L’ancienne carrière Francon, un immense site à reconvertir. (Photo : VSMS).

FRANCON : UN IMMENSE PROJET DE REQUALIFICATION URBAINE SE DESSINE

Un terrain équivalent à pas moins de 100 terrains de football au cœur d’une zone urbaine, et une fracture industrielle considérable qui atteint jusqu’à 70 mètres de profondeur, nuisant à la mobilité dans le nord-est de Montréal. Mais du même souffle, un potentiel extraordinaire de requalification pour la Ville de Montréal qui prône la densification de ses quartiers résidentiels. Une occasion inouïe de revitaliser à la fois un quartier Saint-Michel qui en a bien besoin, et d’agir concrètement suivant la volonté politique actuelle de dynamiser l’Est de Montréal. Le site de l’ancienne carrière Francon, il faudra bien sûr un jour ou l’autre le convertir, et la pression commence d’ailleurs à se faire forte sur la Ville de Montréal afin qu’elle s’y penche sérieusement.

Après Miron, Francon

La mobilisation citoyenne dans Saint-Michel, dont les forces vives sont pratiquement toutes canalisées au sein de la table de quartier Vivre Saint-Michel en Santé (VSMS), l’organisme phare au cœur des principaux projets et événements sociocommunautaires sur ce territoire, se fait de plus en plus insistante envers les différents paliers de gouvernement afin de revoir une fois pour toute la vocation de l’ancienne carrière Francon, terrain acquis par la Ville de Montréal en 1984. L’organisme vient d’ailleurs tout juste de se joindre la semaine dernière à la nouvelle « Alliance pour l’Est de Montréal », un regroupement de nombreuses instances civiles de l’Est de Montréal qui désire s’impliquer activement dans la planification et les projets de revitalisation du territoire qui sont dans la mire des gouvernements actuels.

« Le projet de requalification urbaine de l’ancienne carrière Francon, au cœur du quartier Saint-Michel, est d’une ampleur métropolitaine et un projet qui se fera sur au moins un quart de siècle. C’est pourquoi nous avons décidé de nous joindre au mouvement de l’Alliance pour l’Est de Montréal, car bien sûr le développement de ce grand projet aura un impact majeur sur l’Est de Montréal, particulièrement au niveau de la mobilité », explique Jean Panet-Raymond, directeur général de VSMS.

L’ancienne carrière Francon est d’une superficie de 94 hectares et sa profondeur atteint à certains endroits 70 mètres. (Photo : VSMS).

La requalification de l’autre grande et ancienne carrière de Saint-Michel, soit le site de Miron, situé à l’ouest du quartier, est quant à elle en voie d’être entièrement réalisée avec l’agrandissement progressif du grand parc que deviendra dans les prochaines années Frédéric-Back. Rappelons que c’est sur ce site que fut créé il y a plus d’une vingtaine d’années le Complexe environnemental Saint-Michel regroupant l’écocentre Saint-Michel, de même que le centre de tri et de récupération des matières recyclables desservant le centre et l’est montréalais, l’usine Gazmont (qui récupère les biogaz de l’ancien dépotoir pour produire de l’électricité), et La TOHU. On y retrouve également le siège social du Cirque du Soleil et l’École nationale de cirque, alors qu’au nord du site on y a construit le Stade de soccer de Montréal et le TAZ Skatepark.

Situé à l’extrémité est du quartier Saint-Michel, l’immense terrain Francon est limitrophe avec les arrondissements de Montréal-Nord et de Saint-Léonard. Compte tenu de ses anciennes activités de carrière et de la profondeur qui en découle, cette superficie de quelque 94 hectares est donc isolée, sans rue et route la traversant, causant de sérieux problèmes de mobilité pour les résidents des alentours qui doivent contourner inévitablement cette zone, surtout pour circuler est-ouest. Actuellement, la partie longeant le boulevard Pie-IX sert de décharge à neige pour la Ville de Montréal qui y déverse pas moins de 40 % de ses neiges usées. Lors de grandes tempêtes, le site peut accueillir jusqu’à 200 camions chargés de neige à l’heure, un irritant pour les résidents du secteur, on peut l’imaginer.

(Photo tirée du site web de Vivre en vert).

Sans réel projet de développement pour l’instant, la Ville de Montréal avait toutefois dans ses plans de déménager et d’agrandir le centre de tri de matières recyclables situé sur l’ancienne carrière Miron pour le redéployer sur le site Francon, afin de permettre l’aménagement optimal de la porte d’entrée principale du grand parc à venir. Ce qui a soulevé l’ire des membres de VSMS, qui ont fini par faire reculer, semble-t-il, la mairesse Valérie Plante sur ce projet l’an dernier. « La population s’est mobilisée encore une fois pour manifester clairement que s’en était assez le développement de sites de rebuts dans Saint-Michel. On a assez donné, on veut que Francon serve à autre chose, on veut que la communauté se l’approprie, qu’on en fasse un milieu de vie propice au développement écologique, communautaire, résidentiel, culturel, moderne et économique de ce quartier montréalais. Il faut également que ce projet serve à retisser la trame urbaine et réunifie les zones résidentielles qui sont enclavées par l’ancienne carrière », affirme M. Panet-Raymond.

