L’église Saint-Bernardin-de-Sienne est actuellement en piètre état, mais revivra bientôt (photo : Denis F Côté).

L’ÉGLISE SAINT-BERNARDIN-DE-SIENNE RESSUSCITERA GRÂCE À UN GROUPE ÉVANGÉLIQUE

S’il y a une démonstration bien visible de l’état vétuste, voire abandonné, de nombre d’églises catholiques au Québec, c’est bien l’ancienne église Saint-Bernardin-de-Sienne, que l’on aperçoit devant l’autoroute Métropolitaine, coin nord-ouest de Crémazie et 9e avenue, dans le district de Saint-Michel.

En 2013, n’ayant plus les moyens de l’entretenir, les administrateurs (la Fabrique) de la paroisse ont décidé de fermer l’église, en transférant ses célébrations à l’école Saint-Bernardin, juste à côté. Quelques années plus tard, les derniers fidèles ont été invités à joindre les églises catholiques les plus proches, telles Saint-Michel, Saint-Mathieu ou Saint-Grégoire-Le-Grand.

L’immense église abandonnée, bien reconnaissable par son toit blanc courbé, tel un hangar d’avion, fut ensuite l’objet de vandalisme, de graffitis et d’au moins deux incendies endommageant gravement son presbytère.

Le feu a ravagé le bâtiment à deux reprises ces dernières années.

Enfin, en 2019, le diocèse de Montréal a trouvé un acheteur crédible qui veut la rénover tout en maintenant sa mission chrétienne, soit le groupe Christ en Action Évangélisation (CAE), qui y déménagera son siège principal, actuellement situé au 2305 rue Holt, presqu’en arrière de la mairie de Rosemont – La Petite Patrie. L’église a été vendue pour le prix du terrain, soit 2,2 M$.

Le principal sanctuaire de Christ en Action s’installera donc dans Villeray – Saint-Michel – Parc-Extension, le plus multi-ethnique des arrondissements montréalais. Le conseiller municipal de Saint-Michel, Josué Corvil, est satisfait de la transaction et des projets du groupe. « L’église sera rénovée et demeurera chrétienne, ce sont deux points positifs selon moi, dit-il. L’arrondissement travaille avec Christ en Action pour qu’il y ait autant sinon plus de verdissement à cet endroit, notamment. Le clocher sera aussi sauvegardé. Les acquéreurs semblent des gens sérieux qui savent où ils vont. »

Intérêt historique et patrimonial

Bénie (ouverture officielle) le 8 décembre 1956, l’église Saint-Bernardin-de-Sienne détient une valeur historique indéniable, tel que démontré par un Énoncé d’intérêt patrimonial préparé par l’arrondissement en 2014, à l’aide d’un groupe d’experts. Ce document illustré de neuf pages est accessible à la fin de cet article. Le bâtiment ne jouit toutefois pas de reconnaissance provinciale ou fédérale.

« Élément dominant du noyau institutionnel de Saint-Michel, l’église Saint-Bernardin-de-Sienne se distingue de son voisinage par sa monumentalité accentuée par les caractéristiques paysagères de son site et sa facture architecturale moderne affirmée », fait notamment valoir la rédactrice de l’Énoncé, Jennifer Ouellet, de la Division du patrimoine de la Ville.

On peut résumer, très brièvement, l’histoire de l’église par ces évènements marquants : en 1912, incorporation du village de Saint-Michel-de-Laval et implantation d’une première église Saint-Bernardin-de-Sienne près de l’emplacement actuel; en 1955 et 1956, construction de l’église actuelle et de son presbytère; en 1960, construction de l’autoroute Métropolitaine juste devant; en 1963, réaménagement du chœur de l’église, le prêtre faisant désormais face aux fidèles; en 1965, aménagement paysager du site; en 1968, fusion de Saint-Michel avec la Ville de Montréal; en 1978, réfection du décor intérieur; en 2002, le quartier Saint-Michel se joint à l’arrondissement Villeray – Saint-Michel – Parc Extension lors des fusions municipales; en 2013, l’église devient vacante; en janvier 2019, un incendie ravage le presbytère abandonné; et en décembre 2019, le diocèse vend finalement l’église au groupe évangélique Christ en Action.

