L’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. (Photo Wikimedia Commons).

HMR : VIVES RÉACTIONS VIS-À-VIS LE PLAN DU GOUVERNEMENT ÉBRUITÉ

Plusieurs personnalités politiques et membres du milieu de la santé dans l’est de Montréal s’inquiètent de la tournure que prend le projet de modernisation de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR). Un projet qui se ferait par « étapes », comme cela a été mentionné par le ministre de la Santé, Christian Dubé, ces derniers jours, risquerait de s’éterniser et de faire grimper la facture, croit-on.

L’information a tout d’abord coulé dans La Presse vendredi dernier; le budget pour le chantier du nouveau HMR ne pourra pas dépasser les 2,5 milliards de dollars précédemment annoncés, malgré des analyses de la Société québécoise des infrastructures qui évaluent désormais le projet à 4,2 milliards. Résultat : la direction du CIUSSS de-l’Est-de-l’Île-de-Montréal doit pour l’instant mettre une croix sur la construction d’un hôpital neuf sur son terrain, où auraient éventuellement été logés les 720 nouveaux lits prévus en 2021. C’est plutôt la rénovation du bâtiment central de l’établissement, l’édifice cruciforme construit en 1954 et reconnu de toutes parts comme étant dans un état de vétusté avancé, qui est mis de l’avant par le gouvernement.

            Selon les données du CIUSSS de l’est, HMR dessert 27 % de la population montréalaise, soit à peu près 600 000 personnes, alors qu’il ne possède que 17 % des lits de courte durée disponibles dans la métropole

Le ministre a ensuite nié les informations dévoilées par le quotidien lors d’une entrevue à Radio-Canada. Insistant sur le fait que le projet est encore sur la table à dessin, celui-ci a plutôt indiqué que la modernisation de l’hôpital allait se faire par étapes. « Je vais être très clair… On va le faire par étapes et on va rénover l’hôpital et il va y avoir les chambres supplémentaires qu’on s’est engagés [à construire] », avait alors publié le ministre sur son compte Twitter.

Un scénario « inacceptable »

Pour les acteurs du milieu hospitalier, ce scénario est accueilli avec stupéfaction et incompréhension. « C’est complètement ridicule de tenir un tel discours, quand on sait que rénover va sûrement coûter plus cher que de reconstruire », s’indigne Patrick Cothenet, président du Comité des usagers de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (CUHMR).

Ce dernier se questionne sur la façon dont procédera le gouvernement dans le cadre de ce chantier, considérant que l’édifice qui doit être réhabilité est en ce moment occupé par des patients. « Où iront-ils pendant qu’on ouvrira les murs dans ce vieil hôpital qui doit être gorgé d’amiante ? Les usagers ne pourront pas rester », souligne-t-il.

          « Lorsqu’on a construit le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), on a été en position de garder ouvert l’Hôpital Saint-Luc et de transférer les patients une fois le chantier terminé, pour ensuite démolir Saint-Luc. Pourquoi ne serions-nous pas en mesure de faire la même chose avec HMR? » Patrick Cothenet, président du CUHMR.

D’ailleurs, l’organisme entend envoyer une lettre au ministre de la Santé dans les prochains jours afin de plaider pour qu’on reconsidère l’option de la construction d’un nouvel hôpital plutôt que celle de la rénovation.

Au Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, on s’explique aussi mal comment la décision d’aller de l’avant avec la remise à niveau de l’édifice cruciforme a pu être prise. « C’est inacceptable, compte tenu de l’urgence de la situation. […] C’est un enjeu au niveau de l’attraction. Quand on annonce qu’un nouvel hôpital sera en place, ça attire les travailleurs, surtout pour ceux employés récemment qui peuvent compter sur les nouvelles installations pour fonder leur carrière. Ça offre une attraction nouvelle, et dans le cas de HMR, du positif pour l’est de Montréal. Aussi, il faut rappeler qu’on a besoin de ces nouveaux lits pour soigner la population de l’est. C’est tout ça qui est en jeu », affirme Denis Cloutier, président du syndicat.