Le directeur général de VSMS, Jean Panet-Raymond. (Photo : EMM).

VSMS demande donc à la Ville de Montréal de se pencher dès maintenant sur un plan directeur d’aménagement pour ce territoire. L’organisme a d’ailleurs déjà procédé à plusieurs analyses et études préliminaires dans le cadre d’un éventuel réaménagement et se dit évidemment prêt à collaborer avec la Ville pour l’élaboration d’un tel plan. Idéalement, le projet devrait inclure une mixité de logements, dont un pourcentage adéquat de logements sociaux et d’unités adaptées aux familles (2-3 chambres à coucher), des commerces de proximité, des bureaux et commerces de services, des espaces verts, des places publiques, bref, une planification respectant les nouvelles normes d’aménagement de quartiers urbains. « Mais on ne veut pas un développement de type Griffintown, on se rapproche plus d’un concept comme celui de la Société de développement Angus, dans Rosemont », soutient M. Panet-Raymond.

Le contournement de cette ancienne zone industrielle cause de sérieux problèmes de mobilité dans cette partie nord-est de Montréal (Photo : VSMS).

Le plus grand défi serait donc, dans un premier temps, de remblayer la gigantesque carrière. « Tout à fait réalisable », soutient M. Panet-Raymond, qui affirme que plusieurs exemples de reconversion d’une carrière du type de Francon existent dans le monde. « Très, très difficile, presque utopique », nous dira toutefois la mairesse de l’arrondissement de Villeray−Saint-Michel−Parc-Extension, Giuliana Fumagalli, dans le cadre d’une entrevue dont nous vous présenterons le contenu d’ici quelques jours. Toutefois, la mairesse n’y voit pas nécessairement un frein à la requalification du site en zone urbanisée. « Ce serait peut-être même un avantage de garder le site dans sa profondeur, une unicité que l’on pourrait exploiter. Même s’il faudrait innover en termes de mobilité, avec la construction de passerelles notamment », avance-t-elle.

Esquisse de passerelle dans l’une des propositions de VSMS pour la requalification du terrain Francon.

Chose certaine, la Ville de Montréal analyse actuellement les options et procède à plusieurs analyses et caractérisations en ce moment, nous dit-on à la mairie d’arrondissement. Il y aura donc éventuellement un plan directeur d’aménagement d’ici quelques années pour le terrain Francon. Si rien n’est encore arrêté, on semble toutefois se diriger de plus en plus vers la création d’un nouveau secteur urbain d’envergure. À suivre donc.

Maison communautaire

Beaucoup plus avancé celui-là, le projet de Maison communautaire porté par VSMS continue sa route vers une éventuelle concrétisation. La table de quartier travaille depuis déjà plusieurs années à la reconversion du bâtiment abritant l’ancien siège social francophone de Synchro Canada (instance nationale de nage synchronisée) et de sa piscine en une infrastructure publique pouvant notamment offrir des locaux abordables pour les organismes communautaires, et accueillir un centre de la petite enfance (CPE), une cuisine collective et une salle polyvalente.

Esquisse du projet de Maison communautaire de l’organisme VSMS. (Image : VSMS).

Rappelons que cet édifice de 31 525 pi2 situé dans le parc George-Vernot (aux portes de la carrière Francon) a été fermé par la Ville en 2015 pour des raisons de vétusté. Ce qui complexifie le projet en ce moment, c’est que le bâtiment appartient à la ville centre, alors que le terrain, lui, est sous la juridiction de l’arrondissement. « L’arrondissement appuie sans contredit ce projet de création d’une Maison communautaire, mais il y a encore des choses à régler concernant la gestion de tout cela. Qui prendra quoi en charge, ce n’est pas encore défini. En fait, la ville centre et l’arrondissement sont activement en train de négocier le dossier et d’évaluer la faisabilité de ce projet, ça avance bien et on espère pouvoir annoncer quelque chose bientôt à ce sujet », a déclaré Mme Fumagalli.

Vivre Saint-Michel en Santé

Né en 1991 d’une approche large sur la santé (mouvement Healthy Community de l’OMS), la table de concertation Vivre Saint-Michel en Santé regroupe la grande majorité des organismes communautaires et des institutions du quartier, en plus de compter dans ses rangs plusieurs entreprises et citoyens. VSMS est reconnue dans le milieu communautaire comme l’une des tables de quartier les plus organisées et les plus dynamiques au Québec. Si vous cherchez de l’information ou une ressource dans le quartier Saint-Michel, vous tomberez inévitablement sur un de leurs outils de communication.

