Le Cinéma Beaubien, une entreprise d’économie sociale. (Photo : EMM).

L’ÉCONOMIE SOCIALE : UN JOUEUR IMPORTANT DANS L’EST DE MONTRÉAL

Pour ceux qui croient encore que l’économie sociale est synonyme d’organismes communautaires voués à gratter continuellement les fonds de tiroir, détrompez-vous. Les OBNL et coopératives de toutes tailles présents dans presque tous les secteurs d’activités économiques représentent aujourd’hui plus de 10 % du PIB au Québec, soit autant sinon plus que les secteurs de la construction, des mines et de l’aérospatial combinés nous informe Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie social. Cet organisme, dont le rôle principal est d’assurer la concertation entre les parties prenantes de l’économie sociale au Québec et d’en défendre bien sûr les principaux enjeux nationaux, serait issu du Sommet économique et social organisé en 1996 par le gouvernement Bouchard. « Ce qui était à l’époque un groupe de travail réunissant les acteurs socioéconomiques liés à l’économie sociale est devenu par la suite une organisation permanente, qui s’est imposée d’elle-même de par son efficacité et par l’importance de regrouper les forces dans l’ensemble du Québec », explique Mme Alain.

Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale. (Photo fournie par le CES).

Qu’est-ce que l’économie sociale exactement? Difficile, il est vrai, de trouver une définition brève et concise, du moins pour le territoire québécois. Dans les grandes lignes et pour les besoins de l’exercice, soulignons qu’il s’agit obligatoirement d’organismes à but non lucratif et de coopératives dont les activités consistent notamment en la vente ou l’échange de biens ou de services, dans le but de répondre aux besoins de ses membres ou de la collectivité. L’organisation, comme toute entreprise saine et pérenne, aspire à une viabilité économique, et la distribution des surplus générés par ses activités est retournée aux membres (ou à la collectivité) au prorata des opérations effectuées entre chacun d’eux et l’entreprise. Donc le capital de l’entreprise doit servir au fonctionnement et à la pérennité de celle-ci, au profit de ses salariés et de la collectivité, et non pour enrichir un ou des propriétaires privés.

« L’entreprise d’économie sociale, à la différence du secteur privé, ne cherchera pas à faire du profit à outrance, même si elle doit évidemment en faire pour assurer son bon fonctionnement, offrir de bonnes conditions de travail et être compétitive dans son secteur d’activité. Sa mission première sera plutôt de répondre aux besoins de ses membres ou de la collectivité. Alors que le secteur privé peut s’attendre à un rendement de 15-20 %, une entreprise d’économie sociale pourrait, par exemple, très bien s’en sortir avec seulement 5 % », affirme Charles Gagnon, agent de développement au Chantier de l’économie sociale.

Charles Gagnon, agent de développement au Chantier de l’économie sociale. (Photo fournie par le CES).

Mythes et réalités

« Il y a beaucoup d’entreprises en économie sociale avec qui les gens font affaires à tous les jours et ils ne savent pas que ce sont des organismes ou des coopératives. Je dirais que même plusieurs des employés de ces entreprises ne s’identifient pas en premier lieu à ce statut mais plutôt à la mission de leur organisation », soutient la directrice générale.

L’exemple qui vient rapidement à l’esprit est certainement Desjardins, qui fait bien entendu figure de leader en économie sociale au Québec avec ses quelque 45 547 employés. Mais aussi Agropur, coopérative regroupant 3 161 producteurs laitiers, en passant par des brasseurs de bière, des fabricants de meubles, des CPE, marchés d’alimentation, bureaux d’ingénieurs, avocats, bref; l’économie sociale au Québec est partout avec ses 7 000 entreprises réparties dans plus de 20 secteurs d’activité.

L’un des mythes les plus tenaces encore aujourd’hui concerne la qualité des emplois. Plusieurs ont l’impression que l’économie sociale génère des emplois précaires et moins bien rémunérés. « C’est complètement faux », clame Béatrice Alain. Selon elle c’est même plutôt le contraire : « Les études démontrent clairement que dans des conditions socioéconomiques similaires, incluant le positionnement géographique de l’entreprise, les entreprises d’économie sociale offrent des conditions de travail aussi bonnes sinon meilleures que le secteur privé. Il ne faut pas penser, par exemple, que les coopératives ou les OBNL ne sont pas confrontés au phénomène de pénurie de main-d’œuvre. Ils doivent donc offrir des conditions de travail compétitives pour assurer la rétention de leur personnel », ajoute-t-elle. Selon Charles Gagnon, évoluer professionnellement en économie sociale ne signifie pas qu’il faut s’attendre à gagner moins : « Personne ne fait le vœu de pauvreté ici. Il n’est pas rare de voir notamment des professionnels et des dirigeants faire de très bons salaires en économie sociale, à l’instar des secteurs publics et privés. »

