Chambre de patients, Institut du Radium de Montréal. Photo Archives UdeM, Fonds Joseph-Ernest Gendreau, P0454C050853AH-0006. (Photo courtoisie AHMHM).

L’INSTITUT DU RADIUM DE MONTRÉAL AUX ORIGINES DE L’ONCOLOGIE CANADIENNE

En octobre 1922, le Dr Joseph-Ernest Gendreau, accompagné de deux détectives, se rend au poste frontalier de Rouse’s Point-Lacolle dans l’État de New York pour recevoir 1 gramme et quart de radium des mains de deux policiers américains. Cet événement annonce la fondation de l’Institut du Radium de Montréal et revêt une importance particulière dans l’histoire de la médecine et des sciences au Canada. D’une part, il marque l’ouverture du premier centre de recherche universitaire au Québec (le troisième au Canada). D’autre part, il annonce l’investissement de l’État québécois dans la lutte contre le cancer, ce qui est une première dans l’histoire canadienne.

Découvert par Marie et Pierre Curie en 1898, le radium chamboule le monde de la science tant et si bien que, seulement cinq ans plus tard, les Curie se voient remettre le prix Nobel de physique. Ce n’est pas que les scientifiques qui sont attirés par cet élément. Le radium gagne rapidement l’intérêt du grand public en raison de ses propriétés mystérieuses, dont l’habilité à rendre d’autres substances lumineuses. D’ailleurs, on retrouve une trace de cette passion populaire pour cet élément métallique dans l’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve.

Daniel Bergevin, propriétaire des sources de Viauville de 1912 à 1925; Montreal Old an New, 1915. (Photo courtoisie AHMHM).

En 1912, un dénommé Daniel Bergevin achète tous les terrains du côté est de la rue Viau, entre Notre-Dame et Sainte-Catherine. Sur ces propriétés se trouve un puits artésien donnant accès à une source d’eau minérale qui, selon un rapport du département géologique d’Ottawa, est d’une coloration jaune clair avec un léger goût salin. Bergevin fait aménager des installations pour embouteiller cette eau sulfureuse et profite du prestige du radium pour commercialiser son eau sous la marque dudit élément. On peut acheter l’eau radium à Viauville pour 25 cents le gallon (4,5 L) ou 1 $ pour 12 pintes (13,5 L au total). Le projet est toutefois de courte durée puisqu’à la fin de l’année 1918 les publicités pour l’eau radium disparaissent des journaux.

L’intérêt pour le radium tient aussi dans son potentiel pour la lutte contre le cancer. Au tournant du 20e siècle, cette maladie est de plus en plus redoutée en Europe et en Amérique du Nord. Dans ces régions, on remarque une augmentation importante du nombre de personnes qui périssent de cette maladie. Les mystères qui entourent ce mal donnent lieu à toutes sortes de discours alarmistes et certains vont jusqu’à suggérer qu’il n’en est pas moins que le signe de la dégénérescence de la civilisation occidentale. Cette peur est d’autant plus forte que les corps médicaux n’ont pas ou très peu de ressources pour y faire face. Au 19e siècle et au début du 20e siècle, les seuls traitements qui peuvent fonctionner sont des chirurgies très agressives.

Publicité pour l’eau Radium parue dans La Patrie du 6 décembre 1913. (Image fournie par l’AHMHM).

La capacité du radium à faire fondre et éradiquer des tissus malades sans avoir recours à la chirurgie redonne espoir à la médecine. En 1906, la mise sur pied à Paris du Laboratoire biologique du Radium comprend une section, sous la direction du Dr Louis Wickham, dédiée à l’étude des effets thérapeutiques du radium. En 1910, Wickham publie les résultats de ses expériences dans un ouvrage intitulé Radiumthérapie. Encouragés par ces résultats, des centres de recherches similaires au Laboratoire de Paris voient le jour un peu partout en Europe. Toutefois, avant les années 1920, l’utilisation du radium en médecine est encore à un stage très primitif. La radiumthérapie est souvent utilisée de manière aléatoire et les médecins ne sont pas particulièrement rigoureux dans les consignations de leurs résultats et de leurs méthodes. À cette époque, la réelle efficacité du radium pour traiter les cancers est loin d’être pleinement comprise, mais elle apparait comme une solution très prometteuse.

Portrait du Dr Joseph-Ernest Gendreau, Archives UdeM, Fonds Joseph-Ernest Gendreau, P0454C050853AH-0012. (Photo courtoisie AHMHM).

Au-delà du contexte ambiant, il faut s’intéresser au Dr Joseph-Ernest Gendreau pour comprendre l’avènement de l’Institut du Radium à Montréal. Né à Coaticook en Estrie en 1879, il fait des études classiques au séminaire de Saint-Hyacinthe et intègre ensuite l’ordre des Jésuites pour une dizaine d’années. Au début de la Première Guerre mondiale, il est à Paris pour parfaire son éducation. Il étudie les sciences de la nature et développe un intérêt pour la radiothérapie auprès de Marie Curie, Henri Becquerel et Antoine Béclère qui sont parmi les plus importants chercheurs dans ce domaine. À la fin de la guerre, il reçoit un diplôme de médecin et un doctorat en science. En 1919, de retour au Canada, il est nommé professeur à la Faculté de médecine et des sciences de l’Université de Montréal. Son projet, toutefois, est de mettre sur pied un Institut du Radium à Montréal comme celui qu’il a connu à Paris.