Selon l’encyclopédie en ligne Wikipedia, Bernardin de Sienne, né en 1380 à Massa Marittima en Toscane (Italie) et décédé le 20 mai 1444 à L’Aquila (Italie), était un frère franciscain observant et prédicateur de renom. Il a propagé la dévotion au saint nom de Jésus et fut surnommé « l’apôtre de l’Italie » pour ses efforts en faveur du retour de la foi catholique dans son pays au 15e siècle. Canonisé en 1450 par le pape Nicolas V, il est liturgiquement commémoré le 20 mai.

Peu de démolitions d’églises

Comme on le sait, l’église catholique fait aujourd’hui face à une désaffection de fidèles, un manque de prêtres et un surplus d’églises dans de nombreux pays, le Québec étant particulièrement touché. Une recension effectuée en mai 2019 par le Conseil du patrimoine religieux, a révélé que parmi les 2746 églises qui avaient été répertoriées au Québec en 2003, 612 avaient depuis été démolies, fermées ou recyclées.

Le Vatican a émis des directives strictes sur le sort des églises catholiques excédentaires, rapporte Caroline Clermont, architecte et responsable des bâtiments du Diocèse de Montréal. Ces directives sont appliquées au Québec. Les acquéreurs priorisés sont d’autres groupes chrétiens qui veulent faire revivre l’église pour leurs fidèles, comme dans le cas actuel avec Christ en Action.

En second rang, viennent les autres communautés religieuses, qui maintiendront le bâtiment dans une vocation similaire, quoique non chrétienne. Les projets communautaires arrivent au troisième rang dans les préférences du diocèse. Par exemple, au Québec, au moins une dizaine d’églises ont été transformées en bibliothèques municipales, parfois à la suite de concours d’architecture.

Les projets d’entrepreneurs privés peuvent aussi être considérés, mais au quatrième rang. Madame Clermont cite comme exemple l’ancienne église Saint-Jean-de-la-Croix, coin Saint-Laurent et Saint-Zotique, qui a été transformée vers 2003 en 70 unités de logement de luxe par le promoteur Rachel Julien. « Il est extrêmement dispendieux de reconfigurer d’anciennes églises en respectant les caractéristiques patrimoniales », précise-t-elle. Rafraîchi, son presbytère est occupé par des organismes communautaires.

Enfin, la démolition d’une église est le dernier choix du diocèse, qu’en de très rares occasions. À Montréal-Est, les citoyens se souviennent que l’église Saint-Octave, datant de 1958, coin Broadway et Notre-Dame, a été détruite pour faire place au projet domiciliaire M, du groupe Magma, livré en 2018.

Les églises ne sont pas données par le diocèse, mais vendues selon la valeur du terrain et du bâtiment, les revenus servant notamment à entretenir les églises restantes. En revanche, le diocèse est très sévère quant au choix des acquéreurs potentiels, en considérant leurs réalisations antérieures et leurs intentions pour l’église convoitée. Caroline Clermont rapporte que plusieurs projets ont été refusés pour l’église Très-Saint-Rédempteur, coin Joliette et Adam dans Hochelaga, car ils n’étaient pas à la hauteur des attentes du diocèse. Officiellement à vendre, faute de fidèles, cette magnifique église datant de 1928 est fermée depuis juin 2019.

