Le 5100 Sherbrooke Est, une propriété de Cominar (photo courtoisie).

ESPACES À BUREAUX : L’EST SEMBLE TOUJOURS ATTRACTIF, MAIS LE MARCHÉ RALENTIT

Si la COVID-19 a complètement changé la donne dans les milieux de travail « de bureau », alors que le télétravail est depuis deux ans non seulement imposé, mais déjà devenu une norme pour un grand nombre d’employeurs, qu’advient-il du marché locatif d’espaces à bureaux dans l’est de Montréal? EST MÉDIA Montréal s’est entretenu la semaine dernière avec trois expertes dans ce domaine, question d’en savoir davantage sur la situation actuelle.

Le marché des espaces à bureaux évolue à vitesse grand V depuis la pandémie, alors que la COVID-19 est venue bouleverser le quotidien des employeurs et des employés comme jamais auparavant. À tel point que la plupart des experts s’entendent pour dire que le travail de bureau ne sera jamais plus comme avant, et que la norme pour les prochaines années, voire les prochaines décennies, sera la formule hybride télétravail-bureau. Ainsi, on présume que les entreprises auront besoin dans l’avenir de moins de pieds carrés pour effectuer leurs opérations. On entend par ailleurs selon plusieurs sources que la situation est très préoccupante dans le centre-ville de Montréal. Mais est-ce vraiment le cas? Selon France-Élaine Duranceau, courtier immobilier pour l’agence Cushman & Wakefield, des nuances sont à faire à ce sujet. « Avant la pandémie, le taux de vacance dans le centre-ville était environ de 8 à 10 %, alors qu’en ce moment on parlerait d’environ 15 %. Donc ce n’est pas la catastrophe annoncée, mais on s’attend tout de même à ce que ce taux augmente encore un peu dans les prochaines années compte tenu de la nouvelle réalité des locataires », affirme-t-elle.

France-Élaine Duranceau, de l’agence Cushman & Wakefield (photo courtoisie).

Et comment se traduit au juste cette « nouvelle réalité » des entreprises? Par des changements considérables en termes de besoins et d’aménagements des espaces à bureaux, soutiennent de concert les trois expertes sondées. Pour Marilou Hudon-Huot, vice-présidente, location commerciale et développement résidentiel à la Société de développement Angus, une des tendances fortes qui attirerait en ce moment plusieurs entreprises serait l’intégration dans un milieu de vie plus près de « la vie de quartier » que du centre-ville ou des grands centres d’affaires traditionnels, des endroits à la fois animés par une offre commerciale aux alentours mais aussi à proximité d’espaces verts. Observation partagée par Mme Duranceau de Cushman & Wakefield : « Ce que j’ai vu particulièrement dans l’est de Montréal, c’est une hausse de la demande pour les entrepreneurs qui désirent se rapprocher de leur milieu de vie, ou de celui de leurs employés. Les quartiers centraux comme Rosemont ou Hochelaga-Maisonneuve, en ce sens, ont la cote actuellement. »

Mais le plus grand changement dans le marché locatif d’espaces à bureaux, depuis la COVID-19, est sans équivoque le réaménagement des superficies en fonction des nouveaux besoins des employeurs. « Avant la pandémie, la norme dans le marché était, grosso modo, 25 % d’espaces collaboratifs comme des salles de réunion, cuisines, etc., et 75 % d’espaces de bureaux individuels. Aujourd’hui, c’est complètement l’inverse, et c’est là le gros changement apporté par la COVID », explique Mme Duranceau. Ainsi, beaucoup d’entreprises chercheraient à augmenter leurs espaces communs, et réduire considérablement les pi2 consacrés aux bureaux individuels, quand ce n’est pas les éliminer complètement. C’est le cas de l’agence lg2, qui en début de pandémie entamait la construction de son nouveau siège social de 40 000 pi2 dans le secteur Angus, dans le quartier Rosemont. « Ils ont carrément déchiré les plans et recommencé à neuf. Tout est aujourd’hui en mode collaboratif, en espaces communs, et il n’y a aucun bureau fermé. Même la haute direction ne dispose pas de bureaux attitrés. En ce moment, lg2 est en quelque sorte le précurseur des aménagements de bureau post-COVID. Ça vaut vraiment la peine d’être vu », soutient Marilou Hudon-Huot. Par ailleurs, soulignons que la Société de développement Angus a aussi profité des premiers mois de confinement pour revoir complètement l’aménagement de ses espaces, optant pour l’agrandissement des espaces communs et la réduction des pi2 consacrés aux bureaux individuels.

Marilou Hudon-Huot, de la Société de développement Angus (photo : Guillaume Simoneau).

