
(Emmanuel Delacour/EMM)
17 janvier 2025FERMETURE DU MANOIR LOUISIANE : DES MANIFESTANTS DÉNONCENT LA SITUATION
D’anciens locataires de la résidence privée pour aînés (RPA) le Manoir Louisiane, appuyés de plusieurs groupes communautaires, ont dénoncé la fermeture « violente » de celle-ci, en plus de pointer du doigt des pratiques de son administration qu’ils qualifient de négligentes.
La fermeture officielle de cet établissement situé au 3600, Sherbrooke Est, dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve (MHM), était prévue pour le 2 juillet 2025. Toutefois, il n’y aurait déjà plus de résidents dans l’édifice, les derniers ayant été évincés cette semaine.
Ils étaient nombreux rassemblés en face de la bâtisse jeudi matin, avec pour objectif de mettre cette histoire en lumière. C’est à la suite de pratiques douteuses, incluant des pressions et du harcèlement, que les 70 locataires âgés de plus de 65 ans, qui étaient encore hébergés au Manoir en octobre dernier, ont été poussés vers la porte, selon les manifestants présents.
« Les personnes les plus vulnérables de notre communauté ont été harcelées, forcées de quitter leur logement et coupées de leurs services essentiels. Plusieurs d’entre eux ont été plongés dans une détresse psychologique, sans parler des difficultés financières qu’elles rencontrent après avoir été relogées dans des endroits plus couteux et éloignés », fustige Valérie Campanelli, coordonnatrice du projet « Un toit pour tous-tes » de la Table de quartier Hochelaga-Maisonneuve (LTQHM).
Un « laisser-faire » des autorités publiques
Cette dernière affirme que la propriétaire des lieux a procédé ainsi parce que les administrations publiques, notamment le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal et l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, n’ont pas agi pour empêcher les abus auprès des résidents et des travailleurs de la RPA.
Ce sont les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux qui ont la responsabilité de certifier les activités de RPA, tandis que les administrations municipales peuvent intervenir au sujet des normes des bâtiments. Or, le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, « s’est contenté de reloger les résidents, sans défendre leurs droits ni offrir un accompagnement suffisant », se sont indignés les manifestants. Ceux-ci dénoncent aussi le manque de collaboration avec les groupes communautaires locaux pour soutenir les locataires.

Plusieurs dizaines de manifestants étaient présents jeudi matin devant le Manoir Louisiane (Emmanuel Delacour/EMM)
À ce propos, le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a rétorqué que « l’information rapportée est inexacte ».
« La RPA n’a pas respecté la réglementation en vigueur dans le cadre de la cessation des activités », a-t-on affirmé d’emblée dans un courriel. Le CIUSSS aurait alors signifié à l’administration qu’elle n’agissait pas en conformité avec ses obligations. « Notre priorité est toutefois demeurée de nous assurer que ces personnes vulnérables puissent avoir accès à un logis sécuritaire », a poursuivi le CIUSSS.
L’organisation a souligné que la majorité des résidents étaient déjà suivis pour des soins à domicile et continuaient de l’être dans leur nouveau logis. « Nous étions présents le jour de l’annonce de la fermeture, et les résidents qui le souhaitaient ont reçu du soutien psychosocial dès ce moment. » Des évaluations et une prise en charge par les intervenants du CIUSSS pour rediriger les locataires vers de l’hébergement public ont été effectuées, a-t-on insisté.
Le droit de demeurer sur place une fois la RPA fermée aurait été communiqué plusieurs fois aux résidents. « Tous les résidents ont été accompagnés et personne n’a été laissé pour compte », a conclu le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal dans son courriel.
Pour sa part, l’arrondissement de MHM semble avoir manqué à son devoir en ne faisant pas appliquer le règlement sur la salubrité et la sécurité des logements de Montréal à cet endroit. En effet, une infestation de punaises de lit, qui a perduré depuis 2022, ainsi qu’un manque de conformité en matière de normes de sécurité incendie, n’ont jamais été résolus par la propriétaire, malgré plusieurs alertes lancées aux instances publiques. De plus, en refusant d’utiliser son droit de préemption pour acquérir le bâtiment, elle a abandonné l’opportunité de préserver cet espace en tant que ressource essentielle pour le quartier, ont soutenu les manifestants.
