Parc Frédéric-Back (image : Ville de Montréal).

ÉNIGMATIQUE SAINT-MICHEL

Pour lancer notre série de dossiers spéciaux en 2020, le comité de rédaction d’EST MÉDIA Montréal a décidé de se pencher sur le secteur de Saint-Michel, un quartier que nous incluons dans notre couverture de l’Est de Montréal, mais dont l’appartenance à ce territoire est loin d’être ancrée pour plusieurs acteurs socioéconomiques du milieu. Saint-Michel fait-il partie de l’est, du centre, du nord de Montréal? Difficile à dire, chacun semble avoir sa perception. Chose certaine, les ténors du quartier, politiques, économiques et communautaires, se font plutôt discrets dans les débats actuels entourant le développement et la revitalisation de l’Est. En général, on entend également très peu parler de ce quartier, pourtant populeux, dans l’actualité montréalaise.

Qu’à cela ne tienne, cela nous a rendu encore plus curieux de découvrir ce microcosme particulier situé, grosso modo, entre Bélanger, Charland, Papineau et Pie-IX, que la ville scinde aujourd’hui en deux districts électoraux, soit au nord le district de Saint-Michel, et au sud le district de François-Perrault.

Aujourd’hui, coup d’œil sur l’histoire et la démographie de Saint-Michel.

Un village, une ville, un quartier

Ce sont les Sulpiciens qui, en quelque sorte, sont à l’origine du secteur Saint-Michel, alors qu’en 1699 ils créaient la côte du même nom. Cette route, qui sera pendant plus de deux siècles la principale voie de déplacement sur ce territoire, correspond aujourd’hui à l’actuelle rue Jarry. Les premiers résidents du secteur, qui sont évidemment en grande majorité des cultivateurs, vont rapidement construire (en 1707) la montée Saint-Michel, devenue aujourd’hui le boulevard Saint-Michel. L’intersection ainsi créée demeurera le point d’ancrage du développement économique et communautaire de la région pendant plus de 200 ans, le cœur du village.

Le développement de cette bourgade essentiellement agricole se fera lentement, mais sûrement, tout au long des 18e, 19e et même jusqu’à la première moitié du 20e siècle. Sa principale vocation sera donc longtemps de fournir de la nourriture aux résidents de Montréal, qui elle connaît une expansion démographique et territoriale continue, particulièrement à partir de la seconde moitié du 18e siècle.

Au début des années 1900, Saint-Michel n’est guère différente du petit noyau villageois du siècle précédent. Tout au plus une soixantaine de familles y habitent. Ce coin de l’île demeure une campagne aux paysages rustiques. Ce n’est qu’en 1912 que Saint-Michel, quoique plutôt bien organisé sur le plan communautaire, obtiendra le statut de « village », pour devenir officiellement une ville trois ans plus tard (1915), accélérant du même souffle son développement démographique.

Si la production agricole a toujours été l’activité économique dominante de Saint-Michel jusqu’au début du 20e siècle, l’exploitation de carrières de calcaire s’avérait, en parallèle, l’autre grande « business » qui caractérisait cette banlieue montréalaise depuis la seconde moitié du 18e siècle. Avec l’arrivée de l’ère industrielle, cette ressource naturelle très abondante sur le territoire propulsera d’ailleurs de grandes compagnies minières qui feront fortune en fournissant, notamment, les pierres de taille pour nombre d’édifices publics et privés de Montréal. L’essor fulgurant de Saint-Michel sera ainsi intimement lié aux deux immenses carrières qu’étaient Miron et Francon, qui ont en effet attiré un grand nombre d’employés à partir de l’époque d’après-guerre jusque dans les années 1970, employés qui se sont en majorité installés dans les environs. À noter que dans les années 1960, les deux grandes carrières occupent pas moins de 40 % du territoire michelois.

Vue aérienne de la carrière Miron. (Photo tirée du site de l’historien Stéphane Tessier, www.stephanetessier.ca).

L’autoroute métropolitaine (40), dont la construction débute en 1960, attirera aussi plusieurs industries en bordure des voies de circulation, de même que des milliers d’unités d’habitation. Malgré que cette infrastructure surélevée scinde dorénavant le quartier en deux, Saint-Michel se développe très rapidement à cette époque d’effervescence économique et industrielle passant de 6 000 à 68 000 habitants en moins de 20 ans.