Dès 1920, il présente son plan à Athanase David, le secrétaire de la province de Québec, mais les coûts estimés dépassent les capacités du gouvernement québécois de l’époque. Loin de se laisser décourager, au début de l’année 1922, Gendreau écrit directement au premier ministre du Québec Louis-Alexandre Taschereau. La réponse de Taschereau est amicale et il demande certaines clarifications, notamment sur l’usage médical du radium. Gendreau profite de cette ouverture pour vanter les pouvoirs de la radiothérapie. Il accompagne sa réponse de différents témoignages de médecins et de chercheurs ainsi que d’une pétition signée par les doyens et les médecins de l’Université de Montréal. Les efforts de Gendreau ne sont pas vains puisqu’à l’été 1922, le gouvernement Taschereau autorise la dépense de 100 000 $ pour l’achat de radium afin de mettre sur pied un Institut du Radium à Montréal. Il faut dire que cette décision s’imbrique dans la vision du premier ministre québécois qui veut moderniser l’État québécois et celle d’Athanase David qui veut renforcer les liens entre la France et le Québec.

Après un appel d’offres, le 24 août, le contrat est attribué à la United States Radium Company de New York. L’entreprise s’engage à fournir un gramme et quart de radium en parfaite condition, à installer gratuitement un appareil de production de radon et à fournir les services d’un spécialiste du Memorial Hospital de New York pour superviser l’installation et le démarrage d’une usine de radon. En effet, c’était le radon, un sous-produit gazeux du radium, qui était utilisé dans les traitements médicaux. Après avoir récupéré le radium au poste frontalier de Rouse’s Point en octobre 1922, l’IRM est officiellement en fonction le 20 janvier 1923, avec à sa tête le Dr Gendreau.

Dès son ouverture, l’IRM fait la fierté de la province. À de nombreuses reprises, on peut lire qu’il s’agit de l’un des cinq instituts de radiothérapie en Amérique du Nord. Au printemps 1923, l’Académie de Paris accorde à l’IRM le rang de première filiale de l’Institut de Radium de Paris. Il faut dire que cette fierté est aussi corroborée par les nombreuses visites de médecins et spécialistes qui sont très intéressés par les appareils et les techniques développées à l’IRM. Toutefois, dernière les succès médiatiques de l’Institut du Radium, la situation n’est pas aussi rose qu’elle n’y parait.

Deux problèmes majeurs – qui reviendront tout au long de l’histoire de l’IRM – menacent son existence. D’abord, l’Institut se trouve dans une situation financière pour le moins précaire. En janvier 1924, on demande au personnel médical de l’IRM de donner 10% de leur salaire pour défrayer le coût d’opération de l’Institut. Ensuite, les locaux dans lesquels se trouve IRM ne sont pas appropriés. Celui-ci se trouve dans la cave du bâtiment de l’Université de Montréal sur la rue Saint-Denis. L’espace est exigu et les malades circulent à travers des attroupements d’étudiants.

La situation se détériore tellement qu’en mai 1925, le conseil d’administration de l’IRM suspend les activités de l’Institut qui ne reprendront que deux ans plus tard. Entre-temps, l’IRM connait plusieurs transformations. Sa gouvernance passe de l’UdeM à une corporation indépendante pour laquelle des lettres patentes sont émises. La Ville de Montréal permet à l’IRM d’emménager dans l’hôtel de ville de Maisonneuve dont l’utilité est disparue avec l’annexion de Maisonneuve en 1918. L’administration et la supervision quotidienne des soins sont transférées à l’ordre des Sœurs Grises. Finalement, un accord est passé avec la Direction de l’Assistance publique qui s’engage à soutenir la prise en charge des malades démunis, ce qui redonne espoir face à la situation financière de l’Institut. Ces changements marquent une redéfinition dans la mission et les objectifs de l’IRM. Ce qui devait être un institut de recherche devient un petit hôpital spécialisé dans le traitement du cancer.

Photographie de l’Institut du Radium (ancien hôtel de ville de Maisonneuve, devenu aujourd’hui la bibliothèque de Maisonneuve – 4120, rue Ontario Est, à l’angle du boulevard Pie IX). Archives de Montréal, 30 mars 1936. (Photo courtoisie AHMHM).

Ce changement de vocation n’empêche pas l’IRM de rapidement se retrouver face à des problèmes financiers et de locaux. En décembre 1933, on peut par exemple lire dans les journaux que les Amis de l’Institut du Radium organisent une loterie pour financer l’Institut.

