LA MAISON DES ENCANS : UNE CAVERNE D’ALI BABA DANS L’EST

À une époque pas si lointaine, la rue Sainte-Catherine Est, dans Hochelaga-Maisonneuve, était réputée pour sa concentration inégalée de brocanteurs à Montréal. Pas des antiquaires selon les règles de l’art, mais on pouvait tout de même y dénicher à l’occasion des objets rares et anciens, ou des items de collection, pour ceux et celles qui avaient l’œil. Aujourd’hui, les brocanteurs de la rue Sainte-Catherine ont pour la plupart fermé boutique, ou ont converti leur espace commercial en atelier-boutique spécialisé, pour certains. Bref, époque révolue, mais un joueur très important dans ce secteur d’activité est demeuré dans le quartier et continue de faire de très bonnes affaires, dominant même le marché des encans sur le Web. Il s’agit de la Maison des Encans, qui est passée de la rue Sainte-Catherine à la rue de Rouen en 2016.

Métier particulier, univers fascinant

Soulignons d’entrée de jeu que brocanteur n’est pas le même métier qu’encanteur. Le premier est généralement un commerçant qui tient boutique et vend ses propres objets, un commerce physique ou en ligne, alors que l’encanteur est un « passeur », qui vend pour un tiers et qui retire son profit de la commission de vente, mais aussi d’un pourcentage provenant de l’acheteur. En fait, son travail est rémunéré par les deux parties prenantes d’une transaction. Mais parfois, la ligne est bien mince entre les deux et il faut se méfier de plusieurs encanteurs qui « achètent » vos objets au lieu de les prendre en consigne. « Mon premier conseil, c’est de ne jamais vendre à un encanteur, car il vous donnera le moins possible pour revendre le plus cher possible. Ce genre d’encanteur ne vous donnera pas l’heure juste sur la valeur de vos objets, et il y en a malheureusement beaucoup en activité. Nous, notre rôle, c’est d’évaluer le prix de vente le plus juste possible de votre objet, de vous en informer, et ensuite, si le client le désire, le mettre en vente pour tenter d’aller chercher le meilleur prix. C’est aussi simple que cela », explique Patrick Blaizel, encanteur réputé et président de la Maison des Encans.

Patrick Blaizel (photo courtoisie).

Le dénominateur commun entre brocanteur, antiquaire et encanteur, se situe donc dans la capacité d’évaluer la valeur d’un objet. Un univers infini de connaissances entre alors en jeu, car bien sûr, pour déterminer la valeur d’un item, il faut selon les cas en connaître son histoire, sa place dans l’Histoire, en déterminer sa rareté sur le marché (surtout pour des objets de collection), connaître les tendances actuelles du marché pour ce genre d’objet, trouver des références… En somme, il faut savoir comment chercher, où chercher, et avoir un excellent réseau de contacts spécialisés dans une foule de secteurs d’activité qui pourront vous guider au besoin. « Ce qui a changé la donne, c’est évidemment Internet. Presque toutes les recherches se font aujourd’hui sur le Web, c’est beaucoup plus rapide et moins onéreux que de se référer comme dans le temps aux manuels, mais il arrive encore souvent qu’on doive faire appel à nos contacts car certains objets sont toujours difficiles à évaluer selon leur juste valeur. D’ailleurs, Internet a aussi révolutionné en quelque sorte notre marché, car si c’est plus facile pour nous de faire les recherches et d’évaluer, c’est aussi le cas pour monsieur et madame tout le monde, en général », affirme Patrick Blaizel.

Encanteur 2.0

La Maison des Encans, c’est une histoire de passionnés qui perdure depuis déjà 35 ans, et qui est devenue au fil des années une véritable institution auprès des amateurs d’objets anciens, d’antiquités et des collectionneurs de toutes sortes. M. Blaizel affirme qu’il a même encanté depuis le début de sa carrière « certainement plus d’un million d’objets. » La première place d’affaires de la Maison des Encans aura donc eu pignon sur rue il y a 35 ans au cœur du Plateau Mont-Royal, pour aller s’installer quelques années plus tard sur le boulevard Saint-Laurent, au coin de Bernard. Cette « maison mère » est encore à cet endroit, mais vendue sous forme de franchise il y a sept ans à Éric Bordeleau. Patrick Blaizel ouvrira une autre maison d’enchères il y a plus d’une douzaine d’années, une deuxième Maison des Encans en fait, avec un associé cette fois, sur la rue Sainte-Catherine, au coin de Pie-IX, alors entourée de nombreux brocanteurs. Manquant d’espace, il déménagera cinq ans plus tard un peu plus à l’est sur Sainte-Catherine, à côté du Dairy Queen (rue Bennett), dans un local de 10 000 pi2. Un endroit d’ailleurs souvent retenu par l’émission La Fièvre des encans, il y a quelques années. « C’était immense, on accueillait de 200 à 300 personnes par encan, sur place. Ça marchait vraiment fort », soutient M. Blaizel.

