INIQUITÉS TERRITORIALES : L’EST DE MONTRÉAL ACCUEILLE SON LOT D’INJUSTICES
Un rapport récemment publié par deux organismes montréalais analyse en profondeur les iniquités de la région métropolitaine en matière du cadre bâti, mettant en lumière d’importantes injustices, notamment dans l’est de Montréal.
Le document nommé « Signes vitaux du Grand Montréal; Iniquités territoriales » a été rédigé grâce à une collaboration entre Vivre en ville et la Fondation du Grand Montréal. C’est la première fois qu’un tel effort d’analyse est entrepris afin d’identifier les populations et les secteurs les plus à risque de connaître des inégalités en matière d’aménagement du territoire.
« On savait que les caractéristiques du cadre bâti sont inégales sur le territoire, mais en plus, elles ont tendance à être moins favorables dans les milieux où se concentrent davantage de populations vulnérables et en particulier avec des conditions de pauvreté », souligne Jeanne Robin, directrice principale chez Vivre en ville et co-autrice du rapport.
L’est n’y échappe pas
Ainsi, le rapport se penche sur plusieurs aspects du cadre bâti, notamment l’accès aux transports, la présence d’espaces verdis, la proximité à des sources d’alimentation saine ou encore la présence de diverses sources de pollution urbaine.
Comme partout dans la grande région métropolitaine, plusieurs quartiers de l’est sont touchés par ces iniquités. Mais quelques secteurs se démarquent de par leur concentration de populations vulnérables qui, de plus, subissent de nombreuses injustices. Montréal-Nord, Saint-Michel et Hochelaga-Maisonneuve sont ainsi fréquemment mentionnés dans le rapport.
Par exemple, en ce qui concerne la pollution atmosphérique, on note qu’en 2023, sur l’île de Montréal, on enregistrait 34 jours de mauvaise qualité de l’air, dont 12 jours de smog. Or, les sources et événements responsables de ces jours de mauvaise qualité de l’air se retrouvent principalement dans l’est. Leurs origines sont « les industries de l’est de Montréal, les ateliers des cours de voirie de Montréal-Nord, la circulation sur les autoroutes, les activités du Port de Montréal, la circulation sur la rue Notre-Dame Est, le chauffage au bois, les feux d’artifice ».
En termes d’îlots de chaleur, le rapport remarque que le centre et l’est de Montréal en comprennent plusieurs. « Le centre-ville, le sud-ouest et le nord-est de Montréal sont particulièrement mal pourvus en îlots de fraîcheur », note-t-on. Le document fait ainsi état d’une proportion trois fois plus grande d’îlots de chaleur et cinq fois plus petite d’îlots de fraîcheur dans les secteurs défavorisés de la métropole comparativement aux autres.
Certains quartiers défavorisés sont particulièrement peu fournis en arbres, comme le centre-ville de Montréal, le Centre-Sud, Saint-Michel et Parc-Extension, ainsi que la municipalité de Montréal-Est.
Les données ne mentent pas : la part du territoire couvert par la canopée est distribuée de façon disproportionnée. Dans les secteurs défavorisés, 21 % du territoire est couvert par la canopée, contre 29 % dans les autres secteurs.
La carte de répartition des parcs révèle aussi que certains quartiers défavorisés ne contiennent aucun parc d’au moins 1 hectare dans un rayon de 300 mètres. C’est le cas pour plusieurs secteurs de Montréal-Nord et de Saint-Michel.
La pollution automobile et sonore accable aussi des quartiers défavorisés de l’est. Les secteurs de Saint-Michel et Hochelaga sont particulièrement vulnérables aux désagréments engendrés par la circulation automobile, et le territoire d’Assomption Sud–Longue-Pointe, dans Hochelaga-Maisonneuve, est singulièrement concerné par les enjeux de bruit « en raison de l’imbrication de secteurs résidentiels et spécialisés, et de la présence d’artères métropolitaines majeures ».
Transports et alimentation
De plus, on note qu’une bonne partie du territoire desservi par les transports en commun se compose de secteurs défavorisés. « On ne peut donc par parler de distribution globalement inéquitable ». « Toutefois, sur l’île de Montréal, plusieurs secteurs défavorisés n’ont aucun accès au transport en commun structurant », dont Montréal-Est et l’est de Montréal-Nord.
