Photo de l’équipe le Western (courtoisie de l’AHMHM – source inconnue)

HOCHELAGA : BERCEAU DU CANADIEN DE MONTRÉAL ET DU HOCKEY PROFESSIONNEL FÉMININ

Aujourd’hui, le côté sud de Sainte-Catherine E., à la hauteur de Omer Ravary, n’attire pas vraiment l’attention. Pourtant, c’est à cet endroit que se trouvait le Jubilee, un aréna où le Canadien de Montréal et l’une des premières (si ce n’est pas la première) ligues de hockey féminin professionnelles a vu le jour. Voici l’histoire fascinante de ce patinoir (masculin et sans « e » à l’époque) qui a marqué l’histoire du hockey.

Le 15 décembre 1908, fanfare et spectacle de patinage marquent l’inauguration du patinoir Jubilee. Situé dans Hochelaga, à l’endroit exact où se trouvait les casernes militaires de la Hochelaga Light infantry au 19e siècle, le bâtiment est doté d’estrades qui peuvent accueillir environ 3 200 personnes, ce qui en fait l’un des plus grands à Montréal. Pour les propriétaires de l’aréna, Patrick J. Doran et J. Lécuyer, il s’agit de rentabiliser leur investissement. Durant l’hiver 1908-1909, de nombreux articles dans les journaux annoncent la tenue d’événements de toutes sortes à ce patinoir de l’est de Montréal. Le 12 janvier 1909, par exemple, une grande mascarade attire un millier de spectateurs qui viennent voir des concurrents défiler dans des costumes variés et multicolores sur la glace de ce patinoir de l’est de Montréal. Des publicités dans les journaux annoncent des fanfares quatre soirs par semaine. L’admission générale coûte 10 cents et certains soirs il en coûte 15 cents aux messieurs.

Dessin de l’aréna Jubilee. Dessin : Nola McConnan (courtoisie AHMHM).

Les propriétaires espèrent toutefois attirer des joutes de hockey professionnel pour garnir les 3 200 places du Jubilee. À cette époque, ce sport se professionnalise et gagne de plus en plus de popularité dans la Ville de Montréal. À l’aréna Westmount, qui compte 5 000 places, on fait payer un peu plus de 1 dollar pour un billet de hockey, ce qui permet d’engranger d’énormes profits.

Doran, en plus d’être propriétaire du Jubilee, est actionnaire des Wanderers de Montréal, une équipe de hockey professionnelle. Le 10 mars 1909, il organise un match qui oppose son club à une sélection des meilleurs joueurs francophones de la ville. La rencontre se termine par un résultat de 10 à 9 en faveur des Wanderers. Pour Doran, il s’agit d’un beau succès commercial puisque malgré la mauvaise température, environ 1 000 spectateurs sont dans les gradins.

Fort de son succès, en automne 1909, il propose que le Jubilee devienne le domicile des Wanderers lors de la réunion des propriétaires des équipes de la Eastern Canada Hockey Association (E.C.H.A.). Son projet est refusé par ses homologues qui font valoir que l’Aréna de Westmount peut contenir plus de spectateurs que le Jubilee et que cette dernière est beaucoup trop à l’est de la ville pour la clientèle ordinaire de la ligue. Les discussions sont sans doute houleuses puisque les Wanderers finissent par être expulsés de la E.C.H.A qui change de nom par la même occasion pour devenir la Canadian Hockey Association (C.H.A.).

À la même réunion, J. Ambrose O’Brien, propriétaire des Creamery Kings de Renfrew de la Ottawa Valley Hockey League voit sa candidature refusée pour intégrer la E.C.H.A. Patrick Doran et O’Brien décident alors de former une nouvelle ligue de hockey professionnelle : la National Hockey Association (N.H.A.). Pour attirer les spectateurs francophones au Jubilée, les propriétaires de la N.H.A. forment une équipe francophone qui prendra le nom du Canadien de Montréal.

Formation initiale du Canadien de Montréal lors de la création de l’équipe en 1909. Image tirée de La glorieuse histoire des Canadiens, p. 40 (courtoisie AHMHM).

