magistral, disons », explique Christine Leclerc.
« Il y a une certaine limite dans l’accompagnement qu’on va pouvoir faire, donc notre rôle va aussi être de guider les jeunes vers d’autres ressources externes, comme PACT de rue, Grossesse-secours ou des travailleurs de rue, selon les problèmes qu’ils vivent. On a aussi des partenariats avec le Service de police de la Ville de Montréal et des collaborateurs en distribution alimentaire », ajoute Mathieu Lavoie, animateur et intervenant à La Piaule depuis cinq ans.
Ce dernier a lui-même fréquenté la maison des jeunes au cours de son adolescence. En occupant ce poste, il souhaite redonner aux jeunes qu’il accompagne le même support qui l’a tant aidé des années auparavant. Il confie que lorsqu’il fréquentait La Piaule, il a pu profiter d’un précieux cercle d’amis et d’un lieu d’échange sécuritaire et sans jugement. « Il y a des moments où j’avais besoin de parler, parce que j’étais plus ou moins à l’aise à la maison, et de développer un lien avec un animateur-intervenant, ça permet de s’ouvrir davantage, de trouver des solutions à nos problèmes. »
Outre leur mandat d’intervention, les maisons des jeunes sont évidemment des espaces où les adolescents peuvent profiter d’une multitude d’activités ludiques, comme des ateliers de cuisine, des promenades à vélo, l’organisation de spectacles de variétés, des soirées cabane à sucre, des sorties au camp et même des voyages à l’international.
Toujours peu de financement
Depuis de longues années, les voix se lèvent pour souligner le fait que les intervenants des maisons des jeunes en font beaucoup pour les adolescents avec des moyens particulièrement limités. Le directeur général de la RMJQ, Nicholas Legault, avait relevé l’automne dernier l’insuffisance du budget de 156 000 $ accordé en 2023, jugeant qu’il s’agissait seulement du tiers du montant nécessaire au bon fonctionnement des services. Ce sous-financement aurait causé bon nombre de démissions de la part du personnel, mais aussi une limitation du nombre de places disponibles.
La situation est toujours la même, se désolent Christine Leclerc et Vincent Grenier. Ces derniers expérimentent des enjeux de financement similaires, mais le problème réside aussi dans la répartition des budgets selon les missions respectives de chacune des maisons des jeunes. « Le financement de La Piaule est entièrement dédié à la maison des jeunes, tandis que pour Vincent, le financement est pour l’organisme, le centre communautaire, qui accueille aussi la maison des jeunes. Donc, déjà là, nous, on est favorisés, parce que le montant est entièrement utilisé dans nos services », explique Mme Leclerc.
Bien que le centre communautaire Petite-Côte de Rosemont reçoit un financement légèrement supérieur pour l’ensemble de ses activités, c’est loin d’être suffisant, se désole M. Grenier, qui doit lui-même faire de la coordination en plus d’être présent sur le plancher. « On va s’occuper au centre d’une coordination famille, d’une coordination jeunesse, on a une direction à payer, un concierge à rémunérer. Donc, au final, je dois ouvrir la maison des jeunes quatre jours semaine au lieu de cinq jours. Je comprends qu’on n’ait pas les mêmes budgets que les écoles ou d’autres organisations, mais il y a des limites quand même à recevoir des montants ridicules. » L’intervenant ajoute que la mission du centre et de la maison des jeunes qu’il abrite est pourtant « essentielle car préventive » et permet d’éviter que des situations plus graves ne surviennent. « L’isolement peut mener à une dépression ou même au suicide chez les jeunes. Et avec les activités sportives offertes dans les maisons des jeunes, on vient améliorer la santé mentale, mais aussi physique. »
Une multiplication « inutile » des services?
Lancé en 2018, le projet gouvernemental Aire ouverte, qui offre aux jeunes et à leurs familles des « services adaptés à leurs besoins » et une réponse sans rendez-vous aux situations d’urgence, visait l’ouverture de plusieurs « supercliniques » un peu partout dans la province. « Ils devaient en ouvrir environ 80, je crois, et je pense qu’en ce moment, il n’y en a qu’une dizaine d’ouvertes environ », explique Vincent Grenier.
Christine Leclerc juge que la mise en place d’une panoplie de services d’aide comme le projet des aires ouvertes vient gruger le budget dont pourraient profiter des organismes de quartier et des maisons des jeunes comme La Piaule. « Le gouvernement va créer de nouveaux services et donner du financement à ces initiatives-là, mais pourtant, elles existent déjà. Nous, on offre déjà ces services-là. »
Elle ajoute que des jeunes en situation de crise urgente et qui ont besoin d’une ressources d’aide rapidement « ne feront pas 1 h 30 min d’autobus pour aller dans un projet pilote à Ahuntsic » et que ce qu’il faut plutôt, ce sont des ressources de proximité. « On est déjà présents et près des jeunes. Mais on a des projets de quartier, comme la mesure 4.2 – milieux favorables jeunesses par exemple, qui a vu son enveloppement de financement coupée à 53 %. C’est rendu qu’il y a environ 12 organismes qui se battent pour un petit montant de 10 000 $. On a beau organiser des comités et des rencontres pour revendiquer plus de financement, jamais on a été entendus. Pourtant, on est la base de l’intervention », conclut la directrice générale.
« Politiquement parlant, c’est beaucoup plus payant de dire qu’on a ouvert de gros buildings avec des spécialistes à l’intérieur que de refinancer des projets communautaires déjà existants », croit quant à lui Vincent Grenier.