LA FOLLE AVENTURE D’ANGUS : VAINCRE L’ADVERSITÉ AU PROFIT DE LA COMMUNAUTÉ

Après le succès relativement considérable du premier tome de l’ex-journaliste et homme politique Gaétan Nadeau intitulé « Angus – Du grand capital à l’économie sociale – 1904-1992 », portant bien sûr sur l’histoire du territoire occupé par le Canadien Pacific dans le quartier Rosemont (plus de 1 000 copies vendues, ce qui est plutôt rare pour ce genre d’ouvrage), l’auteur nous revient cette fois avec le récit captivant de l’épopée de la Société de développement Angus, qui développera jusqu’à aujourd’hui, et avec brio, une partie des anciens terrains du CP, créant du même coup une entreprise d’économie sociale puissante et unique en son genre. « J’ai intitulé le deuxième tome Un roman social et économique, et je tenais au terme roman, car c’est vraiment une aventure de gens qui sont aux prises avec des difficultés quasi continuelles. Les capacités de composer avec l’adversité du président et fondateur, Christian Yaccarini, et du conseil d’administration de la SDA sont vraiment exceptionnelles. Là où beaucoup auraient abandonné, eux ont persévéré pour faire aujourd’hui de la SDA un levier de développement économique et social extraordinaire pour le développement de territoires au service de la communauté », affirme Gaétan Nadeau.

Et l’adversité, les écueils perpétuels qu’a dû surmonter la SDA depuis sa création au début des années 1990, c’est ce qui étonne effectivement le plus à la lecture de ce récit, où s’entrecroisent une impressionnante quantité de faits historiques documentés, de jeux de coulisses politiques confirmés par le témoignage de nombreux acteurs, et surtout une savante analyse de Gaétan Nadeau, qui s’est toujours intéressé au développement de la SDA depuis sa création, restant également un proche de Christian Yaccarini, qu’il a connu dans les années 1980. Un travail de recherche considérable et une rigueur de thèse universitaire donnent du crédit à ce bouquin qui, malgré une mécanique parfois un peu ardue, se laisse effectivement lire comme un roman. « Je m’identifie un peu comme un biographe industriel. Pour Angus, au quotidien, je disais toujours à Christian, tu m’appelles quand vous faites des interventions ou des annonces publiques. J’y vais, je regarde ce qui se passe, j’enregistre tout cela. Alors quand est venu le temps de rédiger le tome 2, ce n’était pas trop compliqué de retrouver mes sources », explique l’auteur, qui avoue avoir tout de même travaillé sur une base régulière pendant deux ans avant de pondre le bouquin, publié en octobre dernier par le Groupe Fides.

L’auteur Gaétan Nadeau (photo courtoisie).

Deux tomes, deux histoires exceptionnelles

Pourquoi le territoire d’Angus mérite-t-il qu’on s’y attarde avec autant d’attention? Parce que dans un premier temps, l’immense terrain du CP a eu un impact majeur sur le développement de Rosemont, de l’est de Montréal et dans la grande histoire de Montréal. « Les Shops Angus, c’était la plus grosse entreprise en Amérique du Nord quant au nombre d’employés (jusqu’à 12 000 pendant la guerre) et en termes d’importance stratégique, car toute la production de matériel ferroviaire nécessaire pour développer le Canada partait de là. C’était aussi une porte d’entrée importante pour la population francophone vers la modernité qu’apportaient les immigrants investisseurs et travailleurs anglais, écossais, irlandais, que l’on retrouvait en grand nombre aux ateliers Angus. Il y avait en quelque sorte une certaine contamination idéologique, aussi apportée par les syndicats internationaux américains, qui changeait la donne quant à la vision des travailleurs canadiens français face à l’église et à l’état », explique Gaétan Nadeau. Toujours selon l’auteur, le fait que le territoire du CP était énorme à l’époque, soit de Notre-Dame à Saint-Joseph et de Bourbonnière à Moreau, son développement a donc au fil du temps inévitablement transformé la trame urbaine de l’est de Montréal, et celle du quartier Rosemont en particulier, qui est d’ailleurs né du projet initial d’Angus.