Autre mythe à déconstruire : celui du rendement incertain de l’économie sociale sur le plan financier. « Investissement Québec possède une branche en économie sociale et c’est cette dernière qui affiche le taux de perte le plus bas. C’est un bon investissement car dans une grande majorité de cas ces entreprises sont moins volatiles et plus pérennes que dans le secteur privé », soutient Béatrice Alain. Toutefois, financer des projets en économie sociale demande une expertise particulière dont le Québec peut aujourd’hui se targuer. « Nous sommes reconnus à l’échelle mondiale pour la vitalité de notre économie sociale, pour notre capacité à analyser le montage financier de ces entreprises et pour les soutenir quand les projets sont porteurs. On reçoit d’ailleurs plus d’une dizaine de délégations internationales chaque année qui viennent s’inspirer de nos modèles d’affaires », dit-elle.

L’ES dans l’EST

L’Est de Montréal, c’est bien connu, est de longue date un terreau fertile pour le développement de l’économie sociale. La région compte sur son territoire des centaines d’entreprises en « ES », l’un des ratios les plus élevés au Québec par habitant.

Selon les données les plus récentes datant de 2008 (une nouvelle étude devrait être publiée ce printemps), les sept arrondissements que couvrent Est Média Montréal abritent 32,7 % des entreprises d’économie sociale sur le territoire de la Ville de Montréal, pour un nombre d’établissements approchant les 1 200 et employant plus de 20 000 personnes. Pour les villes liées dont fait partie Montréal-Est, elles accueillent environ 4,6 % des entreprises. Voici le nombre d’établissements par arrondissement, en ordre d’importance :

Mercier—Hochelaga-Maisonneuve : 337 (9,4 %)
Rosemont—La-Petite-Patrie : 310 (8,6 %)
Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension : 279 (7,8 %)
Rivière-des-Prairies—Pointe-aux-Trembles : 88 (2,5 %)
Montréal-Nord : 84 (2,3 %)
Saint-Léonard : 43 (1,2 %)
Anjou : 32 (0,9 %)

Parmi les joueurs majeurs en économie sociale dans l’Est de Montréal, soulignons notamment la Société de développement Angus, le Cinéma Beaubien, Insertech, Axia services, SHAPEM, Chic Resto Pop, TOHU, Corporation Mainbourg, et SOS Vélo, pour ne nommer que ceux-ci.

La région de Montréal possède sa propre instance de développement en matière d’économie sociale. Il s’agit du Conseil d’économie sociale de l’île de Montréal (CESIM), un réseau d’affaires formé d’entreprises et d’acteurs montréalais de l’économie sociale. Piloté par le réseau PME Montréal, c’est la branche PME MTL Centre-Est qui en est le mandataire. Le CESIM est en quelque sorte la porte d’entrée pour le développement de tout projet d’économie sociale à Montréal, du moins l’organisme de soutient principal.

En terminant l’entrevue avec Est Média Montréal, Béatrice Alain a tenu à souligner l’intérêt du Chantier de l’économie sociale dans le débat actuel concernant les projets de revitalisation de la région. « Il y a beaucoup de grands bâtiments et de terrains qui sont voués à changer d’usage dans les prochaines années, je pense entre autres aux patrimoines religieux, industriel et public comme d’anciennes écoles par exemple. Pour nombre de ces infrastructures, elles ont déjà été payées par la communauté et il faudrait s’assurer que leur réhabilitation soit pensée et réalisée en fonction d’être utile pour les gens autour », dit-elle. La directrice générale ajoute que « l’économie sociale peut jouer un rôle très important pour aider à améliorer la qualité de vie d’un secteur comme l’Est de Montréal qui est aux prises avec des inégalités sociales systémiques au point que l’espérance de vie est de 8 ou 9 ans moins longue que dans l’Ouest de l’île. Dans la conjoncture actuelle où l’on est en train de repenser au développement de l’Est de Montréal, je souhaite que l’économie sociale fasse partie de la solution aux yeux des acteurs économiques et politiques. »