C’est la montée fulgurante des encans en ligne, sur le Web, qui viendra changer les plans (et les besoins) de l’encanteur vedette. « La foule a commencé à diminuer rapidement au point où il n’y avait plus qu’une cinquantaine de personnes en moyenne lors de nos événements, alors qu’au téléphone nous pouvions avoir des centaines d’acheteurs, et en ligne… c’était parfois plus de 5 000 personnes qui suivaient nos enchères. Nous n’avions plus besoin d’autant d’espace », explique l’encanteur. C’est alors que la Maison des Encans optera pour un plus petit local de 2 000 pi2, sur de Rouen, toujours près de Bennett, il y a quatre ans. C’est à cet endroit que sont aujourd’hui entreposés les objets (en consigne) pour les encans qui ont lieu toutes les semaines, en ligne seulement depuis le coronavirus. Le local peut accueillir une cinquantaine de personnes, mais il sert surtout d’entrepôt et de salle de montre pour ceux et celles qui désirent voir les objets avant d’enchérir. Évidemment, c’est aussi à cette adresse que les vendeurs apportent leurs objets, et les acheteurs les récupèrent.

Le local actuel, rue de Rouen.

Patrick Blaizel étant aujourd’hui « à la mi-retraite », c’est son fils Frédéric qui a pris officiellement les rennes du commerce de la rue de Rouen. Nous l’avons croisé lors de notre prise de photos la semaine dernière. Lorsqu’on lui a fait remarquer que la place était bien pleine d’objets, il a alors expliqué, sourire en coin, que « tout cela allait disparaître la semaine prochaine, pour être remplacé par d’autres objets qui arriveront dans les prochains jours. C’est un feu roulant ici. » Lors de notre passage de quelques minutes, nous verrons effectivement des gens apporter des objets, d’autre récupérer leur achat. « Dans bien des cas, nous envoyons les objets achetés par colis, un peu partout au Québec et au Canada. Pour les paiements aux vendeurs, ça se fait généralement par chèque, alors que l’on garde un pourcentage sur le montant que nous versent les acheteurs », explique Frédéric Blaizel. L’évaluation des objets, la gestion de l’inventaire, la prise de photos, la mise en ligne sur le Web et les encans eux-mêmes sont pris en charge par la petite équipe sur de Rouen.

Une « fièvre » des encans, vraiment?

Non, dira le père, oui, dira le fils. En fait, Patrick Blaizel répondra à cette question que les encans, depuis qu’il fait ce métier, ont toujours eu la cote auprès des amateurs d’antiquités, professionnels ou non, et des collectionneurs, une clientèle qui se renouvelle constamment dit-il. « Je ne crois pas qu’il y ait plus de monde qui participent vraiment à des encans. Qui s’y intéressent peut-être, à cause des émissions de télévision comme La Fièvre des encans par exemple ou la prolifération d’encans sur le Web, mais en bout de ligne je pense qu’on ne vend pas plus ni moins qu’avant », affirme le père.

Au niveau des ventes, le fils donne le bénéfice du doute à son père, mais il ne partage pas son opinion sur la popularité grandissante des encans auprès du grand public. « Il y a plus d’intérêt, on le sent, on le vit, et ça se voit facilement sur la participation des encans en ligne. Il y a de plus en plus de personnes qui se branchent et qui suivent les enchères. C’est un secteur qui a plus de visibilité dans les médias, mais c’est aussi un phénomène qui s’explique par la facilité pour les gens de connaître la valeur des objets via Internet. Je pense aussi qu’il y a un engouement en général pour les collections de toutes sortes depuis quelques années », avance Frédéric Blaizel.

Frédéric Blaizel, une deuxième génération à la barre de la Maison des Encans.

Ce que les deux encanteurs diront toutefois à l’unisson, c’est qu’encore beaucoup de personnes croient à tort que les encans sont réservés qu’aux initiés ou aux collectionneurs. « C’est faux. Il ne faut pas être intimidé par le fait de vendre un objet dans un encan de bonne réputation. L’encanteur devrait vous dire combien environ l’objet devrait se vendre et c’est à vous de décider ou non de le mettre en vente. Moyennant une commission de vente, il s’occupera de tout. Et pour acheter, le processus n’est vraiment pas compliqué, vous misez, et si vous gagnez, vous payez et vous récupérez votre bien », de dire Patrick Blaizel.

Est-ce possible de faire de véritables aubaines lors d’un encan? « Oui si on compare généralement avec des objets toujours vendus en magasin, comme par exemple une scie à chaîne qui est toujours sur les tablettes chez Canadian Tire. Mais au niveau des objets de collections, il faut s’attendre, encore une fois de façon générale, à payer plus ou moins le prix du marché. C’est relativement rare que l’on se retrouve avec une véritable surenchère, à moins que l’objet soit très, très convoité par des acheteurs, et ce pour toutes sortes de raisons, mêmes très personnelles. Chaque encanteur a d’ailleurs ses histoires et ses anecdotes à ce sujet », ajoute en riant Patrick Blaizel.