Les problèmes financiers de l’IRM s’expliquent en partie par la Grande Dépression qui frappe très durement le Canada et plus particulièrement un quartier ouvrier comme Maisonneuve. À cela s’ajoute la réticence des administrateurs du Bureau de l’Assistance publique à rembourser les traitements donnés à l’IRM. Au printemps 1933, le Dr Alphonse Lessard, directeur de l’Assistance publique du Québec, mandate Albert Chevalier pour enquêter sur la situation. Deux raisons sont avancées pour expliquer la difficulté de remboursement. D’abord, on reproche à l’IRM de ne pas se spécialiser dans le traitement contre le cancer, mais plutôt d’agir comme une clinique publique où les patients reçoivent des traitements au radium pour toutes sortes de problèmes de santé tels que l’angine, la tuberculose et même pour le contrôle du poids. Ensuite, l’enquête révèle que les chirurgiens montréalais détestent Gendreau et qu’ils travaillent activement à lui nuire. Cette hostilité découlerait de la promotion agressive que faisait Gendreau de la radiothérapie aux dépens de la chirurgie pour guérir le cancer.

Une Sœur grise administre des soins au radium, août 1949. BANQ, le Service d’information-publicité, Ministère de la Santé. (Photo courtoisie AHMHM).

L’ancien hôtel de la ville de Maisonneuve, quant à lui, présente rapidement de sérieuses limitations au développement de l’IRM. Il faut dire qu’à l’origine, le bâtiment est considéré comme une solution temporaire. En 1930, on annonce que l’IRM sera installée dans le futur hôpital universitaire qui doit accompagner la construction du nouvel édifice de l’Université de Montréal sur le Mont-Royal. Ce déménagement apparait d’autant plus éminent lorsque l’hôtel de ville de Maisonneuve est vendu en janvier 1929 par la Ville de Montréal au gouvernement fédéral qui veut en faire un bureau de poste. Toutefois, en raison de la crise économique, le 23 septembre 1931, les travaux pour l’Université de Montréal sont suspendus, et ce, pour les dix années subséquentes. En 1939, on annonce que la vente de l’hôtel de ville de Maisonneuve est annulée. Pour le bâtiment de l’Université de Montréal, les travaux sont repris en juillet 1941. En août 1942, l’Université, qui était située sur la rue Saint-Denis, va finalement déménager sur le Mont-Royal.

Entre-temps à Maisonneuve, les locaux de l’ancien Hôtel de Ville deviennent trop étroits, ce qui force l’IRM à renvoyer des patients ou à retarder le début des traitements. Dans les archives des Sœurs Grises qui administraient alors l’IRM, on découvre  que l’Institut acquiert en juin 1930 le 1875 Pie IX afin de pallier au manque d’espace. En mai 1933, l’Institut s’étend au 1891 Pie-IX où se trouve une vingtaine d’appareils qui permettent de donner une trentaine de traitements à la fois.

Annexe no.2 de l’Institut du Radium, au 1891 boul. Pie-IX. Archives des Sœurs Grises, ASGM-L092-Institut-Radium. (Photo courtoisie AHMHM).

Après la Seconde Guerre mondiale, l’IRM entre dans sa dernière phase. En 1945, ses liens avec l’université sont rompus et, l’année suivante, Gendreau démissionne. Il est remplacé par le docteur Origène Dufresne qui sera le deuxième et dernier directeur de l’Institut. En 1956, les Sœurs Grises quittent l’Institut; en avril 1964, le radium acheté en 1922 est envoyé à l’Institut Atomique du Canada. L’IRM reste opérationnelle jusqu’en 1967, date à laquelle il a été fermé en raison de sa désuétude.

Le docteur Origène Dufresne analyse une série de radiographies, août 1949. BANQ, le Service d’information-publicité, Ministère de la Santé. (Photo courtoisie AHMHM).

Même s’il n’est jamais devenu un grand institut de recherche, l’histoire de l’Institut du Radium de Montréal n’est pas celle d’un échec. Il a entre autres permis de traiter un volume impressionnant de patients qui souvent étaient très démunis. À sa fermeture, on estime qu’à partir de son déménagement à Maisonneuve, 67 000 personnes ont été traitées pour le cancer dont la plus célèbre est sans doute Mary Travers dite La Bolduc. Ensuite, l’IRM a contribué à former un grand nombre de radiologistes au Québec et a inspiré d’autres provinces comme la Saskatchewan à mettre sur pied leur propre programme pour combattre le cancer.

Finalement, pour l’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, la présence de l’Institut du Radium dans l’ancien hôtel de ville a permis de donner une seconde vie à ce magnifique bâtiment de Maisonneuve. Sa présence aura même empêché sa vente au gouvernement fédéral sans quoi, aujourd’hui, la bibliothèque du quartier ne serait pas dans ce bâtiment.


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse populaire Desjardins d’Hochelaga-Maisonneuve. Recherche et rédaction : Olivier Dufresne, directeur-historien Atelier d’histoire Mercier−Hochelaga-Maisonneuve.