Travailler dans un établissement de santé fondé dans les années 1950 apporte son lot « d’irritants », relate ce dernier. Couloirs étroits, civières dans les corridors, mauvaise aération, températures qui peuvent grimper jusqu’à 40 degrés Celsius en été : les conditions de travail sont difficiles pour les employés. « On est obligés d’installer des climatiseurs un peu à la va-vite depuis la COVID, ce qui fait qu’au bout des corridors on a de gros congélateurs qui soufflent de l’air froid. C’est l’équipement aussi qui doit être revu. Dans un hôpital moderne, l’oxygène et les appareils sont intégrés dans les murs. Tout ça doit être repensé à HMR », explique le président du syndicat.

Faire pression

Au niveau politique, les réactions ne se sont pas fait attendre de la part des députés de l’est à l’opposition.

Mardi dernier, le chef du Parti québécois (PQ) et député de Camille-Laurin, Paul St-Pierre Plamondon, a rencontré le premier ministre François Legault pour faire valoir certaines revendications. L’une de celles-ci concernait HMR et le dégel du budget pour répondre à l’explosion des coûts du projet.

« J’ai demandé au premier ministre que la phase 1 du projet soit faite correctement et au complet, ce qui demande de bonifier l’enveloppe à 4 milliards. Sans qu’il y ait d’engagement formel, il m’a dit qu’il considérait sérieusement de bonifier l’enveloppe », indique M. St-Pierre Plamondon.

Paul St-Pierre Plamondon.

Pour le chef du PQ, le risque de procéder par de multiples phases pour arriver à l’exécution de l’ensemble de l’œuvre risque de faire en sorte que les phases subséquentes « n’arrivent pas ou ne soient pas à la hauteur des besoins ».

« C’est toujours la même chose, les citoyens de l’est sont toujours pénalisés. On sait qu’il y a moins de lits, moins de personnel et moins d’ambulances par personne dans l’est de Montréal qu’ailleurs. Si on décide de faire perdurer cette injustice, il y a quelque chose qui cloche. » – Paul St-Pierre Plamondon, chef du PQ.

De son côté, Vincent Marissal, porte-étendard de Québec solidaire dans Rosemont, suit le dossier depuis sa première élection dans la circonscription. Qualifiant la proposition du gouvernement ébruitée dans les médias de « mauvais film qui tourne en boucle », le député croit désormais que le projet de modernisation de HMR risque de finir comme celui de la ligne bleue du métro de Montréal et prendre plusieurs décennies avant de se réaliser.

Vincent Marissal.

« Il n’y a aucune logique économique, financière ou d’infrastructure à fonctionner de cette façon-là. […] Pour l’instant, le ministre n’a pas le bon plan, n’a pas la bonne somme, et lui-même l’admet qu’il va falloir qu’on ajoute de l’argent. À quoi joue-t-on? L’hôpital ne va pas coûter moins cher si on le fait plus tard. L’hôpital de Vaudreuil-Soulanges est passé de 1,5 à 2,6 milliards et on vient de commencer les travaux. C’est un hôpital de 400 lits. Si c’est bon pour Vaudreuil, ça doit être bon pour Rosemont », martèle M. Marissal.

En 2021, le député avait pris part à une coalition d’acteurs de l’est de Montréal faisant front commun pour la reconstruction de l’hôpital. L’élu compte désormais relancer cette coalition pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il mène à terme le projet complet de la modernisation de HMR.

« Je parle à tout le monde dans l’est, des gens d’affaires, des gens de la profession médicale, des usagers, et tout le monde est en colère. Il y a beaucoup d’incompréhension qui est en train de faire place à la colère, parce qu’on ne comprend pas pourquoi le gouvernement s’obstine dans un tel illogisme. Ça dépasse l’entendement. » -Vincent Marissal, député de Québec solidaire dans la circonscription de Rosemont.

