Les cuisiniers s’agitent en cuisine (Hoogan et Beaufort/Gabriel DeRossi)

INDUSTRIE DE LA RESTAURATION : ENTRE SURVIE ET RELANCE

Le secteur de la restauration a subi de plein fouet les conséquences de la pandémie, en plus de devoir jongler avec une inflation galopante, et peine aujourd’hui à garder son industrie à flot. Le Quai No 4, le restaurant Gaston ou encore La Distillerie sur la Promenade Masson sont autant d’exemples d’institutions qui ont dû mettre la clé sous la porte, entre février et mai dernier. Les défis sont nombreux pour les restaurateurs de la métropole, mais l’arrivée des beaux jours leur permettra-t-elle de souffler un peu?

La population montréalaise fréquente actuellement moins les salles des restaurants qu’il y a quelques années, et la raison première de cette importante baisse d’achalandage est sans contredit l’inflation et la flambée des coûts. « C’est certain que lorsque les gens doivent couper dans leur budget, ils vont d’abord sacrifier les loisirs, dont les sorties au restaurant », explique Dominique Tremblay, directrice des affaires publiques et gouvernementales de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ). Environ 1 800 établissements sont membres de l’ARQ à travers le Québec, et l’association contribue à la création de 186 000 emplois en plus de générer 12,6 milliards de dollars, selon un rapport publié par l’organisation en 2022.

Dominique Tremblay, directrice des affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ (Courtoisie photographescommercial)

La pandémie et ses bouleversements ont également été déterminants dans le changement des habitudes des consommateurs. « Dans certains quartiers, beaucoup de travailleurs ont poursuivi le télétravail à la suite de la pandémie, qui est devenu une tendance beaucoup plus répandue depuis. Ce qui occasionne une baisse de la fréquentation dans les restaurants, par conséquent », indique Dominique Tremblay.

Hoogan et Beaufort, un restaurant situé dans le quartier Angus, a remarqué un changement net dans la manière de consommer de sa clientèle. « La facture moyenne par personne n’a pas forcément bougé depuis ces dernières années, mais le prix des denrées ont augmenté de 10 % pour nous, ce qui occasionne une augmentation de nos prix sur notre carte. Le client va donc prendre une entrée ou un verre de vin de moins. Habituellement, on observe une croissance, mais pas cette année. Ça stagne », confie Mila Rishkova, co-propriétaire du groupe Hoogan et Beaufort.

La polyvalence est devenue également un allié de taille pour la survie des restaurants. « On a un espace qui garantit une offre éclectique : les réunions familiales, les 5 à 7 entre collègues, les dîners d’affaires… Certains bars vont servir de la pizza congelée car ils n’ont pas de cuisine et savent que les gens ne sortent plus uniquement pour boire, car sinon ils ne restent pas longtemps dans l’établissement », explique Marie Desjardins, cheffe de cuisine de La Chope Angus. 

Beaucoup de restaurateurs ont été contraints de réduire leurs jours d’ouverture pour pallier les difficultés. « Certains établissements ont diminué leurs heures d’ouvertures à cause du manque de personnel au moment de la pandémie et sont aujourd’hui encore ouverts cinq jours au lieu de sept jours sur sept », confirme Dominique Tremblay.

Mettre la clé sous la porte

Depuis janvier dernier, les devantures de restaurants avec un écriteau sur lequel on peut lire « Fermé définitivement » ne cessent d’augmenter. Comme c’est le cas du Quai No 4, une adresse de la Promenade Masson ouverte depuis 13 ans, qui a rendu son tablier le 24 mai dernier. « Le post-pandémie a été très compliqué. Et avec la situation économique actuelle, il était devenu vraiment difficile de faire des profits. Notre clientèle avait baissé de 15 % et, en plus, elle achetait pour 15 % de moins depuis janvier », confie François Forest, propriétaire du Quai No 4. 