« Notre mission de base est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Nous sommes là aussi pour soutenir les organismes qui eux soutiennent les citoyens, car mieux vaut travailler ensemble qu’en silo, chacun de notre côté », explique le directeur général Jean Panet-Raymond, qui a remplacé l’an dernier France Émond, elle qui est maintenant chef de cabinet de la mairesse Guliana Fumagalli.

L’actuel DG, qui de son propre aveu fêtera son 75e anniversaire bientôt, est impliqué dans l’organisme depuis ses débuts et dans le quartier Saint-Michel depuis les années 1970. Enseignant universitaire et dirigeant d’organismes communautaires, particulièrement dans le domaine du logement, M. Panet-Raymond se souvient très bien des circonstances entourant la mise sur pied de VSMS. « Depuis les années 1940 et jusqu’au milieu des années 1980, les deux carrières de Saint-Michel se résumaient pour les gens du quartier à du camionnage, du dynamitage, à des fondations de maison craquées, à de la poussière, du bruit et des problèmes de santé, jusqu’à ce qu’on ferme Miron et que la ville en fasse le dépotoir de l’Est de l’île. Et puis après sont venues les odeurs nauséabondes et autres inconvénients qu’apportent un dépotoir d’une telle ampleur. C’est pour trouver des solutions à tout cela, et surtout pour que ces activités cessent, que VSMS s’est créé. Et on voit aujourd’hui que cela a porté fruit, et que le quartier continue de progresser entre autres grâce à cette concertation qui est très dynamique, je dirais même peut-être unique à Montréal », affirme le directeur général.

Si la table de quartier a été impliquée de près dans la requalification du terrain de l’ancienne carrière Miron, ce n’est pas d’hier non plus qu’elle milite pour un autre type de développement pour le terrain Francon. « Nous avions fait une conférence de presse en 2006 bien tapis au fond de la carrière Francon pour dire haut et fort que nous ne voulions pas, en fait que nous ne voulions plus de projets de traitement de rebuts de toutes sortes dans Saint-Michel. Le site du Complexe environnemental Saint-Michel, c’était assez, il fallait que la ville ait en tête une autre vocation pour le site Francon, il doit servir à la communauté et il faut aussi désenclaver les zones résidentielles adjacentes », affirme M. Panet-Raymond.

D’ailleurs, VSMS avait déjà présenté un projet pour ce site en 2006 à la Ville de Montréal, qui a fait l’objet d’audiences publiques par l’OCPM en 2008. Il s’agissait d’un projet « d’implantation d’un centre commercial et d’espaces verts thématiques », qui avait comme principal bailleur de fonds l’entreprise Smartcenters, le bras immobilier de Wal-Mart. Par contre, à la suite du krach boursier de 2008, VSMS n’a plus jamais entendu parler de Smartcenters, reléguant le développement du site aux calendes grecques.

Mis à part les deux grands projets actuels de VSMS que sont la requalification du site Francon et la mise sur pied de la Maison communautaire, la table de quartier procédera à la fin du mois de février au lancement du très attendu « Plan de quartier 2020-2024 », qui se veut la synthèse des réflexions des nombreux comités de travail de la table depuis environ deux ans et la proposition de l’organisme pour améliorer la qualité de vie des michelois.e.s pour les quatre prochaines années, du moins la vision de VSMS. EST MÉDIA Montréal reviendra sur cet événement au début mars.

Soulignons en terminant que VSMS encadre dans ses rangs pas moins de douze groupes de travail distincts qui se concentrent chacun sur l’un des enjeux suivants :

  • Aînés
  • Alimentation
  • Aménagement urbain
  • Culture
  • Enfance-Famille
  • Emploi-Employabilité
  • Habitation
  • Jeunesse
  • Participation citoyenne
  • Réussite éducative
  • Sécurité
  • Sports-Loisirs

Avec la moitié de ses résidents issus des communautés culturelles, Saint-Michel est historiquement un quartier d’immigration et il incarne parfaitement la diversité de la métropole d’aujourd’hui, avec ses défis et ses avantages caractéristiques de ces milieux de vie. « Je crois que Saint-Michel, dans 20 ou 30 ans, sera un quartier très dynamique à l’image du Montréal contemporain. Une diversité de communautés qui vivent en harmonie dans un milieu francophone, et ça se fera grâce à la génération des jeunes d’aujourd’hui, qui sont beaucoup plus impliqués que celles d’avant, qui ont beaucoup moins de barrières culturelles que celles d’avant, et qui n’ont pas peur d’innover. Je crois dans nos jeunes et ce sont eux qui vont propulser Saint-Michel d’ici quelques années, qui vont vraiment changer la donne », clame Jean Panet-Raymond, un discours similaire à celui que nous a livré la mairesse Giuliana Fumagalli cette semaine.