Cette expansion démographique spectaculaire correspond également aux premières vagues d’immigrants sur ce territoire. Ce seront principalement des Italiens et Européens de l’Est qui s’y établiront, et suivront, selon les tensions mondiales, des immigrants venus principalement d’Haïti, d’Asie (beaucoup du Vietnam), de l’Amérique latine et plus récemment du Maghreb.

La Maison d’Haïti, située dans le quartier Saint-Michel. (Photo : Ville de Montréal).

Le « centre villageois » sera également morcelé considérablement avec la construction de l’autoroute 40. En fait, cette nouvelle infrastructure majeure amènera la ville de Saint-Michel à réaliser un nouveau secteur où seront concentrées les principales activités administratives et communautaires. Elle choisit le terrain du parc Octogonal, au sud de l’autoroute mais toujours aux abords du boulevard Saint-Michel, pour y installer graduellement l’hôtel de ville, la piscine municipale, l’école Joseph-François-Perrault et la bibliothèque de la ville.

En 1967, à la suite d’allégations de corruption et de malversation de l’administration municipale, notamment du maire de l’époque Maurice Bergeron, le gouvernement unioniste de Daniel Johnson décidera de mettre en tutelle la Ville de Saint-Michel. Cette dernière, à la suite d’une consultation populaire, sera annexée à Montréal l’année suivante. Le nouveau quartier de Saint-Michel comptera alors plus de 70 000 habitants, elle qui était avant l’annexion considérée comme la sixième ville la plus populeuse du Québec.

La multiplication des dynamitages et le début de l’enfouissement des déchets sur le site Miron à partir de 1968, jumelés au ralentissement des activités minières de Francon, viendront changer la donne pour ce quartier qui s’avère aussi de plus en plus urbain. La pollution par le bruit, la poussière et les odeurs nauséabondes causent un mécontentement populaire qui mènent à de nombreuses mobilisations citoyennes dans les années 1970. Finalement la Ville de Montréal fera l’acquisition des deux géants en 1984 et les activités minières et d’enfouissement des déchets cesseront graduellement.

Alors que le site de l’ancienne carrière Miron abrite maintenant le Complexe environnemental Saint-Michel, auxquels sont associés notamment La TOHU, l’École nationale de cirque et le siège social du Cirque du Soleil, et qu’il accueille également sur ses anciennes terres le Stade de soccer de Montréal, le TAZ Sketepark, et l’immense parc Frédéric-Back (toujours en aménagement), l’avenir n’est pas encore défini pour le site de l’ancienne carrière Francon, dans la partie est du quartier. Pour l’instant la Ville de Montréal l’utilise comme site pour décharger la neige et n’a pas encore de plans définis pour l’avenir. Toutefois les instances civiles du secteur, regroupées en grande partie par la table de quartier Vivre Saint-Michel en santé, presse actuellement l’arrondissement et la ville-centre pour l’élaboration d’un plan directeur de développement de l’ancienne carrière Francon, qui enclave véritablement plusieurs zones résidentielles de Saint-Michel. Plusieurs projets seraient d’ailleurs déjà proposés par l’organisme, dont notamment l’aménagement d’un complexe communautaire d’envergure.

Le magnifique Stade de soccer de Montréal, récipiendaire de nombreux prix d’architecture. (Photo : Nordic Structures).

Finalement, deux grands « chantiers » annoncés dans l’Est de Montréal pour les prochaines années auront certainement un impact significatif dans le développement de Saint-Michel. Premièrement la réfection de l’autoroute 40, dont Québec analyse présentement les possibilités d’un réaménagement majeur, et en second plan, les efforts de revitalisation de l’Est de Montréal annoncés par la Ville de Montréal et le gouvernement Legault, qui prévoient des investissements importants dans les infrastructures et le développement socioéconomique dans l’Est de Montréal. Reste maintenant à savoir si, pour les instances gouvernementales, Saint-Michel fait partie de l’Est…, surtout aux yeux de l’administration municipale.

Quelques statistiques démographiques (recensement de 2016)

  • Nombre de résidents : 56 420
  • 49,4 % sont des immigrants
  • 10,3 % taux de monoparentalité
  • 25,3 % sont sans diplôme
  • 30,1 % sont considérés à faible revenu
  • 67,7 % locataires
  • 12 % communauté haïtienne
  • 6,5 % communauté italienne
  • 4,5 % communauté maghrébine (35,5 % des nouveaux arrivants proviennent de cette communauté depuis le recensement de 2006)
Note : La plupart des informations historiques ont été tirées du document « La petite histoire de Saint-Michel, de la campagne à la ville, 1699-1968 », édité en 2009 par l’arrondissement de VSMPE.