La devanture du Quai No 4 (Courtoisie)

À l’instar de 183 000 entreprises au Québec, le Quai No 4 a bénéficié du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC). Cette aide gouvernementale d’un montant de 60 000 $ a été offerte aux restaurateurs pendant la pandémie. Si les propriétaires arrivaient à rembourser 40 000 $ avant le 18 janvier 2024, le gouvernement leur faisait cadeau des 20 000 $ restants. Par contre, si cette date de remboursement n’était pas respectée, l’entreprise perdait la subvention du prêt et devait des intérêts. « On n’a pas été capables de rembourser les 40 000 $ à temps, on se retrouve donc aujourd’hui avec 60 000 $ de dettes », partage le restaurateur. 

Rembourser un montant si important après une période forcée de fermeture lors de la pandémie a forcément mis les restaurants dans l’embarras. « Nous avons ouvert en juin 2022. Si nous avions bénéficié de cette aide, il est certain qu’on aurait eu beaucoup de difficultés [à la rembourser]. Son remboursement est sans aucun doute lié à la vague de fermetures d’entreprises que nous observons actuellement », croit Marie Desjardins, cheffe de cuisine de La Chope Angus. 

Des solutions en cuisine 

Statistique Canada indique, dans son rapport publié en mai dernier, qu’entre avril 2021 et avril 2024, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 21,4 %. Pour s’adapter à cette inflation, des restaurants doivent recourir à divers stratagèmes. « En cuisine, notre profit est souvent dans notre poubelle. J’utilise les aliments une fois, deux fois ou encore trois fois ! » confie Marie Desjardins.

Cette pirouette en cuisine permet aux cuisiniers de tester des recettes originales, un moyen de forger la signature identitaire du restaurant. « Par exemple, pour assaisonner notre rillette de porc avec de la poudre de bleuets, on récupère des bleuets qui ont servis pour une autre recette, qu’on égoutte, qu’on déshydrate et qu’on transforme en poudre », explique la cheffe cuisinière. 

Les incontournables réseaux sociaux

Les photographies esthétiques des plats sur Instagram et Facebook aident à attirer des clients (Courtoisie Hoogan et Beaufort/Gabriel DeRossi)

Depuis la fin de la pandémie, le propriétaire du Quai No 4 a constaté une transformation radicale dans les stratégies qui permettent de construire la réputation d’un établissement. « Bien que ça fasse 13 ans que Quai No 4 ait ouvert, la tradition n’est désormais plus un gage de qualité. Les jeunes cherchent aujourd’hui la nouveauté et la nouvelle place à la mode sur Tik Tok et Instagram », regrette-t-il. 

Beaucoup de restaurateurs ont donc opté pour l’embauche d’un gestionnaire de communautés pour gérer leurs réseaux sociaux, comme le Hoogan et Beaufort. « Nous l’avons recruté il y a deux ans à temps plein. Elle a son importance autant qu’un cuisinier ou un serveur », insiste Mila Rishkova. Le restaurant Hoogan et Beaufort compte actuellement 10 000 abonnés sur Instagram et 9 500 sur Facebook, et s’assure de publier plusieurs fois par semaine. 

La présence numérique des restaurateurs est cruciale pour participer à leur succès, constate aussi Marie Desjardins. « L’application Untappd, où les gens notent les bières, nous a beaucoup aidés à nous faire connaître auprès des amateurs de bières. Mais c’est certain qu’on alimente également nos réseaux du mieux qu’on peut, car on sait que c’est devenu indispensable aujourd’hui. » 

L’été sauveur 

Alors, l’arrivée des beaux jours et l’ouverture des terrasses suffira-t-elle à donner un nouveau souffle aux restaurateurs? « La période estivale représente environ 50 % des revenus d’un restaurant dans l’année. Et puis, les terrasses ajoutent des places supplémentaires aux établissements », explique Dominique Tremblay. « Notre terrasse peut accueillir 84 personnes, en plus de nos 65 places intérieures. L’été, à La Chope, c’est absolument fou! » se réjouit en terminant Marie Desjardins. 

La terrasse de La Chope Angus (Courtoisie)