Des incitatifs, mais pas moins cher

Dans ce marché en mouvance, on pourrait aisément croire que les locataires ont actuellement « le gros bout du bâton », mais pas nécessairement soutiennent à l’unisson les trois spécialistes. « Afin de maintenir la valeur des immeubles, les propriétaires ont généralement opté pour le maintien des tarifs prépandémiques. Ils sont toutefois plus enclins à offrir davantage d’incitatifs à la location tels que des mois gratuits, du stationnement additionnel, ou des montants plus élevés en allocation afin de contrebalancer la rigidité des taux », avance Julie Godbout, directrice de location, bureaux de la région de Montréal, chez Cominar. Selon cette dernière, le prix du pi2 dans l’est de Montréal serait aujourd’hui de 13,96 $, pour un loyer de base dans des édifices de classe A, évaluation fournie par Colliers international.

Si les propriétaires d’immeubles semblent plus conciliants, c’est aussi à cause de l’explosion de la sous-location engendrée par la COVID-19, qui fait mal au marché en ce moment. « Les espaces en sous-location sont souvent des lieux prêts à être utilisés et qui demandent un minimum ou pas de travaux du tout. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de la hausse du prix des matériaux de construction, les locataires sont pour la plupart, en ce moment, plutôt réticents à entreprendre des travaux d’aménagement. Cette situation met de la pression sur les propriétaires pour qu’ils rénovent et réaménagent leurs locaux vacants en fonction des nouveaux besoins exprimés par les locataires », soutient France-Élaine Duranceau. Celle-ci est par ailleurs convaincue que les propriétaires qui s’en sortiront le mieux dans les prochaines années sont ceux qui offriront des espaces prêts à l’emploi. « Et les immeubles plus vieux, je pense que plusieurs seront appelés à être rénovés et convertis en usage mixte. Par exemple des commerces au rez-de-chaussée, et des bureaux et du résidentiel aux étages », ajoute-t-elle.

Les espaces de travail partagés auraient également le vent dans les voiles, un engouement qui ne cesse de croître depuis quelques années. « Beaucoup de petites entreprises cherchent maintenant des bureaux privés, mais avec des espaces communs partagés avec d’autres locataires, comme la cuisine, une salle de conférence, la réception, etc. C’est une grande tendance en ce moment et qui devrait se maintenir dans les prochaines années », soutient Mme Duranceau. Du côté de la SDA, Marilou Hudon-Huot affirme que le propriétaire immobilier projette d’offrir dans un avenir rapproché un espace en coworking. « Les petits espaces partagés, avec des baux flexibles, c’est un produit qui est vraiment en demande et qui est appelé à grandir dans un segment de marché que nous n’occupons pas actuellement, mais qui nous intéresse pour compléter notre offre », dit-elle.

L’activité reprend

La demande pour les espaces à bureaux semble être revenue tranquillement dans l’est de Montréal. En fait, depuis le printemps 2021 précisent les trois expertes. « Nous avons noté une recrudescence des activités locatives au 2e trimestre, ce qui nous laissait entrevoir un retour progressif en présentiel dès le début de l’année 2022. La propagation des variants de la COVID-19 et le resserrement des mesures sanitaires ont toutefois ralenti cet engouement », indique Julie Godbout. Son de cloche partagé par les représentantes de Cushman & Wakefield et de la Société de développement Angus, qui ajoutent que les demandes sont particulièrement plus nombreuses dans les domaines de la santé, de la technologie, de la logistique et des services conseils. « De notre côté, la plupart des nouvelles demandes dans l’est de Montréal sont pour des locaux de 2 000 à 6 000 pi2, majoritairement pour des services professionnels tels que des cabinets de comptables, notaires ou avocats cherchant à consolider leurs opérations à un seul endroit », note Julie Godbout de Cominar.

Julie Godbout, de chez Cominar (photo courtoisie).

Par ailleurs, si la demande pour des espaces locatifs refait surface, les signatures de baux sont toutefois plus longues à se concrétiser. « Il est intéressant de noter qu’avant la pandémie, les négociations pour les renouvellements entre les locataires et les bailleurs s’entamaient environ 1 an avant la fin du terme, tandis qu’à présent, les discussions commencent 2 à 3 ans avant l’expiration du bail, ceci afin de profiter des conditions actuelles de marché qui sont avantageuses et dans certains cas remettre de l’espace avant terme », explique Mme Godbout. « Les demandes sont là, il y a beaucoup de négociations en ce moment, mais c’est en général effectivement pas mal plus long à finaliser qu’en temps normal. Mais les espaces vacants intéressants finissent par trouver preneur », ajoute France-Élaine Duranceau.

Finalement, à la question est-ce que le marché des espaces à bureaux dans l’est de Montréal est voué à un bel avenir, les expertes croient que oui, compte tenu de trois éléments clef : les milieux de vie ancrés dans les quartiers, la construction de grands projets immobiliers qui s’annoncent, et le développement de projets structurants de transport comme le prolongement du métro et le REM de l’est. Toutefois, Mme Godbout met un petit bémol à un engouement qui pourrait être ralenti par l’ampleur et la durée de ces grands travaux : « cela peut aussi apporter de l’instabilité dans le marché de l’est alors que les déplacements s’annoncent difficiles dans les prochaines années compte tenu des nombreux chantiers à proximité des pôles commerciaux. Toutefois, je crois que l’est de Montréal s’avérera un emplacement très prisé lorsque les travaux seront achevés. »