Photos courtoisie de la Maison d’Haïti.

LA MAISON D’HAÏTI : 50 ANS D’ÉDUCATION POPULAIRE

Voilà cinq décennies que la Maison d’Haïti œuvre en éducation populaire auprès de la communauté immigrante ou de descendance immigrante de Montréal. En effet, elle dépasse les frontières, apportant du soutien et proposant des activités à plus d’une quarantaine de populations différentes. Portrait d’un organisme de cœur situé dans le quartier Saint-Michel.

Formée au départ par une poignée d’étudiants d’origine haïtienne, la Maison d’Haïti, en 1972, a pour objectif d’accueillir les ressortissants d’origine haïtienne à l’aéroport et de leur offrir les ressources nécessaires à leur installation. « À l’époque, il n’y avait pas de locaux », explique Marjorie Villefranche, directrice générale depuis douze ans. « C’était simplement un petit bureau que le YMCA du Parc nous avait prêté pour faire nos activités, c’est tout. » Deux ans plus tard, on remédie à la situation et on s’installe rue St-Denis, puis rue Lajeunesse quelque temps après. En 1983, la Maison d’Haïti se greffe à l’arrondissement de Villeray−Saint-Michel−Parc-Extension, où elle évolue toujours, dans de jolis nouveaux locaux.

À ses origines, la communauté à laquelle l’organisme vient en aide se compose d’exilés, c’est-à-dire de personnes ayant l’intention de retourner dans leur pays. « Finalement, c’est une communauté qui s’est installée parce que la situation dans le pays d’origine ne s’est jamais corrigée », ajoute Marjorie Villefranche. Les besoins de la clientèle se diversifient et le fait de déménager dans Saint-Michel a pour conséquence de permettre à la Maison d’Haïti d’aider toutes les populations immigrantes locales. « Notre rôle en est un d’éducation populaire. Ça veut dire qu’on a des objectifs d’intégration et de participation citoyenne. Notre objectif principal est d’outiller les personnes d’abord pour qu’elles deviennent citoyennes puis qu’elles développent le sentiment de citoyenneté aussi. Nous leur offrons les outils pour qu’elles aient les capacités d’analyser la situation et de prendre les bonnes décisions », souligne la directrice générale.

Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti.

Maison douce maison

Le rayon d’action de l’organisme ne s’étend pas seulement à Saint-Michel, mais à l’île de Montréal au complet et même à ses couronnes nord et sud. Il arrive aussi que la Maison d’Haïti fournisse ses services à des personnes immigrantes n’habitant pas la Grande région métropolitaine, surtout en termes d’immigration. Pour mener à bien sa mission, l’organisme bénéficie de subventions des trois paliers de gouvernement, soit du fédéral, du provincial et du municipal. Des fondations privées lui permettent aussi de se financer. De cette façon, toutes les populations qui la fréquentent profitent de services gratuits.

La Maison d’Haïti a développé des activités autour de six coordinations : la famille, les femmes, l’éducation, la jeunesse et l’intégration ainsi que l’exploitation d’un centre des arts. « L’intégration, ce sont tous les services et l’accueil des nouveaux arrivants », note Marjorie Villefranche. « Pensons aux séances d’information, aux sorties, aux activités qu’on peut faire avec des personnes qui viennent d’arriver au pays, mais aussi au soutien pour les aider à se trouver un appartement et des meubles, à inscrire les enfants à l’école, à remplir les papiers, etc. » Le volet éducation comprend, quant à lui, l’alphabétisation, la francisation et l’éducation financière. Les enfants aussi peuvent trouver leur compte à la Maison d’Haïti, avec l’aide aux devoirs, un camp d’été, un camp d’hiver ainsi qu’une halte-garderie, qui permet aux parents venant aux activités d’y vaquer en toute quiétude.

2022 sera pour la Maison d’Haïti une année de constat du chemin parcouru, par elle et sa communauté immigrante. Une ligne du temps qui déclinera tous les accomplissements de l’organisme depuis 1972 sera créée sur un support informatique. Et l’organisme en profitera aussi pour exposer, en réel et en virtuel, son impressionnante collection d’œuvres d’art accumulées au fil du temps. « C’est le fruit d’énormément de dons de personnes d’origine haïtienne et de personnes d’origine québécoise qui ont séjourné en Haïti, » révèle Marjorie Villefranche.

Hors les murs

La violence par armes à feu à Montréal a fait de nombreuses victimes au cours des derniers mois, dont plusieurs jeunes. Tandis que les médias relatent souvent qu’il s’agirait d’un problème de gangs de rue, la Ville soutient que Montréal demeure sécuritaire. Qu’en pense la directrice générale de la Maison d’Haïti, important organisme de l’est de Montréal, secteur où les violences sévissent surtout à l’heure actuelle? « On se pose cette question depuis ce qui est arrivé à Polytechnique. On demande d’interdire les armes à feu et les armes de poing, c’est une demande qui date de cette époque-là », mentionne Marjorie Villefranche. « C’est une position que le gouvernement devrait prendre. Si ces armes étaient interdites et qu’il y avait suffisamment de sommes mises pour en surveiller le trafic aux frontières, on n’aurait pas de problème. » La directrice générale croit qu’on détourne la question en attribuant la faute aux gangs de rue. « Oui, ça a fini par aboutir là, mais je pense qu’au départ, il y avait des choses qu’on demandait depuis le début, c’est-à-dire interdire les armes. »

À des milliers de kilomètres d’ici, entre l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes, Haïti bouillonne. Le président Jovenel Moïse a été assassiné à l’été 2021 et les gangs armés tentent depuis de s’emparer du pouvoir. Quelle est la position de Marjorie Villefranche face à la gouvernance en Haïti en ce moment? « D’abord, c’est très difficile, ce qui se passe actuellement. En Haïti, il existe une instance qui s’appelle le Core Group, qui est un regroupement d’une quinzaine de pays qui sont là pour soi-disant aider Haïti. Mais ce groupe ne reconnait pas la société civile ni l’effort que cette dernière fait pour sortir de ce marasme, de cette situation. » En effet, depuis les derniers événements tragiques, la société civile s’est réunie et a créé un mouvement alternatif. Madame Villefranche croit que le Core Group, dont le Canada fait partie, devrait reconnaitre cette instance et lui donner une chance. « Actuellement, le gouvernement qui est au pouvoir ne gouverne rien et laisse faire les gangs armés. Je pense qu’il y a des alternatives dans ce pays, il faut simplement écouter la population et écouter la société civile », conclut Marjorie Villefranche.

Malgré ces immenses inquiétudes qui occupent les esprits, la diaspora haïtienne se porte bien, selon la directrice générale de la Maison d’Haïti. « En 50, 60 ans, elle a été capable de produire énormément de richesses dans la société. Elle a contribué et continue de contribuer à la richesse de son pays d’accueil, que ce soit en arts, en politique, en sciences, en recherches. Bien sûr, il y a des problèmes qui ne se règlent pas encore, dont celui du racisme systémique. Mais c’est une diaspora qui est combative et qui est capable de s’exprimer. » Et voilà 50 printemps que la Maison d’Haïti y participe activement à coups de soutien, d’activités et de présence. Que ce cœur continue de battre pour au moins cinq autres décennies!