Appartement destiné à des personnes à risque d’itinérance (Emmanuel Delacour/EMM)

Face à l’itinérance et à la crise du logement, la CDC de la Pointe mobilise sa communauté

Dans l’est de Montréal, un phénomène autrefois peu visible s’installe progressivement : celui de l’itinérance. Loin de l’image devenue classique des campements urbains aux abords de grandes artères, cette réalité prend ici des formes plus discrètes, mais tout aussi préoccupantes. La Corporation de développement communautaire (CDC) de la Pointe, qui regroupe les organismes communautaires du quartier de Pointe-aux-Trembles et de la ville de Montréal-Est, s’est engagée dans une démarche collective pour comprendre ce phénomène émergent sur le territoire, cherchant à y répondre de façon solidaire.

De la concertation à l’action

La CDC de la Pointe agit comme un pivot entre les différents acteurs communautaires, institutionnels et citoyens de son territoire. En plus de sa mission de développement du milieu communautaire, elle est responsable de l’animation de la table de concertation en développement social, un espace de dialogue où émergent les enjeux prioritaires. C’est là que, progressivement, les préoccupations liées à l’itinérance et à la crise du logement ont pris forme.

Véronique Colas, coordonnatrice du développement social à la CDC de la Pointe (Courtoisie)

«Tout est parti dobservations du terrain », explique Véronique Colas, coordonnatrice du développement social à la CDC. «Des groupes communautaires sont venus déposer des inquiétudes. Ils voyaient des situations nouvelles, répétées, qui nous ont mis la puce à loreille. »

Ces observations se sont rapidement transformées en constat partagé. Des personnes en situation de précarité accrue, une pénurie de logements abordables, une absence quasi totale de ressources d’hébergement : tout indiquait que l’est de Montréal n’était plus épargné et, surtout, qu’il n’était pas prêt à faire face à cette nouvelle réalité.

Un territoire historiquement sous-équipé

Contrairement à d’autres territoires de Montréal, l’Est n’est pas traditionnellement associé à l’itinérance visible. «Historiquement, notre territoire a plutôt été marqué par lerrance, surtout après la désinstitutionnalisation des soins en santé mentale à la fin des années 90 », explique Maxime Barrette, agent de développement à la CDC. «Des ressources en santé mentale se sont implantées ici, et certaines personnes accompagnées pouvaient vivre des crises dans lespace public. Mais ce n’était pas de litinérance au sens strict. »

Or, ces repères historiques ont longtemps entretenu une certaine confusion dans la lecture du phénomène. Était-ce vraiment de l’itinérance visible qui apparaissait dans les rues? Ou la continuité de situations connues? Pour trancher, la CDC a soutenu la mise en place de recherches-actions, notamment celle intitulée Main dans la main, menée par des organismes du territoire comme Prévention Pointe-de-l’Île et l’Alternative – Centre de jour en santé mentale.

Cette démarche a permis d’établir clairement que l’itinérance visible était bel et bien en croissance. «Des sites de campement ont été identifiés, une présence accrue de personnes faisant la quête près de certains commerces aussi », raconte Véronique Colas. Un profil des personnes rejointes se dessine : il s’agit majoritairement d’hommes de 55 ans et plus, souvent aux prises avec des enjeux de santé mentale, de dépendances ou d’isolement social. Mais l’itinérance cachée, notamment chez les femmes et les jeunes, est également présente – bien qu’invisible.

Construire des réponses collectives

Devant l’évolution et la complexité du problème, la CDC a opté pour une stratégie en deux temps : documenter, mais aussi agir rapidement. «On savait quon ne pouvait pas attendre davoir tous les chiffres pour commencer à bouger », dit la coordonnatrice du développement social à la CDC. «Il fallait tout de suite créer des ponts entre les acteurs. »

Un travail de maillage local a donc été lancé. Des mécanismes de collaboration intersectorielle ont été mis en place entre le milieu municipal, les inspecteurs, les équipes de travailleurs de rue, les intervenants psychosociaux et les services de médiation sociale. Ce travail transversal a permis de fluidifier les interventions, de réduire les tensions dans les lieux publics et d’assurer une meilleure prise en charge des personnes vulnérables.

Parallèlement, des initiatives concrètes ont émergé : un projet d’unité mobile allant à la rencontre des personnes non domiciliées, une réflexion autour de la création d’un centre de jour inclusif et, surtout, l’ouverture de L’Artère de l’Est, une ressource d’hébergement d’urgence et de transition, pouvant accueillir dix jeunes de 16 à 23 ans. Cette dernière est une réponse à court et moyen termes, mais cruciale, pour éviter que ces jeunes ne sombrent dans l’itinérance chronique.

Maxime Barrette, agent de développement à la CDC de la Pointe (Courtoisie)

Un avenir solidaire, inclusif et durable

Au-delà de ces actions ponctuelles, la CDC travaille à développer une vision à long terme, centrée sur la création d’un continuum de services. Cela implique d’offrir différents types de logements, selon le profil et le niveau d’autonomie des personnes – y compris des options comme les maisons de chambres, longtemps négligées dans les politiques urbaines.

«On ne peut plus penser que tout le monde est prêt à occuper un 3½ avec cuisine et salle de bain », souligne Maxime Barrette. «Il faut des solutions souples, communautaires, avec accompagnement. » Dans cette optique, la CDC collabore étroitement avec des OBNL comme la Corporation Mainbourg, qui apporte son expertise en développement de logement social et communautaire.

Un exercice de cartographie des services a également été mené, afin d’identifier les ressources existantes, les doublons et surtout les trous à combler. La prochaine étape? Tisser un système de référence efficace, pour que les personnes vulnérables n’aient plus à naviguer seules dans un labyrinthe bureaucratique.

Une vision du succès : solidarité et transformation du territoire

À quoi ressemblerait un succès de cette démarche collective dans cinq ans? Pour Véronique Colas, la réponse est claire : «Un territoire capable de loger dignement sa population la plus vulnérable, un territoire solidaire, mieux outillé, où litinérance nest plus une fatalité. »

Dans une perspective plus large, Maxime Barrette estime que le succès ne se limite pas qu’à des projets ponctuels. L’agent de développement de la CDC appelle à une refonte de la pensée urbaine et sociale. «Il faut arrêter de réfléchir en silo. Il faut poser les vraies questions : qui habite lespace? Comment la ville est-elle construite? Pourquoi certains groupes sont marginalisés dans lespace public? »

La table de développement social animée par la CDC porte justement cette vision intégrée à travers cinq axes : l’aménagement et la vie de quartier, la mobilité durable, le logement et le milieu de vie, la sécurité alimentaire et le tissu social. Ces chantiers interreliés permettront une lecture stratégique du territoire, une planification à long terme et, surtout, une réponse qui entend ne laisser personne derrière.

La démarche de la CDC de la Pointe face à l’itinérance et à la crise du logement est un exemple de mobilisation locale, de résilience communautaire et de gouvernance partagée. Dans un territoire historiquement peu préparé à faire face à cette crise, l’organisme souhaite donc réunir les forces vives pour tenter de bâtir des réponses collectives, inclusives et durables.


Le dossier EST EN DÉVELOPPEMENT 2025 est produit en partie grâce à la contribution financière des partenaires suivants :