Au début de la saison 1910, la C.H.A. et la N.H.A se font concurrence. Chacune des ligues est formée de cinq équipes. Les trois clubs montréalais de la C.H.A. jouent leurs matchs à domicile à l’Aréna de Westmount, rue Sainte-Catherine Ouest, tandis que les deux équipes montréalaises de la N.H.A. se trouvent au Jubilee sur Sainte-Catherine Est. La coexistence de ces deux ligues est cependant de courte durée. Deux semaines après le début de la saison, le 14 janvier 1910, l’équipe d’Ottawa et les Shamrocks de Montréal quittent la C.H.A pour joindre la N.H.A. Ces changements signent par le fait même la disparition de la C.H.A. O’Brien, qui est le propriétaire du Canadien, propose au National – l’équipe francophone de la C.H.A – de fusionner avec son équipe. Il cherche, en effet, à se départir de cette dernière à condition que les acheteurs soient francophones. Les conditions de vente empêchent cependant l’achat du Canadien par le National qui quitte le hockey professionnel dès l’année suivante.

La première saison du Canadien de Montréal débute par une victoire de 7 à 6 contre l’équipe de Cobalt en Ontario. Ce succès est de courte durée puisque le Canadien termine la saison bonne dernière de la ligue avec une fiche de deux victoires en douze rencontres. En 1911, George Kendall dit Kennedy, trésorier du Club athlétique Canadien conteste en cours l’emploi du nom Canadien par la nouvelle équipe de hockey de la N.H.A. Pour régler la question, O’Brien décide de donner l’équipe au Club athlétique Canadien. L’année suivante, le Canadien élit domicile à l’Aréna de Westmount (rue Sainte-Catherine Ouest et avenue Wood).

Une rare photo à l’aréna Jubilee (domaine public-courtoisie AHMHM).

Le départ du Canadien de Montréal ne laisse pas indifférents les propriétaires du Jubilee. En 1916, ils engagent Lucien Riopel comme nouveau gérant pour leur patinoir qui, dès son entrée, attise la rumeur selon laquelle le Canadien reviendrait jouer ses matchs au Jubilee. En 1917, Lucien Riopel, récidive et écrit aux différents clubs qui forment la toute nouvelle Ligue nationale de hockey (qui remplace la N.H.A.) pour offrir une coupe de 1 000$ aux champions L.N.H. ainsi que plusieurs conditions très avantageuses au Canadien de Montréal afin qu’il vienne jouer leur match à Hochelaga. Malgré ses efforts, le Canadien débute sa saison à l’Aréna de Westmount. Pour rentabiliser son patinoir, Patrick Doran profite de la Première Guerre mondiale pour mettre sur pied une ligue de hockey professionnelle féminine.

La Guerre 1914-1918 oblige plusieurs équipes à interrompre leurs activités faute de joueurs. À l’instar de ce qui se passe dans les usines, les femmes viennent remplacer les hommes sur la glace. En 1914, par exemple, la compagnie de téléphone Bell organise la Ligue Bell Téléphone qui oppose six équipes formées de téléphonistes qui ont le nom de six centrales téléphoniques à Montréal. La ligue n’existera, cependant, qu’un hiver.

L’année suivante, Patrick Doran organise une ligue de hockey féminine – La Ligue de hockey des Dames de l’Est – pour remplir les gradins du Jubilee. À la différence des premières parties féminines où les profits allaient à des œuvres charitables, les « Dames de l’Est » sont payées, ce qui en fait l’une des premières ligues de hockey féminin professionnelles.

Au début de la saison 1916, la ligue est formée de quatre équipes : le Western, le Telegraph, le Maisonneuve Stanley et le North End Stanley. Un mois après, deux nouvelles équipes s’ajoutent et, bientôt, un autre club entièrement francophone, le Hochelaga. La meilleure équipe, le Western, porte le chandail des Wanderers et gagne le championnat lors des saisons 1916, 1917 et 1918. Les succès de l’équipe reposent en grande partie sur le talent d’Agnès Vautier qui devient rapidement la meilleure joueuse de la ligue. Dans les journaux, on n’hésite pas à la comparer aux deux joueurs vedettes du Canadien de Montréal, Didier Pitre et Newsy Lalonde. Le succès des hockeyeuses est si important que les joueuses vont jouer des parties hors-concours un peu partout au Québec et même à l’extérieur de la province.