Il en va de même pour les infrastructures pour en transports actifs. « Certains secteurs défavorisés sont très mal pourvus en pistes cyclables, comme Montréal-Nord. » Mais les prochains développements du Réseau express vélo (REV) à Montréal viendront corriger certaines de ces iniquités, anticipe le rapport.
En outre, de nombreux secteurs défavorisés, même dans les quartiers urbains densément habités, sont dépourvus de station de BIXI. « Par exemple, Montréal-Nord accueille quelques stations dans sa partie ouest, mais aucune à l’est. À Saint-Michel, les stations se situent principalement au sud du quartier et aux abords du parc Frédéric-Back, mais on n’en trouve aucune au nord du boulevard Crémazie. »
« La majorité du territoire du Grand Montréal a été planifiée en fonction de l’usage de l’automobile. Or, comme vu plus tôt dans ce rapport, la pauvreté s’est étendue dans les secteurs périphériques de Montréal, notamment dans l’est de l’île, où le transport en commun est moins développé et la dépendance à l’automobile est plus forte. » – Extrait tiré du rapport « Signes vitaux du Grand Montréal; Iniquités territoriales »
Enfin, les injustices sont présentes jusque dans l’accès à une nourriture saine et de qualité. « L’est de Montréal-Nord réunit plusieurs caractéristiques d’un environnement défavorable à une saine alimentation », en raison d’une concentration des principaux commerces alimentaire le long des boulevards au nord et au sud du secteur, créant un accès géographique et physique limité, notamment pour les personnes non motorisées et celles à mobilité réduite.
L’est de Montréal-Nord constitue également un « marais alimentaire », puisque les aliments de faible valeur nutritive sont plus accessibles que la saine alimentation. « En effet, pour chaque commerce d’alimentation, on retrouve 2,4 dépanneurs et restaurants rapides », révèle-t-on dans le document.
Des résultats pas surprenants
Les résultats de cette première analyse des iniquités du cadre bâti montréalais ont été révélés sans trop de grande surprise pour les auteurs du rapport. Le fait qu’elles soient aussi répandues dans l’est n’étonne pas trop non plus. « On s’attendait à observer un certain cumul de facteurs défavorables liés au cadre bâti, mais c’est vrai qu’il y a certains secteurs qui ressortent encore plus fortement que ce qu’on aurait pu imaginer », insiste Mme Robin.
Cette dernière dit constater la présence de deux types de secteurs défavorisés dans la région métropolitaine. La première catégorie concerne les quartiers qui ont moins d’accès aux services publics, tels que les transports en commun, et qui sont souvent plus excentrés. La seconde concerne plutôt les quartiers plus densément peuplés, mais qui connaissent beaucoup de pression dans leur environnement : pollution industrielle et autoroutière, insécurité générale. Et dans certains rares cas, « ces deux types d’iniquités se superposent dans le même secteur ».
« Effectivement, les secteurs plus défavorisés et plus denses de l’est de Montréal sont particulièrement concernés par ça. C’est le cas de Montréal-Nord et de Saint-Michel », souligne la directrice principale de Vivre en ville.
Du côté du cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, on salue la publication du rapport qui « met en lumière des iniquités importantes dans le Grand Montréal ». Dans un courriel, son équipe affirme être consciente de ces disparités et rappelle avoir mis en place un indice de vulnérabilité pour identifier les secteurs et les populations les plus vulnérables.
« Notre administration s’engage activement à réduire ces iniquités grâce à des politiques et stratégies intégrées en habitation, avec des options mixtes et hors marché, ainsi qu’en mobilité active et collective. Le Plan d’urbanisme et de mobilité prévoit d’ailleurs des interventions spécifiques dans les secteurs identifiés, en augmentant l’accès au transport collectif, en diversifiant l’offre de logements et en bonifiant les espaces verts et les services de proximité. Cette approche vise à améliorer la qualité de vie pour tous les Montréalais et Montréalaises, en bâtissant un environnement plus équitable et inclusif », insiste-t-on dans le même courriel.