Toujours en élaboration

Du côté du cabinet du ministre Dubé, on réitère que la modernisation de l’hôpital et les 720 lits promis initialement seront bel et bien livrés à terme.

« Les plans sont toujours en conception. Tout est encore sur la table, mais ce qui est certain c’est qu’on a mis de côté 2,5 milliards pour faire le projet et qu’on sera prêt à ajouter l’argent nécessaire pour le compléter », insiste Antoine de la Durantaye, attaché de presse au ministre de la Santé.

On a toutefois refusé de répondre « aux questions plus techniques » envoyées par EST MÉDIA Montréal. Dans un courriel, le cabinet rappelle plutôt qu’« on travaille actuellement sur différents scénarios, mais, une fois de plus, on doit dire la vérité, le projet ne sera pas diminué, il y aura tous les lits supplémentaires qu’on s’est engagé à livrer ». Impossible de confirmer ce qu’entend le ministre lorsqu’il indique que le chantier de modernisation se fera par étapes ou si les plans de rénovation de l’édifice cruciforme sont favorisés par le gouvernement.

EST MÉDIA Montréal a tenté de joindre les autres élus de l’est pour obtenir leurs réactions. Au cabinet de Chantal Rouleau, députée caquiste de Pointe-aux-Trembles, on a dirigé nos questions vers l’équipe de M. Dubé. Du côté de Karine Boivin-Roy, députée de la CAQ dans Anjou-Louis-Riel, nos demandes sont restées lettre morte. Ce fut aussi le silence radio de la part du cabinet du ministre de la métropole, Pierre Fitzgibbon. Enfin, nous n’avons pas eu de retour de la part des trois députés libéraux, Madwa-Nika Cadet, Marc Tanguay et Frantz Benjamin.

Retour sur la saga de Maisonneuve-Rosemont

L’idée de mettre à neuf l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont ne date pas d’hier. Un premier article paru en mars 2012 à Radio-Canada rapportait que le gouvernement de l’époque, dirigé par les libéraux de Jean Charest, investirait 900 millions de dollars dans la rénovation et l’agrandissement de l’hôpital. Le projet ne s’est jamais concrétisé, et c’est sous le gouvernement Couillard qu’il est revenu sur la table. Le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, annonçait alors un budget de 1,8 milliard de dollars pour rénover et agrandir l’hôpital.

La Coalition avenir Québec (CAQ) a ensuite pris le pouvoir lors des élections de 2018, et c’est la nouvelle ministre de la Santé Danielle McCann qui a repris le dossier en main. En juin 2019, celle-ci confirmait en exclusivité à EST MÉDIA Montréal que le « cruciforme » de HMR serait finalement démoli. Dans cette vision, le nouveau bâtiment aurait vraisemblablement été érigé dans une partie du stationnement donnant sur le boulevard Rosemont, selon la ministre.

Par la suite, le successeur de Mme McCann, Christian Dubé, annonçait en août 2021 que l’hôpital serait finalement reconstruit sur le terrain actuel de l’institution, et que la transition entre les anciennes infrastructures et les nouvelles se feraient progressivement tout au long du processus de construction. Le projet était alors évalué à 2,5 milliards de dollars, soit 700 millions de plus que ce qui avait été prévu en 2018.

L’année suivante, Radio-Canada dévoile des études de la Société québécoise des infrastructures dans lesquelles on estime que les coûts réels de la modernisation de HMR s’élèveront à 4,2 milliards, soit un dépassement de 68 % de l’enveloppe prévue. Durant les élections générales qui se sont tenues à l’automne dernier, le ministre sortant de la Santé se dit alors prêt à « engager toutes les sommes nécessaires pour une rénovation complète de l’hôpital ».


L’éditeur d’EST MÉDIA Montréal s’est prononcé sur le sujet hier en publiant un éditorial que vous pouvez lire ici.