FOOD TRUCKS : UN SERVICE POPULAIRE RALENTI PAR LA LOURDEUR LÉGISLATIVE
Assurément appréciés du public depuis leur apparition à Montréal, il y a un peu plus de 10 ans, les camions de cuisine de rue (food trucks) parcourent les quartiers de la métropole dès l’arrivée des beaux jours. Derrière ce portrait glorieux se cache pourtant une réalité plus sombre, de nombreuses complications, législatives notamment, venant mettre des bâtons dans les roues de ces restaurants mobiles.
L’Association des restaurateurs de rue du Québec (ARRQ), fondée en 2012 par Gaëlle Cerf et Guy Vincent Melo, veille au bon déroulement des activités commerciales de ses membres, une centaine de camions de cuisine de rue provenant d’un peu partout dans la province. « L’idée de départ de l’ARRQ était de légitimer la cuisine de rue, la vente sur le domaine public étant interdite depuis les années 1940, mais aussi de mettre en valeur ce service », précise Mme Cerf. L’association offre aujourd’hui un accompagnement clé en main à ses membres, notamment par l’entremise d’un service de réservation de camions.
Gaëlle Cerf rencontre son partenaire d’affaires en 2010, au moment où elle ouvre le regretté Grumman’78, restaurant chaleureux installé dans un ancien garage du quartier Saint-Henri, avec Marc-André Leclerc et Hilary McGown. Visionnaire, l’entrepreneure lance par la suite l’un des premiers food trucks en circulation à Montréal, un « camion à tacos » qui porte le même nom que son établissement fixe. « Les gens ont réalisé qu’à Montréal, on n’avait pas de food trucks, et l’intérêt était là. Notre premier été, on est allés s’installer au Festival de jazz, aux Francofolies et ensuite au festival Juste pour rire », explique la restauratrice.
La popularité du concept est évidente et d’autres camions se lancent rapidement dans l’aventure de la cuisine de rue. Gaëlle Cerf et ses collaborateurs créent peu de temps après le premier rendez-vous des amateurs de food trucks, « Les Premier vendredis », au Stade olympique de Montréal. L’événement festif, qui accueille plusieurs milliers de personnes par jour, célèbre cet été sa 12e édition. Et l’engouement n’a jamais dérougi. « De 2014 à 2020, la vente sur le domaine public, c’était vraiment impressionnant. Il y avait beaucoup d’emplacements pour les camions, surtout dans le quartier Ville-Marie. Au moment où la pandémie a frappé, ç’a été un coup dur pour l’industrie de la restauration, mais le concept des camions de cuisine de rue fonctionnait bien au vu de la situation », indique Gaëlle Cerf.
La montée du télétravail et la désertion des espaces de bureaux par les travailleurs a tout de même fini par vider les rues de ces potentiels clients, reconnaît-elle. « Dans tous les arrondissements, les gens sont moins au boulot, donc n’utilisent plus autant ce genre de service durant l’heure du lunch. Tant que les travailleurs ne reviendront pas au boulot, c’est sûr que ça va rester difficile. »
Malgré cette situation, l’industrie de la cuisine de rue se porte assez bien, rassure Gaëlle Cerf : « Les camions sont encore occupés pendant la période estivale. Mais maintenant, ils se sont tournés vers d’autres secteurs que la vente sur le domaine public. L’an passé, par exemple, on a dépassé les 600 demandes de prestation pour des événements à domicile ou corporatifs. »
Complications au menu
Mais malgré l’amour que portent les Montréalais à ces sympathiques restaurants sur roues, la bataille n’a jamais été facile pour l’ARRQ et ses membres, notamment au niveau des lieux d’installation et de l’accueil des arrondissements, plutôt tiède. « Pour l’industrie de la restauration, tout est compliqué. On devient peu à peu comme des restaurants normaux, avec beaucoup d’étapes à passer », laisse tomber Gaëlle Cerf. L’été dernier, Ensemble Montréal avait caractérisé de « rigide » la réglementation de la Ville concernant les camions de cuisine de rue. « On voulait s’assurer que le nombre d’arrondissements qui autorisent la cuisine de rue soit plus grand, explique la restauratrice. On est essentiellement limités à Rosemont, Hochelaga-Maisonneuve, Ville-Marie et Ahuntsic. Mais il y a des endroits dans l’est, qui sont notamment des déserts alimentaires, où ça serait très intéressant de mettre des food trucks. »
Dans son mandat, l’ARRQ s’occupe du calendrier municipal, c’est-à-dire de prévoir le déplacement des camions-restaurants dans les différents secteurs de la ville, en plus de vérifier leur conformité selon les règlements en vigueur. « Actuellement, le règlement municipal n’autorise pas à un camion d’aller se placer dans un parc de son choix pour servir à manger. Il faut que ça soit planifié, ou bien qu’on ait des dérogations, des ordonnances, et que ça passe au conseil d’arrondissement pour qu’on soit capable d’avoir même un petit vélo qui vend du café », explique Gaëlle Cerf.