Contactée à ce propos, l’administration de MHM a renvoyé la balle aux services de communication de la Ville de Montréal, chargée de faire appliquer les règlements concernés, a-t-on rappelé. Toutefois, on a indiqué que, puisque l’édifice a un statut de « Maison de chambre », la réglementation de l’arrondissement ne permet pas sa conversion en un autre type d’édifice résidentiel. De son côté, la Ville s’est dite, dans un courriel, « sensible aux conséquences vécues par les personnes évincées de la RPA Manoir Louisiane ».
« Toutefois, le règlement 03-096 de la Ville de Montréal (Règlement sur la salubrité et l’entretien des logements) ne s’applique pas aux RPA, car cette responsabilité appartient au gouvernement du Québec et est régie par la législation provinciale pour les établissements de santé et de services sociaux », a-t-on précisé à la Ville.
Les manifestants ont réclamé jeudi que la propriétaire du Manoir Louisiane soit sanctionnée « pour harcèlement et négligence, avec des conséquences légales et financières ». Ils ont aussi souhaité qu’on transforme l’immeuble en logement social ou RPA publique, que les lois sur les RPA soient réformées afin de mieux faire valoir les droits des résidents et que les institutions publiques mettent en place des mécanismes de protection efficaces.
Des conditions déplorables
Comme mentionné précédemment, les résidents du Manoir Louisiane ont affirmé avoir connu un véritable calvaire durant leur séjour dans l’établissement.
« Ici, ç’a été l’enfer pour moi. Maltraitance : je me suis fait traiter de vieille chienne, de salope, de tous les mots. On ne prend pas soin de toi et on te pousse à partir », a raconté en larmes Pierrette Cyr, une ancienne résidente du Manoir Louisiane. Cette dernière a soutenu qu’aucun médecin n’était présent sur place ni de service de sécurité. En outre, l’ascenseur était souvent en panne, aucune activité n’était organisée pour divertir les locataires et les repas fournis laissaient à désirer. « Ce qu’on nous servait à manger, je ne l’aurais pas donné à un chien », se désole Mme Cyr.
Bien que plusieurs résidents aient été poussés à quitter dans les derniers mois par l’administration de la RPA, la plupart se sont résignés à chercher un autre logis durant les deux années précédentes en raison d’une infestation « extrême » de punaises de lits, s’indigne Annie Lapalme, organisatrice communautaire chez Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve
La résidence, qui avait une capacité maximale de 120 personnes, a accumulé les manquements en matière de santé et de sécurité des résidents et des employés.
En 2011, un article de La Presse rapportait que l’établissement, alors la propriété de la société Cogir, accumulait 24 éléments de non-conformité au Code du bâtiment, notamment en raison de l’absence de coupe-feu, d’installation de détecteurs de fumée et de problèmes avec certaines cloisons. Un avis du Tribunal administratif du logement avait d’ailleurs été envoyé à l’administration du Manoir Louisiane, mais malgré cette mise en garde, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal lui permettait de continuer à opérer.
Selon le Registre d’évaluation foncière de la Ville de Montréal, c’est Rosario Renzo qui est ensuite devenue propriétaire des lieux en 2017. Cette dernière a collectionné des rapports en infraction de toute sorte au fil des années. En outre, l’ancienne Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail ont produit au moins 6 rapports d’intervention au sujet de l’infestation de punaises de lits qui n’a jamais été résolue, aux dires des anciens résidents présents jeudi matin.
Contactée par EST MÉDIA Montréal, Mme Renzo n’a pas répondu à notre demande d’entrevue. Selon des documents publics du ministère de la Santé et des Services sociaux, celle-ci est aussi propriétaire de deux autres RPA, soit le Manoir Fleury, dans Ahuntsic-Cartierville, et la Résidence Marie-Laure, dans la municipalité de Bois-des-Filion, dans les Laurentides.