« Ensuite, ce qui méritait certainement un 2e volet à l’histoire de ce territoire, c’est sans contredit l’aventure de la Société de développement Angus. Ce qui m’intéressait particulièrement, c’est d’analyser comment la parcelle de la SDA que l’on connaît aujourd’hui est passée d’un vestige d’une grande multinationale, le plus grand capital canadien de l’époque, à une entreprise d’économie sociale », soutient M. Nadeau. Selon lui, l’aspect le plus important du livre réside dans la démonstration que le nouveau modèle créé par la SDA génère des bénéfices considérables pour la communauté en termes de développement du territoire, de distribution des richesses, de lutte aux inégalités et de bilan environnemental, comparé aux promoteurs privés traditionnels. « J’espère que les gens vont voir à la lecture du livre que la puissance de l’immobilier peut rapporter vraiment beaucoup en termes de production de richesse et que s’il y avait plusieurs SDA au Québec, sur une période de 10 ou 20 ans, les profits collectifs seraient incroyables. Il y a certainement de quoi là qui vaut la peine d’être examiné », exprime-t-il.

Franchir les obstacles, un à un

Si aux yeux du profane, la SDA semble être une entreprise d’économie sociale en santé qui accumule les succès, avec ses projets aujourd’hui bien connus et appréciés que sont entre autres le Technopôle Angus, le 2-22 et le Carré Saint-Laurent, pour ne nommer que ceux-ci, le parcours de la SDA a été dans les faits jusqu’ici parsemé d’embuches de toutes sortes, que nous fait découvrir de manière fascinante le travail de Gaétan Nadeau.

Du financement et des effectifs faméliques lors des premiers balbutiements de l’organisme, on retiendra rapidement de l’aventure de la SDA toute l’importance et l’ingéniosité de son promoteur et actuel pdg, Christian Yaccarini. Sans lui, son énergie et sa vision particulière du développement territorial, il n’y aurait pas de quartier Angus comme on le connaît aujourd’hui, et encore moins de SDA. Le succès de l’entreprise est en très grande partie redevable à son exceptionnel talent de négociateur, qui est à l’origine du recrutement d’un des plus impressionnants conseil d’administration au Québec pour un OBNL, et à sa maîtrise, toute aussi exceptionnelle, des rouages et jeux d’influence politiques.

C’est ainsi que l’on verra, tout au long de la lecture de l’ouvrage de Gaétan Nadeau, que ce n’est que récemment que l’OBNL peut enfin se projeter réellement dans l’avenir avec une certaine sérénité, la SDA pouvant aujourd’hui compter sur une capitalisation impressionnante évaluée à quelque 150 M $. C’est que depuis les débuts de l’aventure, la SDA aura frôlé la catastrophe financière à plusieurs reprises, pour différentes raisons, souvent hors du contrôle du c.a. La construction et la rentabilité du Technopôle a causé bien des maux de tête, mais ce n’est presque rien comparativement à la rocambolesque histoire, relativement récente, du Carré Saint-Laurent… laissons ici le plaisir aux lecteurs de découvrir ces intrigues qui confirment que la réalité dépasse quelquefois la fiction!

« L’instinct a certainement bien servi Yaccarini jusqu’à maintenant pour le développement de projets sur différents territoires, mais je crois que la SDA devra se pencher maintenant sur un certain cahier des charges pour l’avenir afin de définir quelque peu les recettes de son modèle ou de ses modèles d’affaires, car son pdg ne sera pas là pour toujours. Un des plus grands défis de la SDA pour les prochaines années est donc de trouver une relève à Christian Yaccarini, ce qui ne sera pas facile. Mais ce qui me semble sûr, c’est qu’ils vont se donner les moyens pour aller chercher la perle rare », avance Gaétan Nadeau.


Angus tome 1 – Du grand capital à l’économie sociale – 1904 – 1992 et Angus tome 2 – Un roman social et économique – 1992-2020, sont disponibles partout au Québec, notamment à la librairie rosemontoise Paulines, rue Masson. Pour commander en ligne cliquez ici.