Le fleuve Saint-Laurent, vu de la Promenade-Bellerive, dans MHM (Archives EMM)

LA BAIGNADE PEUT-ELLE ÊTRE SÉCURITAIRE DANS L’EST?

Les deux déversements d’huile à moteur survenus en juillet sur les rives de Pointe-aux-Trembles, ainsi qu’un rapport émettant des réserves sur le projet de la plage à la Promenade-Bellerive dans Mercier, remettent en doute la possibilité d’un accès au fleuve pour la baignade dans l’est de Montréal. Un organisme se portant à la défense des cours d’eau du Québec assure pourtant que le Saint-Laurent offre un grand potentiel pour les nageurs.

Le 11 juillet dernier, des plaisanciers sont surpris de découvrir une nappe d’huile qui s’étend sur les rives de Pointe-aux-Trembles. Après des efforts de la Garde côtière canadienne, d’Urgence-Environnement et de la Ville de Montréal qui durent jusqu’au 19 juillet, les eaux souillées et les berges sont finalement nettoyées. En tout, 19 000 litres d’un mélange d’eau et d’hydrocarbures ont été récupérés lors des opérations. On y retrouvait approximativement 1 000 litres d’hydrocarbures.

Un déversement a souillé les rives aux alentours de la marina de Pointe-aux-Trembles, le 25 juillet dernier. Il s’agissait du deuxième incident du genre à survenir en quelques semaines (Image tirée de Facebook/François Cantin)

Comble de malheur, un deuxième déversement survient au même endroit le 25 juillet, à la suite des fortes pluies tombées la nuit précédente. Les équipes sont redéployées, et à la fin de la journée, la Garde côtière confirme que le polluant est une huile à moteur ayant le même profil que l’huile déversée quelques semaines plus tôt. On identifie aussi la provenance du déversement : une conduite d’égout pluvial appartenant à la Ville de Montréal, dont l’émissaire débouche à proximité de la marina de Pointe-aux-Trembles. Au moment d’écrire ces lignes, l’enquête menée par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) n’avait pas encore déterminé la personne ou l’entreprise responsable de ces incidents.

Autre coup dur pour la réputation des eaux de l’est, la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal a publié un rapport dévoilé hier par La Presse dans lequel on recommande de limiter l’accès au site et de ne pas permettre la baignade à la Promenade-Bellerive, projet phare de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve (MHM). On cite entre autres la présence de polluants dans les sols et les sédiments de la berge tels que du benzène, du plomb et des hydrocarbures, ainsi que de la bactérie E. coli dans les eaux du fleuve, tous en concentration supérieure aux recommandations de multiples agences environnementales et de santé publique.

Déséquilibre est-ouest

Des données des stations d’échantillonnage de la Ville de Montréal, collectées en 2021, dévoilent un déséquilibre quant à la qualité de l’eau entre l’est, le centre et l’ouest de Montréal, surtout au niveau bactériologique. En comptabilisant les informations fournies par les 103 stations d’échantillonnage réparties tout autour de l’île, seulement cinq dans l’est sont propices aux usages de contact direct avec l’eau, selon l’indicateur QUALO, une cote créée par le Réseau de suivi du milieu aquatique de Montréal permettant de déterminer la qualité bactériologique de l’eau en rive. En contraste, on retrouve 62 lieux dans le centre et à l’ouest de Montréal où les paramètres bactériologiques sont acceptables.

Carte du Service de l’environnement de la Ville de Montréal montrant les indices de niveau de contamination bactériologique dans 103 stations de prélèvement à Montréal (Courtoisie Ville de Montréal)

En tenant compte de la présence de polluants, on ne filtre que cinq sites éventuels appropriés pour la baignade dans l’est, alors qu’il y en aurait 52 ailleurs dans la métropole, selon une carte conçue par la Fondation Rivières. La majeure partie d’entre eux se trouvent plutôt près du centre, aux alentours du Vieux-Port, de l’arrondissement de Verdun et des villes de l’ouest de l’île.