Église Saint-Victor

Parmi les autres églises catholiques vendues récemment, Mme Clermont cite l’église Saint-Victor, ouverte en 1927, coin Gonthier et Hochelaga, dans le district de Tétreaultville. On y achève la construction d’un projet communautaire de 15 M$ qui conserve environ le tiers avant de l’église, transformé en une salle polyvalente servant surtout de centre de jour pour itinérants. Du côté ouest, à la place du presbytère démoli, on trouvera 40 logements pour personnes de 55 ans et plus, proche de l’itinérance, administrés par l’organisme Le PAS de la rue. À l’est, au lieu du stationnement, des gens à bas revenus pourront loger dans les 36 unités de la Coopérative d’habitation Gonthier. L’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve a appuyé ce projet en accordant une série de dérogations au zonage, en plus d’une subvention de 1,4 M$.

Ce qui reste aujourd’hui de l’église Saint-Victor (photo : Denis F Côté).

15 millions $ en subventions

La préservation et la transformation du patrimoine religieux au Québec est un domaine extrêmement bien appuyé, suivi et documenté. La coordination de cette mission est confiée au Conseil du patrimoine religieux du Québec, qui compte sur des tables de concertation dans chaque région, dont bien sûr à Montréal. Dans son rapport de 2019-2020, le Conseil dresse un tableau d’une centaine de projets de restauration qui ont obtenu un total de 15 millions $ en subventions provinciales. Les 11 et 12 septembre prochain, le Conseil présente les Journées du patrimoine religieux, soit des visites d’églises de plusieurs confessions à travers le Québec, espérons en présentiel, l’édition de 2020 s’étant tenue de manière virtuelle.

En outre, les endroits servant principalement de lieu de culte, de même que leur presbytère s’il y a lieu, sont exemptés de taxes municipales et scolaires.

Christ en Action Évangélisation

En terminant, quelques mots sur le groupe Christ en Action Évangélisation. Il s’agit d’un ministère fondé par le pasteur Fofy Ndelo en 1998, « répondant ainsi à un appel du Seigneur pour commencer une œuvre à Montréal ». CAE compte maintenant plus de 1000 membres, d’une cinquantaine d’origines ethniques, répartis entre les églises de Montréal, Ottawa, Moncton NB, Saint-Hyacinthe, Trois-Rivières, Saint-Jean-Sur-Richelieu, Saint-Jérôme, Gatineau, Rougemont et Québec. Depuis 2009, CAE projetait de construire un grand sanctuaire montréalais. À la place, ses dirigeants ont acheté une vaste église abandonnée.

Fofy Ndelo, fondateur du groupe Christ en Action Évangélisation (image tirée du site Web du groupe).

Les « églises » de CAE ne sont pas nécessairement des bâtiments à l’architecture spécifique les mettant en évidence. Cela peut être simplement un local commercial, tel un ancien magasin. En demandant à Google les « églises à proximité » du lieu traité par cet article, parmi les nombreux lieux de culte proposés, rares sont les églises typiques comme on le supposerait ; la plupart, souvent évangéliques, sont des occupants commerciaux plutôt discrets.

Franklin Agbenu, directeur du projet, est très conscient du caractère patrimonial de l’église acquise. D’ailleurs, Christ en Action doit négocier avec l’arrondissement pour tout changement important. « Même si le bâtiment changera de nom, chaque personne qui y mettra les pieds saura qu’il s’agissait de l’église Saint-Bernardin-de-Sienne », promet-il. Il est même possible que des locaux soient offerts gracieusement à des organismes communautaires du quartier. Compte tenu de la pandémie de Covid-19, et des discussions pour les permis de rénovation requis, la date d’ouverture, prévue pour 2021, sera probablement reportée.


Pour en savoir davantage :

Énoncé patrimonial de 2014 sur l’église Saint-Bernardin-de-Sienne

Histoire du district Saint-Michel, publié par l’arrondissement

Publications du Conseil du patrimoine religieux du Québec

Listes des 59 églises du Diocèse de Montréal qui ont été vendues depuis 1999

Site web du groupe Christ en Action

Documentaires et courtes vidéos du sociologue Pierre Fraser sur la transformation des églises