Diane Beaudet et Pierre Mc Nicoll, commissaires scolaires à la CSDM. (Photo : EMM).

FIN DES COMMISSIONS SCOLAIRES : « L’ARGUMENT ÉCONOMIQUE NE TIENT PAS LA ROUTE »

Les commissaires scolaires de la CSDM Diane Beaudet (Hochelaga-Maisonneuve) et Pierre Mc Nicoll (Mercier) ne dérougissent pas face au projet de loi 40 présenté par le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur le 1er octobre dernier annonçant l’abolition prochaine des commissions scolaires, une promesse phare du programme électoral de la CAQ. Rappelons que le gouvernement québécois veut ainsi remplacer les commissions scolaires par des « centres de services » où les élus scolaires n’auront notamment plus leur place.

Rencontrés la semaine dernière, les deux commissaires ont déclaré à Est Média Montréal que l’argument principal du ministre quant à une économie de 11 M $ par année, tirée principalement de l’arrêt de la rémunération des administrateurs élus des commissions scolaires, ne tiendrait pas la route, et ce pour plusieurs raisons évidentes disent-il. « C’est dans un premier temps une goutte d’eau dans un budget qui dépasse les 24 milliards de dollars par année à l’échelle de la province. Ensuite, c’est pratiquement impossible de pelleter le travail des administrateurs actuels dans la cour de bénévoles sans penser embaucher des fonctionnaires supplémentaires dans un proche avenir, imaginez pour des grandes commissions scolaires comme la CSDM, ça n’a juste pas de sens, on se demandera bien où seront passées les économies du ministre dans deux ou trois ans, c’est clair », affirme Diane Beaudet, vice-présidente au comité exécutif de la Commission scolaire de Montréal. Cette dernière se dit consternée par la proposition du ministre qui annonce que « ce seront des parents bénévoles qui vont maintenant gérer le budget de plus d’un milliard de dollars de la CSDM, ses 200 écoles et 14 000 employés. Même avec toute la meilleure volonté du monde, c’est irréaliste », dit-elle.

Pierre Mc Nicoll, nouveau commissaire de la circonscription de Mercier depuis à peine un mois, ajoute que ne serait-ce que de mettre aux normes les identités graphiques des écoles et des prochains centres de services, « avec l’affichage extérieur, la papeterie, les sites Web, l’habillage des flottes de véhicules, et tout le tralala, dans l’ensemble du Québec, cela va coûter en partant vraiment très cher, probablement plusieurs millions de dollars. Donc c’est ridicule d’avancer des chiffres comme 11 M $ par année d’économie, c’est un argument bidon, faible, et qui ne tient pas la route », dit-il.

Le commissaire scolaire : une ressource essentielle?

Pour un parent au Québec, il est certainement déjà difficile de comprendre l’ensemble du système de gouvernance qui entoure l’école primaire ou secondaire de son enfant. Pour maîtriser le fonctionnement de la « machine », il faut s’y intéresser de près. Pour ceux qui n’ont pas d’enfant, la gouvernance scolaire est probablement un schéma aussi clair que la théorie de la relativité. Cela explique peut-être en partie le faible taux de participation (et d’intérêt du public) aux élections scolaires qui n’a même pas dépassé les 5 % en 2014 tant pour l’ensemble du Québec que dans le Montréal francophone, fait qui donne des armes aux détracteurs du système de commissions scolaires.

« Il faut dire que le gouvernement du Québec n’a rien fait depuis de nombreuses années pour stimuler l’intérêt des citoyens envers la gouvernance scolaire, je dirais même qu’il a tout fait pour que les élections scolaires ne suscitent aucun enthousiasme. Par contre, il est clair pour moi que lorsque les gens connaissent bien le rôle des commissaires scolaires, des administrateurs élus, eh bien ils se rendent compte de l’importance que nous avons pour les parents, pour les enfants et pour le bon fonctionnement de notre système scolaire. Le vrai problème, c’est justement que le rôle des commissaires n’est pas connu, ni valorisé, surtout par le gouvernement actuel qui nous traîne littéralement dans la boue en ce moment afin de justifier son projet de loi », clame avec vigueur Mme Beaudet.

Quel est le rôle, justement, d’un commissaire scolaire? « C’est avant tout le principal lien entre les parents et les directions d’écoles. Quand quelque chose ne va pas, quand le parent ne sait plus quoi faire ou à qui s’adresser, il se tourne vers le commissaire scolaire. Notre rôle, c’est de voir à ce que ces situations se règlent, nous agissons, on pourrait dire, à la fois à titre de conseiller et d’ombudsman, et nous sommes redevables aux citoyens, ce que ne sont pas nécessairement les fonctionnaires », explique Pierre Mc Nicoll. La commissaire d’Hochelaga-Maisonneuve, bien connue pour son leadership dans le délicat dossier des écoles de la rue Adam (voir le texte https://estmediamontreal.com/baril-prix-architecture-hochelaga-maisonneuve/) affirme recevoir « au moins un message par jour par texto ou par courriel de la part d’un parent qui a besoin d’aide. »

La question que se posent alors les deux commissaires est : qui va aider ces parents lorsqu’il n’y aura plus de commissaires scolaires? « Quand un parent voudra parler à quelqu’un d’autre que la direction d’école de son enfant, pour toutes sortes de raisons, vers qui va-t-il s’adresser? Il va se présenter aux réunions du nouveau conseil d’administration de l’école, organisées genre deux fois par année? Aux conseillers municipaux? Aux députés provinciaux, fédéraux? C’est là que les gens, surtout les parents les plus démunis, vont voir à quel point le rôle du commissaire scolaire était important. C’est ça surtout qu’il faut que les gens comprennent dans ce projet de loi, les parents n’ont rien à gagner dans cette proposition et ça ne fera pas faire d’économies à l’état. Ça va juste donner plus de pouvoir au ministre, c’est ça le véritable objectif derrière tout cela », soutient Diane Beaudet.