Carte des sites potentiels de baignade dans le fleuve Saint-Laurent montée par la Fondation Rivières (Courtoisie Fondation Rivières)

Les cinq points offrant un potentiel de baignade dans l’est se trouvent en amont et en aval du parc de la Promenade-Bellerive, au parc de l’Hôtel-de-Ville à Montréal-Est, au parc du Fort-de-Pointe-aux-Trembles, situé dans l’axe du boulevard Saint-Jean-Baptiste, et à la Coulée Grou, dans l’extrémité est de l’île.

Selon ces données, ces sites potentiels seraient sécuritaires en temps sec seulement, de fortes pluies pouvant entraîner une détérioration de la qualité de l’eau. « Ce sont des données du Service de l’environnement de la Ville de Montréal, qui sont très robustes. On pourrait donc s’y fier si l’on souhaitait créer des aménagements pour la baignade à ces endroits. Il faut aussi noter qu’un grand nombre de sites, même s’ils ne sont pas adéquats pour un contact prolongé avec l’eau, pourraient tout de même accueillir d’autres activités, comme la pratique du canoë-kayak ou de la planche à voile », souligne Maëlle Tripon, chargée de projets à la Fondation Rivières.

Événements ponctuels et ajustements

Malgré la réputation entachée du fleuve dans l’est, en raison notamment de la présence d’industries et d’installations portuaires, Mme Tripon demeure convaincue que la baignade est une activité possible dans ce secteur. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense de la qualité de l’eau du fleuve à ces endroits, celle-ci affirme qu’elle y est toute aussi bonne qu’ailleurs autour de l’île.

« Les déversements survenus en juillet à Pointe-aux-Trembles sont des événements ponctuels qui ont rapidement été pris en charge par les autorités, et on peut espérer qu’ils ne se reproduiront pas. Lorsqu’on trouvera l’origine du déversement d’huile, on pourra faire les ajustements nécessaires. Donc, à ce niveau-là, il n’y a pas de problème finalement pour la qualité de l’eau pour la baignade », explique Mme Tripon.

Maëlle Tripon, chargée de projets à la Fondation Rivières (LinkedIn)

En ce qui concerne le rapport de la DRSP de Montréal à propos de la Promenade-Bellerive, la chargée de projets à la Fondation Rivières rappelle que, comme ailleurs dans la métropole, le système des égouts de la ville est mixte, c’est-à-dire qu’une partie du réseau est partagée entre la gestion des eaux usées et des eaux de pluie. « Lorsqu’il y a de fortes pluies, une partie de ces eaux ne peuvent être traitées par les usines de filtration; elles sont en surverse et elles se retrouvent dans le fleuve. C’est comme ça partout à Montréal, pas seulement à la Promenade-Bellerive. C’est donc possible de permettre la baignade, si l’on suit bien la qualité de l’eau », insiste-t-elle.

En effet, le document de la DRSP de Montréal rapporte que « ce sont principalement les événements de pluie de 10 mm et plus, par période de 24 heures, qui ont entraîné une détérioration de la qualité de l’eau, par la présence de la bactérie E. coli, lors des débordements d’ouvrages de surverse ».  Si la qualité de l’eau au site à l’étude peut être « excellente » (A) suivant la classification bactériologique du MELCCFP, des dépassements du critère de la baignade (cote D) ont été observés entre 7 % et 12 % de l’ensemble des échantillons recensés par la DRSP.

Le même rapport nous indique que l’équipe Urgence-Environnement du MELCCFP est intervenue une dizaine de fois, en 2023 seulement, pour des déversements et fuites d’hydrocarbures ou autres substances non identifiées au Port de Montréal, non loin de la Promenade-Bellerive.

La DRSP émet donc plusieurs recommandations auprès de MHM et de la Ville de Montréal avant de permettre la baignade à cet endroit, dont l’ajout de sable propre dans la zone de baignade pour prévenir le brassement de sédiments contaminés, un suivi de la contamination de la bactérie E. coli en temps sec et l’installation de blocs sanitaires (incluant des douches).

Pour sa part, Mme Tripon et son équipe envisagent la mise en place de quais flottants pour éviter tout contact avec les sédiments contaminés des berges.