Le mythe des « valeurs sûres »

À moins de parler de tableaux de Marc-Aurèle Fortin, Riopelle, ou du tout premier Macintosh signé de la main de Steve Jobs, le marché des antiquités et des collections est plutôt… volatile en termes de valeurs et d’items recherchés. Qu’est-ce qui vaut la peine d’être collectionné si on désire spéculer en fonction de nos vieux jours? « Aucune idée! C’est ce je dis toujours lorsque l’on me pose cette question. Dans notre métier, on ne sait jamais ce qui prendra de la valeur, ou pas, au cours des prochaines années. Par exemple, les machines à coudre antiques n’ont plus la cote, alors qu’il y a 15-20 ans, c’était la folie. À la même époque les machine à écrire, bof… alors qu’aujourd’hui on s’arrache n’importe quelle vieille Underwood. Même au niveau des collections traditionnelles, comme les timbres ou la monnaie, les prix varient constamment. C’est un peu comme à la bourse, il faut vendre et acheter au bon moment, si le but est de faire des sous, mais le monde des collections, c’est en général un milieu très risqué », affirme Patrick Blaizel .

Tout se vend, même un ancien annuaire téléphonique.

Ce dernier donne aussi comme exemple les meubles antiques, surtout québécois, qui étaient très convoités jusqu’à récemment, mais qui depuis quelques années voient leur valeur carrément s’écrouler dit-il. « C’est vraiment difficile à vendre, les acheteurs ne sont plus intéressés à payer le gros prix pour ces meubles, les antiquaires restent carrément pris avec, ou bien ils les vendent pour le tiers, voir le quart du prix d’il y a quelques années. Par contre, tout ce qui est meuble vintage, des années 1960-70 et même 80, ça se vend super bien, alors qu’il n’y a pas si longtemps, ça ne valait absolument rien. »

Modes et tendances… du moment

Les meubles vintage, surtout au design élaboré, sont donc très populaires aujourd’hui sur le marché des encans, de même que les petits objets de la même époque qui sortent de l’ordinaire ou qui ont marqué leur génération (toujours vendeur, la nostalgie confirme M. Blaizel).

Mais que retrouve-t-on à profusion dans les encans de Messieurs Blaizel ces jours-ci? De notre propre constatation, on remarque beaucoup de monnaies, de timbres, d’objets décoratifs, tableaux, cartes sportives, montres, bijoux, et… finalement… toute sorte de choses. « Tout se vend à l’encan, en autant qu’il y ait un bassin d’acheteurs. Ça peut paraître bizarre mais il y a des gens qui collectionnent que les paquets d’allumettes, d’autres des boutons de manchettes, des briquets, des lunettes… et il y a toujours des items recherchés dans ces domaines et qui valent leur pesant d’or. Ce qui fait que nous avons avantage, comme encanteur, à mettre une grande diversité d’objets aux enchères afin de rejoindre le plus de monde possible. Personnellement, je ne fais aucune différence entre vendre un paquet d’allumettes ou un timbre de 10 000 $, pour moi c’est le même processus, le même travail, et au final ça nous prend surtout du volume », explique Patrick Blaizel.

Le papa encanteur ajoutera également que ce qui ne manque jamais de plaire aux encans, ce sont les objets inusités. « Il y a toujours, toujours des gens qui courent les encans pour trouver des objets bizarres, originaux et qui font jaser. On parle soit d’objets au design spécial, soit d’objets dont on ne sait trop à quoi ils peuvent bien servir, ou qui sont juste rigolos ou… morbides même pour quelques-uns. Si c’est original, habituellement ça trouve preneur. »

Conseils d’encanteur

Pour les vendeurs, Patrick Blaizel suggère de faire évaluer par des professionnels les objets que l’on croit d’une certaine valeur, avant bien sûr de les mettre à l’encan, ou non. Si on décide de mettre à l’encan, s’assurer que l’encanteur est reconnu dans le milieu et qu’il fait les choses selon les règles de l’art.

Pour acheter à l’encan, il faut faire attention de ne pas trop s’emballer, mais surtout contrôler l’adrénaline du moment : « C’est super excitant de participer à une enchère, ça génère des émotions, c’est rapide… mais le meilleur conseil est de se limiter à un prix maximum que l’on s’était fixé au départ. Sinon on risque de s’emballer et de payer trop cher. D’ailleurs, dites-vous qu’en général, les objets reviennent régulièrement sur le marché, vous aurez d’autres chances de mettre le grappin dessus », soutient l’encanteur.

Les commissions à l’encan varient d’un encanteur à l’autre, mais selon Patrick Blaizel, la norme ressemble généralement à cette grille, quoique la négociation est toujours possible, selon les cas particuliers :

Objet en bas de 100 $ : 20 % (vendeur comme acheteur)

Entre 100 $ et 1 000 $ : 15 %

Entre 1 000 $ et 5 000 $ : 10 %

Entre 5 000 et 10 000 $ : 8 %

Entre 10 000 $ et 50 000 $ : 5 %

Plus de 50 000 $ : 3 %

Voir les événements de la Maison des Encans : https://live.encans.pro/

Vous désirez faire évaluer gratuitement un objet? Communiquez avec Patrick Blaizel (envoyez photos et description détaillées de l’objet) : encans@videotron.ca