La question du « salaire » d’un commissaire

Les nombreux commentaires que suscitent le débat du projet de loi 40 sur les réseaux sociaux sont particulièrement polarisés et plusieurs abordent la fameuse rémunération accordée aux commissaires scolaires. Mais qu’en est-il exactement? À la CSDM, un commissaire régulier recevait l’an dernier moins de 15 000 $ annuellement. Les commissaires membres du comité exécutif, même avec la fonction de vice-président, comme Mme Beaudet, ne gagnaient même pas 40 000 $ par année.

Pour Pierre Mc Nicoll, avocat au quotidien, le rôle de commissaire lui demanderait environ une dizaine d’heures par semaine, et il ne compte pas la lecture de nombreux dossiers. « Mes heures de diner sont souvent consacrées à régler des dossiers, et je dois passer plusieurs soirées et parfois des journées de week-end consacrées à mes fonctions de commissaire. Si je le fais, c’est par désir de m’impliquer dans ma communauté, par désir d’aider. Si c’était pour la paye, je ne le ferais pas et j’ai le sentiment que c’est pareil pour la très grande majorité des commissaires. Si tu comptes les heures, tu réalises vite que ce n’est pas très payant », affirme-t-il. Avant d’occuper son nouveau siège de commissaire, M. Mc Nicoll était bénévole depuis 2015 au sein du Conseil d’établissement de l’école Armand-Lavergne où il a d’ailleurs assumé la fonction de président ces deux dernières années.

Quant à Diane Beaudet, elle avoue mettre beaucoup plus de temps qu’un poste régulier de 35 heures par semaine au sein de la CSDM, et son rôle de vice-présidente du comité exécutif, cumulé à celui de commissaire, serait beaucoup mieux rémunéré dans une fonction similaire tant du côté du secteur privé que du secteur public traditionnel. « C’est plus une vocation dans mon cas, car le salaire, ce n’est pas grand-chose pour la fonction que j’occupe et le temps que j’y consacre. Donc quand j’entends que les commissaires scolaires sont payés à ne rien faire, en tout cas pour ceux que je connais, ce n’est vraiment pas le cas. Avec tout le travail qui est fait par les commissaires, le ministre devrait se rendre compte que ça, c’est une réelle économie pour l’état », dit-elle.

La proposition des « centres de services »

Selon le projet de loi 40, le gouvernement propose de remplacer les commissions scolaires par des centres de services. Le grand changement de cette réforme est en fait la disparition des élus scolaires à la gouvernance des regroupements administratifs régionaux que sont les commissions scolaires.

Les centres de services projetés seraient dorénavant chapeautés par un conseil d’administration composés de huit parents, quatre membres de la communauté et quatre membres du personnel scolaire. Ces personnes occuperaient leurs sièges à titre d’administrateurs bénévoles mais un cachet leur serait versé pour leur participation aux différentes réunions.

Le projet de loi prévoit également plus d’autonomie pour les écoles qui pourront décider localement de plusieurs aspects de leur fonctionnement sans avoir l’aval préalable de leur centre de services. Toutefois le gouvernement se réserve une grande marge de manœuvre pour intervenir dorénavant dans à peu près toutes les sphères de réglementation des centres de services selon son bon vouloir, augmentant ainsi considérablement ses pouvoirs. Une situation décriée actuellement par nombre de syndicats, dont la Fédération autonome de l’enseignement.

Un débat qui reste à faire

Pour Diane Beaudet, le projet de loi 40 s’avère tout de même une belle occasion de débattre sur un modèle amélioré de gouvernance scolaire au Québec, quoique la formule proposée par le gouvernement Legault ne serait pas la voie à suivre. « Les administrateurs scolaires partout au Québec, j’en suis convaincue, ne croient pas au statut quo et c’est vrai qu’il y a des choses à améliorer dans la gestion de nos institutions. Mais ce n’est pas en récupérant tous les pouvoirs unilatéralement que le gouvernement va améliorer la situation. J’espère que la commission parlementaire qui s’en vient permettra d’apporter une autre vision et d’autres solutions que celle proposée par Québec, et que le public s’intéressera plus à ce dossier, car la clef elle est là, il faut mieux faire connaître le rôle des élus et des commissions scolaires. Après le public jugera, nous pourrons mieux débattre », affirme la commissaire.

Mme Beaudet nous dira à maintes reprises lors de l’entrevue que ce qu’elle trouve le plus triste dans le projet de loi proposé c’est le peu de références faites en rapport avec l’enfant. « Où est-ce que l’on parle du bien-être de l’enfant dans cette réforme? Jamais le ministre n’en fait mention dans tout ce débat, et ça c’est dommage, car c’est l’enfant qui devrait être au cœur des changements proposés. Je ne crois pas que le projet de loi avantage l’enfant de quelque manière que ce soit, et c’est ce qui me préoccupe le plus », avance-t-elle.