Cette dernière nuance toutefois en précisant ne pas souhaiter que « n’importe qui puisse s’installer n’importe où », étant plutôt en faveur d’une certaine structure d’implantation. « Je pense à des food trucks de méga bannières qui s’implantent partout et qui prennent la place de petits commerces indépendants. On n’a jamais voulu ça. On préfère prendre notre temps et faire avancer les choses comme il faut. »
Des rendez-vous pour faire rayonner la cuisine de rue
Selon Mme Cerf, la création d’événements est une solution intéressante pour rendre les camions de cuisine de rue plus visibles. Mais là encore, des obstacles se présentent. « On doit avoir la participation de la Ville et des arrondissements, rappelle-t-elle. Il faut une volonté politique et un investissement en temps et en argent. C’est une belle occasion de planifier des rendez-vous à vocation culturelle et artistique, en plus d’ajouter de la cuisine de rue là-dedans. Mais encore là, quand on veut créer un événement ou un festival sur le domaine public, on n’arrive pas à avoir les permis qui nous autoriseraient, par exemple, à simplement installer dans un parc quelques chefs et leurs camions-restaurants, pour un pop-up [point de vente éphémère]. »
Gaëlle Cerf est convaincue qu’une croissance de la culture du marché mobile, déjà répandue en Europe, pourrait réellement devenir un avantage pour Montréal. « Je crois que ça fait partie de l’ADN d’une ville d’avoir une restauration qui soit vibrante et en forme, et que l’on puisse la voir dans les rues. La vie de quartier, ça passe aussi par la gastronomie. »
Avec l’OBNL Les Survenants, qu’elle a cofondé en 2017, la restauratrice a notamment déposé un mémoire sur les marchés de rue multifacettes, il y a quelques mois. De cette initiative pourrait potentiellement découler le déploiement d’un projet-pilote au square Viger, nous apprend Gaëlle Cerf.
En attendant, l’ancienne propriétaire du Grumman’78 se concentre sur un tout nouveau projet. « Avec Les Survenants, on installe un nouvel espace dans le pavillon Jacques-Cartier. On ouvre un restaurant-terrasse. Et en arrière, on fera notre marché mobile, où se trouveront les kiosques des restaurateurs. Ils seront invités à y créer de la cuisine de rue selon certaines thématiques. Comme on ne peut pas le faire sur le domaine public, on a dû trouver notre propre mode opératoire! »
Entre-temps, plus de 40 camions-restaurants et marchands de nourriture attendront les visiteurs lors de la 12e édition des Premiers Vendredis, qui débutera le 7 juin prochain au Stade olympique. Et voici quelques emplacements (les dates seront déterminées prochainement) où profiter des camions de rue dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie cet été :
– Parc du Père-Marquette
– Parc Lafond
– Parc du Pélican