Photo de l’équipe le Hochelaga. Montreal Daily Star, 9 mars 1916, p. 6 (courtoisie AHMHM).

Une série de rencontres organisée entre le Western et l’équipe ontarienne le Victoria de Cornwall donnera lieu à une rivalité qui fera courir les foules. On raconte même que la Compagnie des tramways de Montréal doit ajouter des voitures supplémentaires pour transporter les spectateurs dans l’est de la ville les jours de matchs.

Cette rivalité voit le jour le 22 janvier 1916, lorsque les joueuses du Western prennent le train en direction de Cornwall pour affronter le Victoria. Malgré les talents des hockeyeuses montréalaises, elles s’inclinent sur le score de 1 à 0. Deux semaines après, le Western retourne en Ontario prendre sa revanche. Cette fois-ci, la joute se termine 8 à 0 en faveur de Cornwall. Cette lourde défaite est à mettre au compte d’une nouvelle recrue pour le Victoria, la hockeyeuse franco-ontarienne Albertine Lapensée. Véritable phénomène, elle est rapidement reconnue comme la meilleure joueuse de hockey au pays. En 1917, le gérant du Jubilee, Lucien Riopel, met sur pied une équipe d’étoiles pour affronter Lapensée et le Victoria, mais rien n’y fait, Cornwall est imbattable.

Albertine Lapensée et Agnès Vautier, les étoiles du hockey féminin. La Presse, 1 février 1917, p. 6 (courtoisie de l’AHMHM).

Malgré les succès commerciaux du hockey féminin professionnel, l’année 1918 sonne le glas de la Ligue de hockey des Dames de l’Est. En effet, plutôt que de développer la ligue, ses propriétaires se perdent dans des querelles intestines. À cela, il faut ajouter que la fin de la Première Guerre mondiale est synonyme du retour des soldats au pays et sur les glaces de hockey.

L’année 1918 marque aussi le retour du Canadien de Montréal au Jubilee. Le 2 janvier un incendie détruit l’Aréna de Westmount. Des dommages estimés à environ 150 000$ ne laissent derrière eux que des ruines. Trois jours plus tard, le Canadien de Montréal dispute un match à Hochelaga. Dans les journaux on annonce que les règlements de l’Aréna de Westmount seront appliqués au Jubilee. Parmi eux, on compte l’interdiction pour les spectateurs de fumer pendant le match afin de permettre aux amateurs de mieux suivre la partie.

L’Aréna de Westmount à la suite de l’incendie du 2 janvier 1918 ( photo Musée McCord – courtoisie de l’AHMHM).

La saison 1918-1919 du Canadien est jouée au Jubilee. Cette année-là, l’équipe défait les Sénateurs d’Ottawa pour gagner le titre de la NHL. Quatre jours plus tard, les joueurs du Canadien prennent le train en direction de Seattle pour jouer la finale de la coupe Stanley. Ils doivent affronter les Métropolitains de Seattle (gagnant de la Pacific Coast Hockey League) dans une série de 3 de 5. Cette dernière ne sera, toutefois, jamais complétée. La grippe espagnole frappe les joueurs des deux équipes et Joe Hall, un joueur du Canadien, meurt de cette maladie qui fera au total entre 20 et 100 millions de morts.

L’année 1919 marque aussi la fin de l’histoire du Jubilee. Le 23 avril 1919, l’aréna est incendié. Un rapport explique que ce feu a été causé par le mauvais état des fils électriques. Le Jubilee ne sera jamais reconstruit. Le Canadien, quant à lui, se trouve un nouveau domicile à l’aréna Mont-Royal, situé entre les rues Saint-Urbain et Clark.


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Coeur-de-l’Île. Recherche et rédaction : Olivier Dufresne, directeur-historien Atelier d’histoire Mercier−Hochelaga-Maisonneuve.